Survie en Alsace

Bernard Kouchner à propos de  "Kigali, des images contre un massacre",  de  Jean-Christophe Klotz

 Le documentaire de Klotz, "Kigali, des images contre un massacre",  projeté hier sur Arte, et qui sort en salle prochainement, nous montre, entre autre, un Bernard Kouchner acculé devant l'impossible.
 
Mais acculé par quoi ? Ce qui me frappe, c'est sa difficulté à nous dire vraiment ce qu'il sait et ses concessions timides au rôle réel de la politique militaire française. Or, j'ai le vif sentiment en regardant ces gros plans du film qu'il sait ce qu'il y a derrière tout cela.
 
En contrepoint je suis frappé par la sérénité grave d'un Dallaire  ou la sérénité meurtrie de Philippe Gaillard, chef de la délégation de la Croix-Rouge au Rwanda, ou la sérénité compatissante, vivant avec, du Père Blanchard, exprimées dix ans après. 
Le contraste est saisissant avec le climat intérieur qu'exprime Bernard Kouchner, également dix ans après.  Les premiers ne vivent pas ce drame de la même manière que Bernard Kouchner, ils ne donnent pas le sentiment d'avoir à s'expliquer de quelque chose, presque à se justifier. On sent B.K. coincé devant cet échec, face auquel il voudrait ne pas se dérober, essayant de se dire qu'il a vraiment fait tout ce qu'il pouvait pour l'éviter et donnant l'impression qu'il sait qu'il s'est laissé piéger à son propre rôle. En quelque sorte il semble nous dire qu'il est passé à côté de quelque chose qu'il n'a pas vu à temps ou plutôt pas su voir à temps. C'est mon impression. Quand il dit "J'aimais Mitterrand", on a l'impression que la phrase est au passé à cause d'une déception et non pas parce que Mitterrand est mort. On balance, on tic tac comme dit Patrick de Saint-Exupéry dans son livre l'Inavouable.
 
Je vous livre cette analyse de Jacques Morel, Concordances humanitaires et génocidaires, Bernard Kouchner au Rwanda , qui recadre avec une lumière rasante et vive le contexte de Bernard Kouchner dans le génocide. Jacques Morel analyse l'environnement politique dans lequel Bernard Kouchner est allé à Kigali. Il cite également des éléments qui laissent penser que Bernard Kouchner s'inscrit complètement dans l'action politique de la France. Bernard Kouchner en partageait-il complètement le point de vue, ou espérait-il peut-être jouer sa partition dans cette lucarne offerte par les stratèges ? Visiblement il semble avoir été heurté par ce qui s'est réellement passé. Il ne dit pas vraiment pourquoi. Il montre sa colère froide, au bord du désarçonnement, dans le film de Klotz. S'est- on "trop payé de sa tête" ? Il affirme notamment avec colère dans le film qu'il ne pensait pas que "l'opération turquoise servirait à protéger ces salauds".
La version actualisée le 22 mars 2007, du document de mes amis Jacques Morel et Georges Kapler, est encore plus pertinente, mais arrive à une conclusion prématurément tranchée qui ferme  le débat à mon avis
injustement. Bernard Kouchner ne masque pas son ambiguité, mais il ne l'explique pas, et c'est de cette explication dont nous avons besoin. (Kouchner / Morel et Kapler et les documents d'archives concernant Kouchner)
 
J'ajoute une question : comment fonctionne "l'intelligence à la française" dans les situations de crise, quand on est branché sur les services de la République, publics et secrets, les amitiés politiques au pouvoir, son cœur d'homme, son refus de dénoncer l'innommable quand l'innommable passe quelque part au milieu de gens qui se connaissent ? Car l'innommable ce n'était pas seulement les massacres, c'était avant tout les stratégies qui ont ouvert la voie à ces massacres.
 
Enfin je voudrais terminer en soulignant la dignité de l'avertissement lancé plus d'un an avant le génocide au journal de 20 heures de Bruno Masure, par Jean Carbonare, alors président de Survie. Klotz nous rend cet interview dans le contexte de son terrible avenir. Et je crois que vraiment on peut rendre hommage à Jean Carbonare pour ce cri dans le désert lancé début 1993 et un grand merci à Jean-Christophe Klotz pour l'avoir si bien resitué. Voir la vidéo

Le 29 novembre 2006, Jean Christophe Klotz était à l'Odyssée à Strasbourg pour la projection de son film. Dans le débat qui a suivi la projection il a précisé son témoignage. Il pose le problème de la responsabilité française mais il ne la tranche pas. Il démonte la désinformation de l'opération Turquoise et il la confirme. Il invite Survie au débat mais il ne se joint pas à nous. Il veut rester sur sa seule position de journaliste témoin d'un événement, et surtout témoin des hommes au coeur et autour de l'événement. "Cette expérience m’a forcé à aller beaucoup plus près de mon humanité profonde." explique -t-il dans l'interview accessible ci-dessous.
 
Emmanuel Cattier
14-15 novembre 2006 et 30 novembre 2006

Bernard Kouchner / Morel et Kapler version du 22/03//2007 et les documents d'archives concernant Bernard Kouchner
  • Un début d'explication sur le "j'aimais François Mitterrand" ?
Pour lancer l'opération Turquoise, les préconisations de Bernard Kouchner qui revenait du terrain le 21 juin 1994, n'ont visiblement pas été reprises par F. Mitterrand et les militaires, sauf une, limiter à deux mois l'opération. Kouchner aurait insisté entre autre sur le point suivant :
"Qu'il s'agit de protéger des civils tutsis contre les milices et en aucun cas d'affronter le FPR ou de stabiliser le front."
L'histoire a montré, entre autre à Bisesero, qu'il aurait du être écouté. Car les massacres qu'ont subi le millier de victimes parmi les rescapés de Bisesero entre le 27 et le 30 juin 1994 auraient été évités. Des soldats français et sous-officiers français ont vraisemblement désobéi à nos stratèges, au bout de trois jours, pour arrêter ces massacres.