La Commission d'enquête citoyenne s'est tenue comme prévu du 22 au
26 mars 2004
Les conclusions provisoires de la commission marquent une avancée importante dans la
recherche de la vérité sur l'implication de la France au Rwanda. Des éléments
nouveaux, et notamment des témoignages de Rwandais se trouvant au Rwanda au moment du
génocide, ont permis de mettre en lumière des accusations très graves contre la
France, qu'il importe de vérifier.
La mission d'information parlementaire de 1998 avait très peu entendu les victimes du
génocide. Les députés s'étaient contentés d'un voyage de 36 heures au Rwanda. Les
rares Rwandais qui avaient été entendus n'étaient pas forcément dans les endroits les
plus critiques pour l'implication de la France. L'un de ces témoins, Yvonne
Mutimura-Galinier, avait subi des pressions inacceptables de la part de Paul Quilès
en personne. Yvonne Mutimura avait fait état de contrôles d'identité des Rwandais par
les militaires français en 1993, de non assistance à personne en danger par refus
d'évacuation au moment de l'opération Amaryllis, en avril 1994, et de viols de jeunes
filles par des militaires français .
La commission a entendu un témoignage encore plus grave et plus ancien dans les
faits que celui d'Yvonne Mutimura-Galinier, celui d'Immaculée Mpinganzima-Cattier qui
se situe en avril 1991 et montre que des militaires français
vérifiaient à cette époque, près de Ruhengeri, l'identité des Rwandais et remettaient
immédiatement aux milices un Tutsi qui fût aussitôt assassiné devant eux. Dans le
caniveau gisaient déjà trois ou quatre mourants. Or tout le monde sait qu'à cette
époque les militaires français formaient officiellement l'armée rwandaise. On voit la
nature de cette formation. (Vous pouvez écouter les témoignages d'Immaculée dans les
séquences audio du
site de la Commission d'enquête citoyenne)
D'autres témoignages ont été filmés au Rwanda par Georges Kapler, notre envoyé. Ils
montrent des miliciens et des rescapés de Bisesero, tous concordants, qui disent que
des militaires français auraient au minimum laissé faire les milices, sinon, les
auraient encouragées, voire même aidées à "finir le travail" en débusquant par ruse
les victimes pour le compte des miliciens. D'autres parlent de disparitions
définitives de réfugiés, après convocation par des militaires français et de viols
effectués par des militaires français sur des Tutsi réfugiés au camp de
Nyarushishi.
Les militaires français de l'opération Turquoise étaient pourtant officiellement
engagés dans une opération "humanitaire". Or tout montre qu'ils étaient à Bisesero
pour nettoyer une poche de résistance qui s'est révélée être en fait le lieu d'un des
plus grands massacre de Tutsi pendant le génocide. Certains militaires ont exprimé
aux journalistes qu'ils auraient été manipulés. Par qui, si ce n'est par leurs chefs
qui disposaient des meilleures informations sur le Rwanda ? Rappelons que les
théories de la guerre révolutionnaire stipulent qu'un "COS", commando des opérations
spéciales, obéït à une hiérarchie parallèle, et que ses exécutants n'ont jamais de
vision de la stratégie globale. Les troupes envoyées à Bisesero faisaient partie de
ces "COS".
Il est aussi apparu que les députés n'ont pas accepté dans leur rapport la version du
Général Quesnot selon laquelle le FPR aurait aussitôt après l'attentat mis les
troupes de l'APR en mouvement. Les députés avaient estimé que le FPR avait attendu 4
jours avant de bouger. Les propos du général Quesnot sont donc apparus comme un
mensonge pur et simple aux députés français. Le général Quesnot était le premier
patron des COS après François Mitterrand.
Ces COS nous apparaissent comme les éléments d'une garde présidentielle sans
contrôle, qui menacent gravement la démocratie française.
