Monsieur le directeur de l’ OFPRA

Docteur Georges Yoram FEDERMANN

67000 Strasbourg.

 

Strasbourg, le 5 juillet 2004.

Monsieur le directeur de l’ OFPRA ,

Cher Monsieur,

Je souhaitais profiter du temps que la période estivale nous offre pour vous sensibiliser à une question de clinique médicale majeure à mes yeux et tenter de faire lien entre l’actualité des conflits internationaux et des génocides (Je lis en ce moment le terrible et nécessaire livre de Mr Patrick de Saint-Exupéry sur le génocide du Rwanda : « L’ inavouable. La France au Rwanda ») et la souffrance de nos patients traumatisés que nous partageons dans nos pratiques médicales quotidiennes .

Quand je parle de traumatismes , je pense à tous ces gens qui ont assisté à des assassinats , qui ont découvert des cadavres ou qui ont échappé à une mort violente et qui n’ en « reviennent pas, et qui n’en reviendront jamais »

 A Strasbourg, ils nous viennent principalement d’ Algérie, de Sierra Leone, d’ Angola, de Mauritanie , du Tchad (les ressortissants d’ Afrique noire sont plus pudiques sur l’existence de cauchemars ), de Tchétchénie,  etc…

 Or la clinique médicale et l’écoute permettent de faire le diagnostic certain du traumatisme comme le démontre l’illustre professeur Claude BARROIS dans son ouvrage de référence « Les névroses traumatiques » paru chez Dunod en 1988.

 Ce syndrome (retrouvé à l’ interrogatoire du patient , nous dirions « au lit du patient ») « constitue même un noyau spécifique qui , ( …) évoque la catégorie médicale du pathognomonique, cette signature, fut-elle quasi imperceptible, garantit l’authenticité absolue du tableau clinique et assure son inaltérable identité » (cf. BARROIS, p. 116)

 Patrick de Saint-Exupéry nous le confirme de manière pathétique à la page 23 de son témoignage : « Dans le regard des rescapés, vous lirez la honte de ceux qui ,naufragés de la déraison, restent emmurés dans leurs cauchemars. En leur esprit, ni avant ni après mais une perpétuelle oscillation qui se traduit par une incapacité à dire.

Dans le regard des tueurs, vous lirez au contraire la légèreté de ceux qui affirment n’ avoir aucun remords. Puis, d’un coup, très soudainement, vous sombrerez. Ce sera comme un sifflement de machette ou un claquement de balle. Ce sera bref, brutal. Vous aurez alors tout juste distingué, au fond des yeux de l’ assassin, l’ultime regard de sa première victime, celui dont justement il n’ arrive pas à se défaire »

Je souhaitais donc vous sensibiliser au fait que la plupart des traumatisés demeurent interdits , perplexes et dans l’ incapacité de témoigner alors que la clinique « garantit l’ authenticité ».

 Je pense donc que de nombreuses auditions à l’ OFPRA , d’une part, réactivent la douleur du traumatisme originel, et d’autre part, ne traduisent pas la réalité de l’ horreur.

 N’est-il alors pas possible d’accorder plus d’importance aux expertises médicales ?

 J’aimerais beaucoup avoir votre sentiment sur ma suggestion inspirée par le poids, parfois insupportable, que nous impose le suivi fraternel de ces victimes .

 Merci de votre attention bienveillante et bonne persévérance dans l’accomplissement de  votre travail si délicat.

 Civiquement.

 

Dr Georges Yoram Federmann