(Par Jean-Prosper BOULADA, Président du Front Uni pour l’Alternance Démocratique au Tchad –FU/ADT),contribution de Survie-Bas-Rhin (Alsace) à la campagne de SURVIE sur les soutiens multiformes de l’Elysée aux dictatures africaines)
I.Introduction :
A l’heure où la situation politique au Tchad semble totalement bloquée, où les Tchadiens définitivement désabusés, se résignent à considérer le plébiscite d’une présidence à vie d’Idriss Déby comme quelque chose d’inévitable, à l’heure où le blanc-seing de la communauté internationale à la nouvelle fonction de “ gendarme de l’Afrique ” assignée à Idriss Déby a produit ses effets collatéraux dans le Darfour, nous avons voulu un peu réagir. Loin du côté spectacle de ces événements, nous avons voulu donner notre analyse de la situation, une manière à nous de participer en tant que résistants tchadiens et africains à la campagne actuelle de SURVIE sur les soutiens multiformes de l’Elysée aux dictatures africaines.
Si nous voulons comprendre la situation actuelle au Tchad, nous devons remonter à la racine des problèmes qui se trouvent au Soudan.
Le Tchad est le terrain d’expérimentation des pratiques génocidaires de la dictature militaro-religieuse installée au pouvoir à Khartoum.
Et le Darfour ? Cette région, en proie à une rébellion sans précédent, fait la une de l’actualité mondiale : les mêmes causes produisent les mêmes effets, les pratiques génocidaires et l’épuration ethnique.
L’ingérence humanitaire emboîte le pas aux politiques dans un vacarme et un tohu-bohu total qui éludent plus qu’ils n’élucident les causes de ce génocide.
Quels sont les acteurs soudanais et tchadiens de ce crime contre l’humanité et les puissances occidentales qui le soutiennent ?
Notre approche didactique nous oblige à jeter un coup d’œil sur le passé du Soudan, ce qui éclaire le présent et permet d’entrevoir l’avenir de ces deux pays, et, au-delà, de toute la région.
Le 30 juin 1989, un coup d’Etat contre le Président el-Nimeiry a porté au pouvoir une junte militaire présidée par le général Omar el-Bechir, avec l’appui du Front National Islamique d’Hassan el-Tourabi.
1. Pratiques génocidaires
Pour
cacher leurs motivations premières de pillage des ressources nationales, le duo
trouve indispensable la pratique génocidaire
et de l’apartheid
Une division du travail s’est donc opérée :
Pour Oumar el-Béchir, la guerre civile est le moyen d’exercer une répression féroce sur la population, ce qui permet en même temps de faire prospérer les affaires : c’est le côté “ arme de la critique ”, c’est-à-dire la pratique.
Mais el-Tourabi, musulman intégriste radical de son état, diplômé, s’il vous plaît, de la Sorbonne, maniant aussi bien la langue de Voltaire que celle de Shakespeare, ne peut ignorer les limites de la pratique, celle qui veut que tous les moyens soient bons , pourvu qu’ils vous permettent d’atteindre votre but.
2.Théorie du
racisme et d’apartheid
Pour el-Tourabi, il faut ajouter à “ l’arme de la critique ” “ la critique des armes ”, c’est-à-dire la théorie ou une idéologie, même si cette vérité sort de la mémoire d’outre-tombe de Karl Marx, athé radical de son état.
Certes, la théorie ne peut pas remplacer la pratique, mais la théorie est capable de devenir une force matérielle dès qu’elle a l’adhésion des masses populaires. Elle ne peut avoir l’adhésion des masses populaires que si elle procède à des démonstrations touchant à la racine des hommes musulmans. Or la racine pour l’homme musulman, c’est le musulman lui-même.
Donc, la tâche qui incombe à el-Tourabi, c’est l’élaboration et la mise en pratique d’une idéologie intégriste, qui puisse mobiliser le désarroi de la population soudanaise, suscité par la crise économique : le hic, c’est que cette idéologie renferme tous les germes du “ piège ethnique ” ou de l’ethnisme c’est-à-dire “ la manipulation d’identités secondaires et composites, qui chauffées au rouge, génèrent des clivages radicaux, servant d’explications fallacieuses ”1.
3. Crimes contre l’humanité
Le racisme et l’apartheid sont la face immergée d’une idéologie qui réaffirme la supériorité de la culture et de la religion de la race blanche des Arabo-musulmans du Nord sur les populations négro-africaines musulmanes et /ou animistes et chrétiennes de l’Ouest et du Sud.
C’est une idéologie totalement fascisante pour plusieurs raisons :
-Elle viole les droits de l’homme
-Elle fait une interprétation sélective de l’islam dont elle veut s’assurer le contrôle grâce à la répression
-Elle trouve légal de poursuivre le jihad en recourant à la terreur, à la torture, à la famine et aux traitements dégradants comme armes pour islamiser le pays, et de recourir à des exécutions extra-judiciaires contre tous ceux et toutes celles qui mettent en question la vision étroite de l’Etat islamique
-Elle exacerbe l’ethnisme par la fibre confessionnelle en opposant les ethnies de race noire mais musulmanes des régions du Darfour et Bahr El Ghazal contre les Noirs mécréants chrétiens ou animistes dans le Haut Nil et dans l’Equatoria au Sud Soudan.
A l’actif du duo el-Béchir - el-Tourabi, on dénombre pendant les deux décennies de guerre civile, au moins 1,3 million de Soudanais massacrés, 4 millions des déplacés sur les 5 millions2 d’habitants du Sud Soudan : c’est un véritable génocide.
Le bras armé du duo est constitué par des bandes de soudards et des milices tribales recrutées dans les ethnies arabes Rizeiqat et Misseriya puis enrôlées dans les Forces de Défense Populaire.
A la poursuite des combattants de l’Armée Populaire de Libération du Soudan (APLS) de John Garang, ces forces :
-tuent aveuglement des civils,
-incendient des habitations,
-pillent des biens et des troupeaux,
-violent les femmes et les prennent avec les enfants en captivité pour les réduire en esclavage dans le Darfour et le Kordofan,
et ce, dans l’indifférence la plus totale de la communauté internationale.
