Un
témoignage de Denis-Gilles Vuillemin, qui alerta le journal Le Monde en
1964, et déclencha l'enquête du journal et la rédaction d'un article
Genève a abrité
les cérémonies de
la 14e Commémoration.
Le
samedi 12 avril, la
diaspora
rwandaise de Suisse s'était donné rendez-vous au Centre paroissial de
la
Servette, à deux pas de notre ambassade, pour
commémorer les
14 années écoulées après le génocide des Tutsi de 1994. ?.
Un
moment fort attendu
était celui
de l'intervention d'un monsieur d'un certain âge, un nommé Denis-Gilles
Vuillemin, qui séjourna à Butare fin 1963 début
1964 sur
un
contrat signé avec l'UNESCO pour travailler comme enseignant.
Ce
que le
jeune enseignant suisse découvre en arrivant au Rwanda le
hantera
toute
sa vie. A la suite d'une rumeur d'une attaque en septembre 1963 de ceux
qu'on
appelait Inyenzi, la machine à tuer se met en marche. On
rassemble ici et
là de pauvres paysans Tutsi qu'on extermine dans
des stades
à coup
de fusils. Ceux qui parviennent à fuir sont rattrapés et regroupés dans
des
camps où on les laisse crever de faim et de maladie. Quelques
individus
et organisations internationales présentes, la Croix Rouge
principalement, tentent d'apporter des secours,
essentiellement
de la nourriture
et des médicaments, mais les autorités politiques et ecclésiastiques
s'y
opposent ou procèdent à des man?uvres dilatoires. Au Groupe scolaire de
Butare
où M.Vuillemin travaille depuis peu, des religieux belges pour la
plupart, sont
au courant des crimes qui sont en train d'être perpétrés. Plusieurs
d'entre eux
collaborent ouvertement avec les hiérarchies ecclésiastique
et
gouvernementale pour parachever l'épuration ethnique. Le jeune
coopérant suisse
était venu au Rwanda mu par un idéal d'humanité, de justice et de
solidarité.
Ce qu'il découvre du Rwanda du tandem
Kayibanda-Perraudin
lui donne
le vertige. Il a entreprend d'enquêter
minutieusement sur
ce qui se
passe réellement au Rwanda non sans avoir travaillé clandestinement à
faciliter
la fuite de certains de ses élèves tutsi qui étaient en
danger de
mort. Petit à petit, par des recoupements d'informations, des
croisements
de témoignages et d'observations personnelles, l'effroyable vérité
s'étale là
devant ses yeux: un gouvernement est en train d'exterminer
une
partie de
sa population, et ce dans une totale indifférence de la communauté
internationale. Monsieur Vuillemin qui détient désormais les
preuves
irréfutables de qu'on ne saurait qualifier autrement qu'un génocide,
prépare un
rapport qu'il adresse au département des affaires étrangères à Berne.
Il envoie
aussi une série d'articles aux journaux en Europe, au journal "Le
Monde" en particulier. Des semaines passent sans que ses
alertes
soit publiées. Finalement l'affaire des massacres des Tutsi
finit
par
être connue par d'autres témoins étrangers et le
journal
"Le
Monde" se résout à publier un article de Vuillemin.
Entre-temps le jeune enseignant a donné sa démission à l'UNESCO. Il
veut
regagner sa Suisse natale autant pour retrouver un peu de tranquillité
que pour
échapper aux pressions que lui font subir ses collègues du GS que ses
révélations dérangeaient. Mais en Suisse même il va subir un
ostracisme
jusque dans les hautes sphères de l'administration fédérale. Il recevra
régulièrement
des appels téléphoniques et des lettres anonymes le traitant de
communiste, de
subversif, de terroriste, d'agitateur et d'autres gentillesses de la
même
veine. A cette étape précise de son récit, M.Vuillemin
s'arrête,
submergé
par l'émotion. Il balaye la salle d'un regard vide, et
s'excuse: "Vous
savez tout ça c'est du passé, d'ordinaire je sais encaisser, mais
maintenant
que je le raconte, il y a tout qui me revient et c'est comme si c'était
hier."
Il y a
dans la salle des compatriotes qui ont connu M.Vuillemin à Butare.
C'était un
jeune enseignant qu'ils apprenaient encore à
découvrir.
Certains ne
lui doivent pas seulement d'avoir échappé à la mort,
mais
ils ont
aussi reçu de lui des conseils pour leurs études, des bourses, du
soutien
psychologique et/ou simplement de l'amitié. Ils ont
la
gorge
serrée, comme nous tous. Quand M. Vuillemin achève son
témoignage,
la salle hésite un moment à l'applaudir comme si c'était une indécence,
il y a
un court moment de silence qui s'impose de lui-même, puis finalement,
les mains
claquent, quand même, longuement.
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