Comme le suggère Jean-Paul Cruse, auteur d'"un corbeau au coeur
de l'Etat", des éléments concordants nous laissent penser que les plus hauts
responsables de la République sont tenus par un chantage qui, selon François-Xavier
Verschave, porte une signature : "les génocides" au Rwanda, génocide au pluriel. Tous
ceux qui formulent cette phrase seraient en fait menacés par un corbeau. Ils seraient
ainsi complètement en désaccord avec le rapport de la mission d'information
parlementaire sur le Rwanda qui a établi un seul génocide au Rwanda, comme la
communauté internationale. Cet aspect extrêmement grave signifierait que des
autorités élues ne sont pas libres sur ce sujet.
Nous avons longuement parlé d'un certain gendarme que les députés préfèrent prendre
pour un "clown" selon la formule utilisée devant moi par Paul Quilès fin 1998 à
Strasbourg. Les députés ont-ils peur de Paul Barril ? Nous remarquons aussi que
Jean-Paul Cruse a travaillé pour le gendarme Paul Barril. L'enquête du juge Bruguière
n'aurait-elle pas été lancée début 1998, entre autre pour donner un prétexte à Paul
Barril pour ne pas être auditionné par les députés ? On peut se demander qui,
véritablement, est le clown de cette histoire ? Le mercenaire Paul Barril est un
"privé" étroitement lié aux rouages de la Défense Nationale et très impliqué dans les
événements du Rwanda, ce qu'il confirme lui-même sur son site
Internet.
Bien que nous en ayons très peu parlé au cours de la CEC, rappelons aussi que le juge
Bruguière ne se serait jamais rendu au Rwanda... ce qui est un peu léger pour
conclure sur l'attentat de Kigali et donner un caractère authentique à son enquête.
Il est aussi apparu au cours de notre enquête, que d'après un expert, au moins un
autre français que les membres de l'équipage était dans l'avion descendu le 6 avril
1994... ce que Stephen Smith n'a pas révélé dans Le Monde, à moins que le juge
Bruguière, qui a peu enquêté, ne soit peu renseigné. Beaucoup font remarquer que le
juge Bruguière est fréquemment associé à des enquêtes liées au secret défense...et
peu susceptibles d'être révélées objectivement au grand public. Ce que Stephen Smith
aurait lu dans son rapport, n'est pas forcément une vision complète de ce que le juge
Bruguière a écrit... et rien ne prouve que Stephen Smith ait accès au secret défense,
ce qui relativise beaucoup ses communications. Enfin souligons que personne en dehors
du journaliste Stephen Smith ne prétend avoir pris connaissance du rapport du juge
Bruguière. Ce rapport est une arlésienne ! (Voir notre page attentat du 6 avril)
Les autres éléments sont évoqués dans les conclusions provisoires
de la commission. Ces conclusions provisoires ont été lues dans l'enceinte de
l'Assemblée Nationale à Paris le 27 mars 2004 en présence de Monsieur Pierre Brana, co-rapporteur de la mission d'information
parlementaire sur le Rwanda en 1998, et dont nous saluons sa capacité à assumer
personnellement et seul la totalité des travaux de ses anciens collègues, même
pendant la campagne des élections régionales.
Des voix se sont élevées à juste titre pour qu'on oublie pas les Hutus qui ont été
massacrés parce qu'ils étaient de vrais démocrates qui refusaient la solution finale
du Hutu Power. La première d'entre eux est bien entendu Agathe Uwilingiyimana,
premier ministre assassiné le 7 avril 1994. Elle a été tuée par la garde
présidentielle rwandaise. Le colonel Bagosora, premier officier rwandais à
avoir suivi l'école de guerre française, orchestrateur présumé du génocide, semble
avoir été l'inspirateur et le coordinateur du coup d'état qui a renversé le
gouvernement de madame Agathe Uwilingiyimana le 6 avril 1994. Devant de nombreux
témoins, dont le général Dallaire et l'ambassadeur de France, Bagosora n'a pas cessé de contester avec
acharnement la légitimité du premier ministe entre l'attentat et sa mort quelques
heures plus tard. Bagosora a ainsi fait éliminer dès le début du génocide tous les
responsables, répertoriés comme Hutu par l'administration rwandaise, susceptibles de
géner son entreprise génocidaire.
Emmanuel Cattier, 28-31 mars, 19 avril 2004
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