4. Les responsabilités occidentales
a) La Grande-Bretagne et les USA
La grande-Bretagne, puissance colonisatrice du Soudan, et les Etats-Unis n’ont pu faire mieux que rompre toute relation politique et diplomatique avec le Soudan car leurs opinions publiques ne peuvent plus supporter les images atroces des pratiques génocidaires sur leurs écrans de télévision.
Les USA, à cause du pétrole et/ou de l’impact du vote des Noirs-Américains, ont soutenu l’APLS.
b) La France
Quelle a été et quelle est la position de la France ?
On peut dire, pour simplifier, que tout ce qui n’est pas bon pour les Anglo-Saxons, est bon pour la France, syndrome de Fachoda oblige.
La France trouve là une occasion rêvée de prendre pied sur une zone d’influence anglaise qu’elle avait vainement cherchée à s’accaparer en 1898 en lançant son corps expéditionnaire colonial dirigé par Marchand contre celui de l’Angleterre dirigé par Kitchener. Celui-ci contraignit Marchand à évacuer Fachoda (actuel Kodo, au centre-sud du Soudan).
Le Soudan, devenant un pays infréquentable pour les Anglo-Saxons, cherchait à sortir de son isolement international.
El-Béchir et el-Tourabi flattent l’ego des Français en vantant leur politique étrangère basée sur la vision d’un monde multipolaire.
Et M. Moustapha Ousmane Ismail, ministre soudanais des Affaires étrangères, de renchérir sur ce registre: “ La France, grand pays présent dans la région (Soudan, Tchad, Centrafrique), membre permanent du Conseil de Sécurité de l’ONU, ne doit pas laisser le Soudan isolé dans un monde où une seule puissance, les USA, ne doit pas avoir tous les pouvoirs. ”3
Le seul mobile qui a conduit les décideurs politiques français à pactiser avec les deux têtes pensantes d’un des islams les plus intolérants au monde, est la convergence de leur anti-américanisme.
Pour preuve de bonne volonté, le Soudan a rapidement scellé le sort de Carlos, le terroriste international, sur l’autel de la coopération militaire et commerciale avec la France :
-vente de 3 Airbus au Soudan,
-promesses soudanaises de permis d’exploitation pétrolière pour Total et d’une reprise du percement du canal de Jonglei par GTM (Grands Travaux du Midi).4
Ainsi la France minimise la violation des droits de l’Homme au Soudan pour s’attacher à ses propres intérêts politiques.
Elle ferme les yeux sur le passage des forces gouvernementales soudanaises par la Centrafrique et le Zaïre pour prendre à revers les combattants de l’APLS.
Malheureusement pour le Tchad, le cynisme de cette politique française de soutien aux pires ennemis de la laïcité ne s’arrête pas au Soudan.
C’est encore au Soudan que le sort du Tchad va être scellé.
Les Tchadiens se rappellent que, depuis le coup d’Etat du 13 avril 1975 qui a coûté la vie au premier Président du Tchad et le cafouillage de l’après-Tombalbaye par le Conseil Supérieur Militaire du général Félix Malloum, la France a décidé d’un changement radical de sa politique tchadienne : elle apporte désormais un soutien indéfectible aux seigneurs de guerre originaires du BET (Borkou-Ennedi-Tibesti). Pourquoi ? Une analyse rétrospective conclut à la manipulation de l’ethnisme, dont l’exacerbation a conduit au génocide des Tutsi au Rwanda en 1994.
La France sait par avance que tous les chemins qui mènent les seigneurs de guerre au pouvoir à N’Djaména passent nécessairement par Khartoum.
Aussi est-il nécessaire pour elle de mettre les points sur les i avec le duo el-Béchir - el-Tourabi par rapport à l’enjeu que représente le Tchad.
Dans la perspective d’un Idriss Déby au pouvoir à N’Djaména, le triangle des “ 3 E ” (Elysée, Elf, Etat-major) ne souhaite plus que le Darfour serve de base arrière aux rebelles tchadiens. C’était cela le contrat dont l’une des clauses a été l’entrée d’Elf, par la grande porte, dans le consortium d’exploitation du pétrole tchadien.
1. Le Tchad d’Idriss Déby est le prolongement du Soudan par d’autres moyens
Le Tchad est le terrain d’expérimentation de la dictature militaro-religieuse installée à Khartoum.
Tout comme au Soudan, la motivation première qui a conduit une fraction d’élite clanique à prendre le pouvoir à N’Djamena est le pillage des ressources nationales.
Au Tchad tout comme au Soudan, ce pillage s’accompagne d’une répression sauvage de la population.
L’organe de cette répression au Tchad est constitué par la Garde Présidentielle, une police sécrète, des unités d’élite de l’armée clanique dont bon nombre sont des Zaghawa Soudanais.
Au Tchad tout comme au Soudan, il fallait exporter l’idéologie intégriste d’el-Tourabi.
Le Soudan veut une mainmise politique sur le Tchad par l’expansion de son idéologie intégriste.
La propagande d’une idée coûte moins cher qu’une annexion politique, quoique au Tchad nous ne sommes pas loin de l’annexion pure et simple.
Le problème est que si le racisme et l’apartheid sont la face immergée de cette idéologie qui réaffirme la supériorité de la race blanche des Arabo-musulmans du Nord sur les autres composantes noires de la population du Soudan, il n’y a pas au Tchad, à proprement parler, une différenciation des Tchadiens par la couleur de leur peau.
Tous les Tchadiens sont de race noire et/ou d’origine négro-africaine.
Qu’à cela ne tienne ! Les identités secondaires et composites des Tchadiens ainsi que leurs confessions religieuses, ayant servi de tout temps d’explications fallacieuses aux historiens européens et arabes, communément connues sous l’appelation “ clivage Nord-Sud ”, vont être exacerbées par la fraction d’élite clanique Zaghawa pour générer des conflits éleveurs-paysans d’une rare gravité, jamais connue dans l’histoire du Tchad.
C’est ce que nous allons démontrer dans les pages qui suivent. Mais avant tout, quelle est l’origine de cette fraction d’élite clanique Zaghawa au pouvoir à N’Djamena ?
2. L’origine
de la fraction d’élite clanique
Zaghawa au pouvoir à N’Djamena
L’héritage de la colonisation (anglaise au Soudan et française au Tchad) a séparé l’ethnie Zaghawa vivant de part et d’autre de la frontière entre le Tchad et le Soudan.
Le Président actuel du Tchad, le général Idriss Déby, est issu de cette ethnie.
“ Les Zaghawa se donnent à eux-mêmes le nom de Béri… Les Béri se subdivisent en plusieurs groupes, sous-groupes puis en clan et en familles.On peut estimer qu’ils représentent aujourd’hui une population de 300 à 350 000 individus. Ils se divisent grosso modo en trois grands groupes, par ordre d’importance :
-le groupe Wegui (Tower), dont les membres vivent exclusivement au Soudan, au Nord Ouest du Dar-for ;
-le groupe Kobé vit majoritairement au Tchad, au Nord-Est du Ouaddai, dans la sous-préfecture d’Iriba (Biltine) et une autre partie de l’autre côté de la frontière, au Soudan ;
-le groupe Bideyat enfin, se trouve dans la sous-préfecture de l’Ennedi (BET). Les Bideyat se subdivisent en deux sous-groupes distincts : les Borogat et les Biriyéra qui vivent autour du point d’eau d’Am Djeres.
Parmi ces trois groupes Béri, celui des Bideyat est le moins nombreux ; les Borogat y sont majoritaires et les Biriyéra minoritaires. Ce dernier sous-groupe , caractérisé par un esprit d’anarchie, n’a pas connu une organisation sociale de type hiérarchisé. Il a vécu longtemps isolé dans une sorte de no man’s land, en marge de l’autorité et de l’évolution du reste de la société Béri. Jusqu’à une date récente, beaucoup de membres du groupe Biriyéra ont vécu loin des courants d’idées et sans contacts avec les populations avoisinantes, à part des relations conflictuelles dues à une de leurs activités favorites : la razzia. C’est un groupe social dans lequel il existe un dédain de toute propriété d’autrui. Il n’y a pas si longtemps, ses membres tiraient gloire des vols commis au détriment d’étrangers. Idriss Déby est issu de ce sous-groupe, connu également sous le nom de Bilia ”5
Ancien chef d’Etat-Major de l’armée sous le régime du dictateur Hissène Habré (aujourd’hui en exile doré à Dakar), le colonel Idriss Déby d’alors tenta un coup d’Etat en 1989. Il échoua et se réfugia au milieu de ses frères Zaghawa du Soudan, l’année même où la junte militaro-religieuse du duo el-Bechir – el-Tourabi prenait le pouvoir à Khartoum.
La DGSE (Direction Générale de la Sécurité Extérieure), notamment ses officiers Paul Fontbonne et Jean-Claude Mantion, était très influent auprès de la nouvelle junte militaro-religieuse soudanaise. Si les services secrets français, y compris la DST (Direction de la Sécurité du Territoire) et la DRM (Direction du Renseignement Militaire) sont tombés sous le charme d’el-Tourabi, notre Idriss Déby national n’était pas en reste, lui qui considérait Hassan el-Tourabi “ comme son père spirituel ”2.
Avec l’aide d’Elf, de la DGSE, de la Libye et de conseillers et hommes d’affaires soudanais issus du Front Islamique du Soudan, le colonel Idriss Déby réussit alors à prendre le pouvoir à N’Djamena, le 1er décembre 1990.
Son armée, qui chassa Hissène Habré, était composée essentiellement de soldats et officiers de l’ethnie Zaghawa.
Les Zaghawa tchadiens, ramenant dans leur convoi leurs frères du Soudan, écument l’armée, la police, la gendarmerie, les services spéciaux, la fonction publique, les établissements ou services publics jugés juteux.
Leurs principales activités de rapine incluent les contrats de sous-traitance, les postes rémunérateurs dans le consortium pétrolier, le détournement des aides internationales, le pillage des sociétés d’Etat, trafic de drogues et de fausses monnaies, les appels d’offre internationaux.
Ils créent des sociétés-écrans et partagent entre eux des actions ou dilapident les fonds destinés à la réalisation des projets d’intérêt public.
3.Quelques illustrations du pillage du Tchad par l’élite
clanique Zaghawa au pouvoir
1. La construction du pont à deux voies sur le fleuve Chari à N’Djamena, confiée en dépit du bon sens à la société soudanaise Afcorp-Tchad “ qui n’a ni la capacité technique, ni le personnel qualifié, ni les moyens au regard de son capital ”6, est à mettre à leur crédit. On comprend alors pourquoi les fondements de ce pont ont été à plusieurs reprises déboulonnés.
2.C’est encore eux qui ont détourné l’aide allemande pour la construction du tronçon de route bitumée Guéledeng-Kélo à double voie . Ce détournement de l’aide s’est fait via un appel d’offre international.
Au Tchad, les appels d’offre internationaux sont une imposture commerciale. Pourquoi ? Une société de référence internationale a remporté le marché. Mais le premier cercle de décision c’est-à-dire les membres de la famille et du clan d’Idriss Déby , a préféré confier la réalisation de ce projet à une entreprise italienne, non pas parce qu’elle est plus compétente ou incompétente mais tout simplement par ce qu’elle a accepté d’arroser au passage les membres du premier cercle avec les dessous de table prélevés sur le montant initial de l’aide. Résultat : au lieu d’avoir une route nationale bitumée à deux voies, les Tchadiens ont une route à une seule voie avec diminution de l’épaisseur du goudron et de la largeur de la route.
3. Ne parlons plus de la Société Cotonnière du Tchad (CotonTchad) : c’est “ un trésor privé” en dépit des injonctions de la Banque Mondiale. Le premier cercle y “ pioche quand il veut et comme il veut ”6.
4. Savez-vous que dans le cadre des infrastructures routières et aériennes à créer dans la région d’exploitation du pétrole, il est prévu la construction d’un aéroport de classe internationale à Komé (en décembre 2001, Idriss Déby a confirmé en personne la réalisation de ce projet à la délégation de la Commission Dialogue et Paix de la coaltion d’opposition CMAP à Komé-Base). Ce projet est enterré car le fonds destiné à sa réalisation est, comme à l’accoutumée, dilapidé. A la place, il n’y a ni autoroute ni route nationale bitumée qui puissent relier Komé-Base aux principales villes de la région. Résultat : dans leurs va-et-vient sur les routes en latérite, les camions gros porteurs soulèvent des poussières rouges qui affectent les voies respiratoires de la population vivant dans la zone. Aucune étude épidémiologique n’est envisagée à ce jour pour évaluer l’ampleur du dégât.
5. Si à ce jour le Tchad n’a pas eu son indépendance énergétique pour se retrouver à la merci des délestages intempestifs en dépit de sa richesse en pétrole et en gaz et en dépit des chutes Gauthiot dans le Mayo-Kebbi, la responsabilité en incombe à ce groupe mafieux. Le projet de construction de la raffinerie de N’Djamena dépendait de la construction d’un pipeline qui drainerait le pétrole de Sidigui (près du Lac Tchad) vers la capitale. Après une série de péripéties (empilement de fausses factures sur fausses factures avec des entreprises occidentales), le projet est finalement confié à Chad Petroleum Company (CPC), une société soudanaise. Encore le Soudan. Décidément, quand tu nous tiens ! M. Acheikh Ibn Oumar Idriss Youssouf, le directeur général de cette société, un richissime homme d’affaires soudanais venu au Tchad au début des années 90 dans le sillage d’Idriss Déby, a été assassiné à N’Djamena dans des conditions obscures. Au royaume de la mafia, il s’agit là tout simplement, sur fond de désaccord dans la répartition des dessous de table, d’un règlement de comptes qui s’est mal terminé. Cet assassinat a définitivement enterré le projet.
4.En matière de
démocratie
Le Tchad a une démocratie de façade.
Le pluralisme politique n’est qu’apparent. En réalité, l’objectif recherché par Idriss Déby dans ces subtilités d’usage est de faire de son parti, d’une manière constitutionnelle, un parti unique.
Ce parti unique, qui n’admet ni débat d’idées ni contradictions mais seulement l’allégeance à son leader, s’appelle le Mouvement Patriotique du Salut (MPS).
Pour notre part, nous ne pousserons pas l’outrecuidance à qualifier le MPS de “ Mafia Propulsée par le Soudan ”.
“ Le MPS est né en réaction à une des plus féroces dictatures de notre génération, une dictature qui continue à hanter encore les esprits du peuple tchadien. A sa naissance, il a regroupé des patriotes révoltés des pratiques du pouvoir totalitaire de Habré d’une part, et des patriotes épuisés par les divisions et tergiversations d’une opposition dont l’exil avait trop duré d’autre part. Ces patriotes sont de tous les horizons du Tchad, sans distinction d’ethnie ni de confession. ”.7
Dans la structure organique de ce parti, les Béri (Zaghawa) sont majoritaires ; viennent ensuite les Hadjaraye, les Arabes du CDR-Conseil Démocratique Révolutionnaire restés en Libye (hormis les CDR d’Acheikh Ibn Oumar), puis enfin les FAT (ce qui reste des Forces Armées Tchadiennes, les Sudistes, représentées par le général Nadjita Béassoumel).
La plupart des cadres de la première heure de ce parti vont servir de faire-valoir, être pressés comme des citrons pour les besoins de la cause et jetés comme des malpropres. Nous pensons à Ngar Nédigam, au général Nadjita Béassoumel, au colonel Djibrine Dassert, à Ousman Gam, mort à l’étranger dans des conditions indignes d’un intellectuel organique du MPS, à l’incarcération puis la mise à l’écart temporaire de Maldom Bada Abbas… La liste des laissés-pour-compte est loin d’être exhaustive.
Le dernier en date à être sur la touche, pour crime de lèse-majesté, est Ahmat Hassaballah Soubiane, ancien ambassadeur du Tchad auprès des Etats-Unis et du Canada, l’un des membres fondateurs du MPS.
Le pouvoir fait une lecture sélective de la liberté de la presse, de la liberté d’association, des libertés syndicales et de la société civile
Les élections organisées par le pouvoir sont une mascarade avec refus de l’alternance démocratique.
14 années de pouvoir ont fait du Général-Président Idriss Déby l’un des dictateurs les plus sanguinaires au monde (cf. les ouvrages 5 et 6).
A coup de fraudes électorales, assassinats, corruption, il a modifié en mai 2004 l’Art. 61 de la Constitution tchadienne, qui limite le pouvoir présidentiel à deux mandats de 5 ans, afin d’assurer la pérennité de son pouvoir et profiter du revenu à échoir de l’exploitation du pétrole de Doba.
Comme au Soudan, il nous est impossible nous taire sur les pratiques génocidaires de l’élite clanique au pouvoir au Tchad.
5. Idriss
Déby et son armée clanique entretiennent
une terreur politique au Tchad qui
autorise à s’interroger sur son caractère génocidaire
Rappel de l’Art.6 du Statut de Rome de la Cour Pénale
Internationale :
“ Aux fins du présent Statut, on entend par crime de génocide l’un quelconque des actes ci-après commis dans l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel :
a) Meurtre de membres du groupe ;
b) Atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale de membres du groupe ;
c) Soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle ;
d) Mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe ;
e) Transfert forcé d’enfants du groupe à un autre groupe ”.
Le vécu des Tchadiens, toutes tendances et confessions religieuses confondues, permet de dire qu’un climat de terreur a été instauré, accompagné d’effusions de sang et/ou de la création de conditions de vie insoutenables pour les groupements ethniques qu’on voudrait éliminer, forcer à quitter leurs territoires d’origine ou déporter vers d’autres régions. Dans quelles catégories de crimes classifie-t-on les pratiques de l’armée clanique d’Idriss Déby, qui consistent à empoisonner les puits et les points d’eau potable, à poser les mines antipersonnel, à incendier les villages, à massacrer les innocentes populations civiles, à déporter des citoyens comme des esclaves… ?
Dans leur ruée vers les régions de l’or noir, nos compatriotes de la zone septentrionale, du Centre et de l’Est, liés au pouvoir clanique par la seule fibre confessionnelle (la religion musulmane), achètent à gros renforts de liasses de francs CFA des parcelles de terrains aux populations autochtones pauvres.
Les entités administratives prises d’assaut par les mêmes coreligionnaires facilitent l’accession à des titres de propriété par la falsification des titres fonciers existants.
Les mosquées, dans des régions historiquement animistes et chrétiennes, poussent comme des champignons.
Le comportement conquérant de nos compatriotes musulmans, encouragé par les autorités administratives et militaires, rend la cohabitation interethnique impossible.
Les exemples de cette cohabitation impossible abondent. Le 21 mars 2004 a eu lieu le massacre des paysans de Maïbogo dans le canton de Yomi (sud du Tchad). Le procès qui s’en est suivi a condamné à la peine capitale des innocents, alors que les véritables auteurs du massacre courent toujours. Citons encore les affrontements interethniques et interconfessionnels du 30 octobre 2004 à Bébédjia.
Ces actions sont dirigées contre des catégories ethniques et religieuses bien identifiées. On peut donc s’interroger sur le caractère génocidaire de ces actes.
6.Quelle est la nature du conflit
éleveurs-agriculteurs et pourquoi
la résolution de ce conflit
s’avère une mission impossible
avec Idriss Déby au pouvoir ?
On dit en thermodynamique que l’entropie (la mesure du désordre) de notre univers est croissante.
De la même manière, nous dirons que l’entropie du Tchad sous Idriss Déby est toujours croissante. Le désordre est la raison d’être de l’élite clanique Zaghawa au pouvoir.
Au Tchad, nous avons à faire à un véritable pouvoir des rentiers de la guerre et du désordre. Le Général-Président Idriss Déby l’a reconnu lui-même en parlant “ de la kermesse du désordre ” qui sévit dans son pays.
Un Tchadien vivant quotidiennement les affres du pouvoir clanique nous dit un jour : “ Pour vous représenter le désordre et l’insécurité qui sévissent au Tchad, imaginez-vous un seul instant la roue d’une bicyclette. Celle-ci tourne dans tous les sens : en avant, en arrière, à gauche, à droite. Bref, vous pouvez la pivoter dans tous les sens comme bon vous semble. Aussi désorientés et désordonnés que semblent paraître les mouvements de la roue, celle-ci a des rayons qui sont tous orientés vers le centre de gravité. Le centre de gravité de la roue régule le désordre des mouvements.
Idriss Déby, situé au centre de gravité de la roue tchadienne, est le seul qui régule l’ordre du désordre au Tchad. ”
Nous ne ferons pas l’apologie d’un Idriss Déby régulateur du désordre tchadien comme l’ont fait Paul Fontbonne et ses amis de la DGSE quand ils ont tenté, pendant les présidentielles de 1996, d’influencer le vote des Tchadiens en faveur de ce dictateur au nom de ce qu’ils appellent “ la politique du moindre pire ”. La différence entre nous, c’est que nous avons identifié le géniteur de la kermesse du désordre, qui ne relève pas du fatalisme.
Toute décision d’Idriss Déby visant à faire cesser la kermesse du désordre et à combattre l’insécurité, ne sont que de pures diversions.
Une question tout de même mérite d’être posée : jusqu’où ira le degré de TOLÉRANCE DES TCHADIENS, à force d’être malmenés comme des objets dans tous les sens ? Peut-être entreront-ils dans une folie collective ? Peut-être même que leur RÉVEIL tardif n’est pas à exclure, car l’histoire montre qu’il y a toujours une LIMITE à la tolérance, une LIMITE à accepter l’INACCEPTABLE.
Revenons à l’insécurité dans nos villes et campagnes et à une cohabitation interethnique transformée en hérésie.
Les autorités militaires et administratives civiles (pour la plupart membres de la famille, du clan ou thuriféraires du régime), placées par le Général-Président Idriss Déby à la tête des régions et départements, préfectures et sous-préfectures, cantons et postes administratifs, sont toutes propriétaires de têtes de bétail.
Elles recrutent les éleveurs nomades, naguère pacifiques et respectueux des couloirs de transhumance des troupeaux, dans les années 60-80. Elles les dotent en armes et leur délivrent des permis de faire paître leurs troupeaux dans les champs des paisibles paysans qui, il y a une décennie encore, vivaient en harmonie avec les éleveurs.
Dans ces conditions, tout le monde s’attend à ce que naissent des conflits. Aucun dialogue n’est possible. La haine, le mépris de l’autre sont à fleur de peau. Tout propos, tout acte inconsidéré, dégénèrent rapidement en affrontement avec crimes et homicides. Comment peut-il en être autrement ?
Si les éleveurs nomades vivent de ce commerce par leur allégeance aux autorités militaires et administratives, les paysans, eux, tirent leur revenu à la sueur de leurs fronts.
En détruisant les plantations, les troupeaux de bœufs créent en même temps des conditions de vie insoutenables pour les paysans. Si vous couplez cela avec les rackets de la population commis par les mêmes autorités, et par des coupeurs de route (phénomène zaraguina) sortis des rangs des forces de sécurité dépendant des dites autorités, vous constaterez que la survie des populations de la zone méridionale ne tient qu’à un fil.
Si les mêmes autorités ne veulent pas cesser cette pratique ni lever le moindre bout de doigt en faveur des paysans qui sont dans leurs droits fondamentaux, c’est qu’elles veulent les pousser à la sortie : les inciter à quitter leurs régions natales. C’est ce qu’on appelle le génocide qui se pratique, de façon concomitante, avec ou sans effusions de sang.
Nous tenons à mettre en garde les uns et les autres sur les interprétations tendancieuses de nos propos. Les Tchadiens sont prompts à faire des raccourcis dans le domaine du débat d’idées et aiment qu’on leur dise ce qu’ils veulent entendre, à savoir le politiquement correct ou la politique de l’autruche.
Ceci étant dit, nous concevons que nos compatriotes musulmans ont le droit de s’installer dans la zone méridionale. Tout Tchadien a le droit de s’installer dans n’importe quelle région, où bon lui semble. Ce que les colons français appelaient “ le Tchad utile ” (par leur méconnaissance des richesses naturelles du Tchad), n’est pas de droit une propriété des Sudistes. Aujourd’hui, tout le monde s’accorde à trouver que le Tchad est “ un scandale géologique recelant des potentialités avérées en minerais ” et dont “ le sol est une manne agricole et pastorale inégalée ”. Il n’y a pas lieu de se bousculer au portillon d’une région pour profiter des mannes qui découleraient de l’exploitation de sa richesse. Toutes les régions du Tchad sont riches. Il manque tout simplement à notre pays une politique de développement et d’intégration économique basée sur nos richesses nationales.
Ce que nous disons par contre, c’est que la politique rampante de colonisation et de peuplement du Sud par nos compatriotes musulmans, prônée depuis plus de deux décennies par les régimes de Hisseine Habré et Idriss Déby, une politique qui consiste à attiser la haine interethnique et interconfessionnelle, à pousser au paroxysme l’esprit conquérant et revanchard de nos compatriotes nordistes, qui ne respectent plus les us et coutumes des autochtones, ce qui aboutit à des affrontements quotidiens, est INADMISSIBLE et INACCEPTABLE. C’est un comportement et une attitude GRAVISSIMES qui confirment les inquiétudes des Tchadiens et des observateurs : “ le Tchad d’Idriss Déby va vers un champ de mines avec comme au Rwanda un co-pilotage français ”2.
De même, il faut arrêter de faire l’amalgame. Tous les Zaghawa ne sont pas comptables des actes criminels et attentatoires à la dignité humaine commis par Idriss Déby. Comme nous avons pu le voir dans la différenciation des Béri, tous les Zaghawa n’appartiennent pas au clan d’Idriss Déby. Tout comme les autres ethnies, les Zaghawa sont majoritairement utilisés pour servir de faire-valoir.
Pour conclure, nous refusons l’amalgame selon lequel tous les musulmans (Nordistes) sont des pro-Déby, revanchards et colonisateurs du Sudiste kirdi, animiste et chrétien.
Nous condamnons aussi fermement l’esprit “ intégriste ”rampant de certains de nos compatriotes Nordistes (musulmans) qui prônent la supériorité de leur culture et de la religion musulmane et leur imposition au Sud du pays, peuplé par les “ sous-hommes, mangeurs de rats ”.
Le Tchad est une République laïque (Art. 1 de la Constitution), l’islamisation rampante et sournoise du pays, exécutée par le pouvoir et soutenue par une certaine élite nordiste musulmane, est incontestable. C’est une violation flagrante de la Loi fondamentale de la République, aux conséquences incalculables sur l’avenir du pays.
7. La boîte de Pandore de la déstabilisation de l’Afrique
centrale par le Général-Président
Idriss Déby est largement ouverte :
Après avoir utilisé le bonus pétrolier pour acheter des armes, des chars, des mines, des moyens de transport de troupes blindés, des munitions et de l’artillerie lourde pour “ pacifier ” le Tchad, Idriss Déby s’est plusieurs fois substitué à la France pour devenir le “ gendarme de l’Afrique centrale ”.
La Centrafrique d’Ange Félix Patassé est dans le collimateur de l’Elysée et de la fraction d’élite clanique Zaghawa au pouvoir à N’Djamena.
Pour Jacques Chirac et l’Etat-Major français, il fallait punir le Président Patassé pour son crime de lèse-majeste : avoir ordonné le départ des forces françaises prépositionnées à Bouar.
Pour Idriss Déby, il fallait sécuriser la zone pétrolifère de Doba en coupant l’herbe sous les pieds des futurs rebelles sudistes dont les bases arrières étaient situées en Centrafrique.
Ainsi, tout comme au Congo-Brazza, un Président d’Afrique centrale a été chassé du pouvoir avec le concours de soldats tchadiens sans que cela n’émeuve le moins du monde la communauté internationale.
DARFOUR.
C’est en février 2003 que naît la rébellion dans le Darfour. Il s’agit de deux mouvements rebelles : le Mouvement de Libération du Soudan (MLS), avec son bras armé l’ALS (Armée de Libération du Soudan), et le Mouvement pour la Justice et l’Egalité (MJE) du Dr Khalil Brahim:
Ces mouvements rebelles prétendent occuper “ tous les Etats du Darfour, du Kordofan, les monts Nouba, la zone de Moudjila et de Baba Moussa, l’Est du Soudan dans la zone de Port-Soudan et la région Nil Bleu autour de Damazine Guiza ”8.
Initialement,
cette rébellion a été provoquée par
les Zaghawa du Tchad, principalement par
la fraction d’élite clanique Zaghawa
au pouvoir à N’Djamena. Il est également vrai qu’aujourd’hui, la situation
semble échapper totalement à leur contrôle. Ce qui paraissait pour eux comme
une promenade de santé, s’est rapidement transformée en une épuration ethnique
et un génocide.
1. Les raisons des
liaisons dangereuses :
a) côté tchadien : le rêve du Zaghawaland
Le Dr Khalil Brahim du MJE est l’homme d’el-Tourabi; il est un ancien commandant de la défense militaire de Khartoum
Le Dr Khalil Brahim est le cousin germain de Daoussa Déby 8 qui est le demi-frère d’Idriss Déby.
Le MLS est dirigé par les Zaghawa soudanais dont la parenté avec les Zaghawa du Tchad, actuellement au pouvoir, ne fait l’ombre d’aucun doute.
Les Zaghawa du Soudan ont estimé que la période pendant laquelle ils ont été enrôlés pour combattre les Noirs mécréants chrétiens ou animistes de l’APLS du Sud–Soudan, de gré (sur la base confessionnelle de la religion musulmane) ou de force (dans les Forces de Défense Populaire), est révolue. D’autant plus que les arabo-musulmans de race blanche du Nord-Soudan les considèrent comme des citoyens de seconde zone. L’heure de la revanche a sonné.
Ils aspirent eux aussi à arracher le pouvoir à la junte militairo-intégriste installée à Khartoum. A cet effet, ils réclament un renvoi d’ascenseur au Général-Président Idriss Déby, qu’ils avaient aidé militairement et financièrement à prendre le pouvoir au Tchad. Certains officiers et soldats de l’armée tchadienne sont d’ailleurs des Zaghawa soudanais, qui ont combattu Hisseine Habré aux côtés du colonel Idriss Déby. –.
Idriss Déby est ainsi devenu le parrain et la base arrière de la rébellion soudanaise du Darfour, pour ce renvoi d’ascenseur mais aussi pour réaliser le cahier des charges de ses propres ambitions impériales en Afrique.
Pour ce qui est de la fraction d’élite clanique Zaghawa au pouvoir au Tchad, l’impunité de ses crimes contre l’humanité d’une part, le fait d’autre part qu’elle s’autorise le rôle de gendarme de l’Afrique centrale sans aucune mise en garde de la communauté internationale, sont des incitations à plus de défiance.
Le rêve d’un Zaghawaland d’Idriss Déby a pris forme : il s’agirait d’un vaste empire Zaghawa qui s’étendrait du Tchad vers la Centrafrique pour boucler la boucle au Soudan.
L’Elysée soutient et “ contient ” cette folie des grandeurs d’Idriss Déby pour une raison simple : damer le pion aux Américains.
Tout le monde sait que la région du Sud-Soudan, mais également le Darfour, ont une forte odeur d’or noir. Le pétrole, qui a été de tout temps le nerf de la guerre des réseaux, va être l’élément déclencheur dans cette rébellion.
b) côté français : encore le syndrome de Fachoda et le pétrole
Sur le même registre du pétrole, l’enjeu pour la France n’est pas directement le Darfour, mais le bassin sédimentaire d’Erdis, situé à la frontière entre la Libye et le Tchad, une zone qui jouxte le Soudan… Ce bassin est actuellement prospecté par Cliveden/Encana 9,une société pétrolière canadienne
L’homme tchadien servant d’intermédiaire entre la société Cliveden/Encana et le premier cercle du pouvoir clanique d’Idriss Déby est Orozi Fodeibou, un Kamdja du BET. Le fils de cet ancien “ Monsieur Pétrole ” de Hisseine Habré est très ami avec celui d’Idriss Déby. TotalFinaElf est entrain de remettre le pied au Tchad à travers des réseaux : c’est Jean-François Hénin, bien connu dans l’affaire Exécutive Life, très actif au Congo-Brazza de Sassou N’Guesso et en Centrafrique de François Bozizé, qui a reçu la délicate mission d’approcher Idriss Déby.9
Le Tchad et le Soudan produisent déjà le pétrole. Les prospections des sociétés pétrolières américaines en Centrafrique et au Niger sont très prometteuses. Or, dans cette zone d’influence française, le Tchad est le seul pays à avoir un pipeline vers l’offshore. Donc, qui contrôle le Tchad, contrôle le droit du péage de l’or noir vers la mer.
Malheureusement pour la France, au Tchad tout comme au Soudan, ce sont les USA qui ont le monopole sur le pétrole. Une situation inadmissible pour le triangle des “ 3 E ”. Pour pouvoir rester dans le jeu, il faut aider le “ soldat Idriss Déby ”. Paris doit s’impliquer.
Avec la paix retrouvée au Sud Soudan, TotalFinaElf a repris ses activités de prospection à Bor Basin, très riche en pétrole. Elle contrôle déjà 100 000 km2 où elle doit mener des opérations d’exploration10.
Dans la logique des renifleurs pétroliers de l’administration de Georges W. Bush,
le pétrole a horreur du crépitement des armes. Déjà influents dans le bassin pétrolier de Doba (Exxon est le leader du consortium pétrolier), les Américains n’entendaient pas en rester là.
Exxon poursuit la prospection de ses champs pétroliers qui remontent vers le Soudan dans la région du Darfour Sud, en mordant sur le nord de la Centrafrique.
Une perspective qui réjouit le pouvoir fantoche de François Bozizé installé à Bangui.
Nous l’avons déjà dit, c’est cette raison d’Etat qui a poussé Idriss Déby à intégrer la Centrafrique à la stratégie sécuritaire de son régime.
Ce sont toujours les intérêts pétroliers qui ont motivé les émissaires de Georges W.Bush à abhorrer les hommes barbus au pouvoir à Khartoum.
Ils ont réussi avec succès à conclure un accord entre l’APLS de John Garang et le gouvernement soudanais pour ramener la paix dans cette région ravagée par des décennies de guerre.
Or, curieusement, c’est au moment même où les Américains ramenaient la paix et l’espoir au Sud Soudan qu’est né le MLS. Est-ce un hasard ? Absolument pas.
La convergence d’intérêts tchadiens et français a porté sur les fonts baptismaux les mouvements rebelles darfouriens.
Les Zaghawa tchado-soudanais des communautés Four et Massalit du MJE étonnent par leur puissance de feu.
Le pouvoir d’Idriss Déby, aménageant spécialement l’aéroport de Goz-Beida, équipe les rebelles en armes lourdes et en batteries aériennes.
Comme si cela ne suffisait pas, les poudrières de l’armée clanique tchadienne et des véhicules militaires ont été pillés au bénéfice des rebelles Zaghawa et une partie de la Garde Présidentielle(5 à 6 000 hommes) est sur le “ front soudanais ”9.
Si Idriss Déby et ses officiers Zaghawa ambitionnent, au plus fort de leur espérance, de prendre le pouvoir à Khartoum, et au plus faible de faire du Darfour au moins une région autonome sous mandat de l’ONU, avec exclusion aérienne, rattachée officieusement au Tchad par des liaisons claniques et par l’économie informelle, l’Elysée et l’Etat-Major français sont loin de souscrire à la réalisation de la première hypothèse. Pour deux raisons.
La première, c’est leur ressentiment contre les visées anglo-saxonnes au Soudan conjugué à leur affairisme dans le même pays : en langage clair : “ l’ennemi de mon ennemi, est mon ami ”
La deuxième à cause de la politique arabe de la France : l’Elysée, de De Gaulle à Jacques Chirac, ainsi qu’un certain nombre des décideurs politiques français, “ sont persuadés qu’eux seuls sont capables de comprendre les Arabes ”11. Si nous apprécions le soutien à la cause légitime de l’établissement d’un Etat palestinien et le rôle d’avant-garde de la France contre la guerre de l’administration Bush en Irak, nous ne pouvons pas dire que le bilan de la politique arabe de la France est globalement positif.
L’Elysée veut tout simplement contrer les efforts des USA, placés au cœur de la médiation du conflit inter-soudanais qui oppose le Nord et le Sud depuis un demi-siècle.
La France sait par ailleurs que “ dans un bras de fer entre le Soudan et le Tchad, les pays du Golfe, qui sont dans la mouvance du wahhabisme et de l’islamisme, seront derrière le Soudan ”12.
C’est pour cette raison que nous disons que l’Elysée soutient et “ contient ” à la fois cette folie de grandeur d’Idriss Déby, l’établissement d’un Zaghawaland. Le temps que Déby règle leur compte aux Yankees et permette à Total de remettre le pied au Tchad.
Misant sans doute sur leurs épopées légendaires du Darfour au Tchad et du Tchad à Bangui, les rebelles du Darfour et l’élite clanique Zaghawa au pouvoir à N’Djamena n’ont peut-être pas apprécié à leur juste valeur les rapports de forces – à l’intérieur de la junte militaro-intégriste au pouvoir à Khartoum et, à l’échelle internationale, dans le monde arabo-musulman.
Toujours est-il que le général el-Béchir, seul aux commandes du pays depuis qu’il a limogé el-Tourabi (au motif que “ deux capitaines, dans une tempête que traverse le Soudan, ne peuvent diriger le même navire ”), a trouvé là une occasion de renouer avec ses pratiques génocidaires : la purification ethnique des Zaghawa, fussent-ils musulmans, mais tout de même des Noirs qui vivent dans le Darfour.
El-Béchir fait appel à des bandes de soudards constitués en milices arabes, communément appelées Djandjawid, qui massacrent et tuent sans retenue hommes, femmes et enfants, mettent le feu aux villages et pillent des troupeaux. Ces massacres s’accompagnent d’une couverture aérienne soudanaise qui poursuit les rebelles du Darfour et de sa population apeurée dans leurs zones de repli, à l’intérieur du Tchad.
El-Béchir se moque royalement de l’espace aérien tchadien, qu’il viole quotidiennement avec son aviation sans que cela n’éveille la moindre protestation des autorités tchadiennes qui ne peuvent que constater les dégâts et faire appel aux sapeurs-pompiers constitués par la
communauté internationale et l’ingérence humanitaire.
Des contradictions naissent à l’intérieur du clan. Idriss Déby est l’otage permanent de ses frères Zaghawa du Darfour. S’ils l’ont aidé à conquérir le pouvoir au Tchad et à marcher sur la Centrafrique, ils sont également capables de changer leur fusil d’épaule. Les contradictions internes du clan ont failli coûter la vie au locataire du Palais Rose lors du vrai-faux coup d’Etat du 16 mai 2004, perpétré par sa Garde Républicaine clanique la plus lotie et la mieux payée.
Que cette garde prétorienne soit dissoute aujourd’hui ne change rien à la donne. Idriss Déby est aux abois. Les mesures de sécurité autour du Général-Président sont impressionnantes.
L’opération Dorcas mise en place par les Eléments Français du Tchad – un pont aérien entre N’Djamena et Abéché, sous prétexte d’apporter assistance aux réfugiés du Darfour – est une diversion.
La France sait par avance que tous les chemins qui mènent les seigneurs de guerre au pouvoir à N’Djaména passent nécessairement par le Darfour. Aussi s’est-elle empressée de barrer la route aux différents mouvements de la rébellion tchadienne qui profiteraient de la fragilité actuelle du pouvoir clanique d’Idriss Déby pour s’emparer du pouvoir à N’Djamena.
4. Conséquences
de l’incroyable légèreté de l’être d’Idriss Déby, imbu de son
impunité
Qu’ont ils apporté les 20 mois de guerre civile dans la région du Darfour ? Rien que des violations massives des droits de la personne et du droit humanitaire. Il y a eu des dizaines de milliers de morts.
Selon les Nations Unies, 1,45 million de personnes ont été déplacées et environ 200 000 autres ont été contraintes de s’exiler au Tchad.
Tout comme le conflit dans la région des Grands Lacs1, l’imbroglio du piège ethnique est également inextricable dans cette guerre civile au Darfour.
Les Arabes tchadiens (Misséria, Mihrié, Rizeqat, Mahamit), qui ont subi les mêmes affres de la dictature d’Idriss Déby que les autres ethnies du Tchad, sont les mêmes qui, de l’autre côté de la frontière, sont organisés par el-Béchir en milices appelées Djandjawid. Est-ce une raison suffisante pour franchir le pas et jeter l’opprobre aux Arabes tchadiens ? Nous ne le pensons pas. Mais ce pas est tout de même franchi par les Zaghawa qui, actuellement, n’arrêtent pas de faire l’amalgame avec les Arabes tchadiens. Ces derniers sont constamment sous pression et accusés d’être la “ cinquième colonne ” des Djandjawid 8 soudanais au Tchad.
Il est INADMISSIBLE ET INACEPTABLE que Idriss Barh Abo, Secrétaire Général du MJE, pousse l’outrecuidance jusqu’à affirmer que “ le gouvernement soudanais est en train de former des troupes dans les rangs des Djandjawid pour Hassaballah et Acheik Ibn Oumar ”, deux chefs rebelles tchadiens.
Il faut arrêter la manipulation du piège ethnique qui risque de conduire tout droit au génocide des Tchadiens, comme cela fut le cas des Tutsi au Rwanda.
V. Références bibliographiques :
http://www.ialtchad.com/archives.htp ou http://survie67.free.fr/Manifestations/G8_evian/JPBoulada_Conflits_africains.PDF p.2
2. François-Xavier Verschave :Dossiers noirs N°3 : France, Tchad, Soudan au gré des
clans. Ed. L’Harmattan, Paris, 1996, pp. 149-150 ; 161 ; 177 ;172.
3. L’Observateur n° 271 du 25 février 2004, p. 2.
4. Agir ici et Survie, Les liaisons mafieuses de la Françafrique, in Dossiers noirs n°1 à 5, Ed. L’Harmattan, Paris, 1996, p. 108.
5. Bichara Idriss Haggar : Tchad : Témoignage et combat politique d’un exilé.
Ed. L’Harmattan, Paris, 2003, p. 14-15.
6. Ngarlejy Yorongar : Tchad : Le procès d’Idriss Déby. Témoignage à charge
Ed. L’Harmattan, Paris, 2003, p. 123-124.
7. Extrait de la lettre de M.Ahmat Hassaballah Soubiane aux membres du Conseil National du
Salut à l’occasion des assises du 3ème Congrès du MPS, Washington, 12/01/2004.
8. Interview d’Idriss Barh Abo, Secrétaire Général du MJE, au Journal Le Temps n° 177 du 10
au 16 août 2004.
9. La Lettre du Continent du 15 juillet 2004.
10. Ndjamena-Bi-Hebdo n° 744 du 23 au 25 février 2004.
11. François-Xavier Verschave :France-Afrique : le crime continue. Ed. Tahin Party, Lyon, 1998, p. 34.
12. Le Temps n° 373, du 14 au 20 janvier 2004, p. 3.