SITUATION POLITIQUE
AU SOUDAN, AU TCHAD
ET ÉCLAIRAGES DE LA SITUATION
DANS LE DARFOUR
 

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(Par Jean-Prosper BOULADA, Président du Front Uni pour l’Alternance Démocratique au Tchad –FU/ADT),contribution de Survie-Bas-Rhin (Alsace) à la campagne de SURVIE sur les soutiens multiformes de l’Elysée aux dictatures africaines)

 

I.Introduction :

A l’heure où la situation politique au Tchad semble totalement bloquée, où les Tchadiens définitivement  désabusés, se résignent à considérer le plébiscite d’une présidence à vie d’Idriss Déby comme quelque chose d’inévitable, à l’heure où le blanc-seing de la communauté internationale  à la nouvelle fonction de “ gendarme de l’Afrique ” assignée à Idriss Déby a produit  ses effets collatéraux  dans le Darfour, nous avons voulu un peu réagir. Loin  du côté spectacle de ces événements, nous avons voulu donner notre analyse de la situation, une manière à nous de participer  en tant que résistants tchadiens et africains  à la campagne actuelle de SURVIE sur les soutiens multiformes de l’Elysée aux dictatures africaines.

Si nous voulons comprendre la situation actuelle au Tchad, nous devons remonter à la racine des problèmes qui se trouvent au Soudan.

Le Tchad est le terrain  d’expérimentation des pratiques génocidaires de la dictature militaro-religieuse   installée au pouvoir à Khartoum.

Et le Darfour ? Cette région, en proie  à une rébellion  sans précédent, fait la une de l’actualité mondiale : les mêmes causes produisent les mêmes effets, les pratiques génocidaires et l’épuration ethnique.

L’ingérence  humanitaire  emboîte le pas aux politiques dans un vacarme et un tohu-bohu total qui éludent plus qu’ils n’élucident les causes de ce génocide.

Quels sont les acteurs soudanais et tchadiens de ce crime  contre l’humanité et les puissances occidentales qui le soutiennent ?

Notre approche didactique nous oblige à jeter un coup d’œil sur le passé du Soudan, ce qui éclaire  le présent et permet  d’entrevoir  l’avenir de ces deux pays, et, au-delà, de toute la région.

II.NATURE DE LA DICTATURE MILITARO-RELIGIEUSE AU SOUDAN

 

Le 30 juin 1989, un coup d’Etat contre  le  Président el-Nimeiry  a porté au pouvoir une junte militaire  présidée par le général Omar  el-Bechir, avec l’appui du Front National Islamique d’Hassan el-Tourabi.

1. Pratiques  génocidaires

Pour cacher leurs motivations  premières  de pillage des ressources nationales, le duo trouve  indispensable la pratique génocidaire et de l’apartheid

Une division du travail s’est donc opérée :

Pour Oumar el-Béchir, la guerre  civile  est le moyen d’exercer une répression  féroce  sur la population, ce qui permet  en même temps de faire prospérer  les affaires : c’est le côté “ arme de la critique ”, c’est-à-dire la pratique.

Mais el-Tourabi, musulman intégriste  radical de son état, diplômé, s’il vous plaît, de la Sorbonne, maniant aussi bien la langue de Voltaire  que celle de Shakespeare, ne peut ignorer les limites de la pratique, celle qui veut que tous les moyens soient bons , pourvu qu’ils vous permettent  d’atteindre votre but.

 

2.Théorie  du racisme  et  d’apartheid

Pour el-Tourabi, il faut ajouter à “  l’arme de la critique ” “ la  critique  des armes ”, c’est-à-dire la théorie  ou une idéologie, même si cette vérité  sort de la mémoire  d’outre-tombe de Karl Marx, athé radical  de son état.

Certes, la théorie ne peut pas remplacer la pratique, mais la théorie  est capable de devenir une force matérielle  dès qu’elle a l’adhésion des masses populaires. Elle ne peut avoir l’adhésion des masses populaires que si elle procède à des démonstrations touchant à la racine des hommes musulmans. Or la racine pour l’homme musulman, c’est le musulman lui-même.

Donc, la tâche qui incombe à el-Tourabi, c’est l’élaboration  et la mise en pratique d’une idéologie intégriste, qui puisse mobiliser le désarroi  de la population soudanaise, suscité par la crise économique : le hic, c’est que cette idéologie renferme  tous les germes du “ piège ethnique ” ou de l’ethnisme c’est-à-dire  “  la manipulation d’identités secondaires et composites, qui chauffées au rouge, génèrent des clivages radicaux, servant d’explications fallacieuses ”1.

 

 

 

3. Crimes contre l’humanité

Le racisme et l’apartheid  sont la face immergée  d’une idéologie qui réaffirme  la supériorité  de la culture  et de la religion  de la race blanche des Arabo-musulmans du Nord sur les populations négro-africaines  musulmanes et /ou animistes et chrétiennes  de l’Ouest et du Sud.

C’est une idéologie totalement  fascisante pour plusieurs raisons :

-Elle viole les droits de l’homme

-Elle fait une interprétation   sélective de l’islam dont elle veut s’assurer le contrôle grâce à la répression

-Elle trouve légal de poursuivre  le jihad en recourant  à la terreur, à la torture, à la famine et aux traitements  dégradants comme armes pour islamiser le pays, et de recourir  à  des exécutions extra-judiciaires  contre  tous ceux et toutes celles qui mettent  en question la vision étroite  de l’Etat  islamique

-Elle  exacerbe  l’ethnisme par la fibre  confessionnelle en opposant les ethnies de race noire mais musulmanes des régions du Darfour  et Bahr El Ghazal contre les Noirs mécréants chrétiens ou animistes dans le Haut Nil et dans l’Equatoria  au Sud Soudan.

A l’actif du duo el-Béchir - el-Tourabi, on dénombre pendant les deux décennies de guerre  civile, au moins 1,3 million de Soudanais massacrés, 4 millions des déplacés sur les 5 millions2 d’habitants du Sud Soudan : c’est un véritable génocide.

Le bras armé du duo est constitué par des bandes de soudards et des milices tribales  recrutées dans les ethnies arabes Rizeiqat et Misseriya puis enrôlées  dans les Forces de Défense Populaire.

A la poursuite des combattants de l’Armée Populaire  de Libération  du  Soudan (APLS) de John Garang, ces forces :

-tuent  aveuglement des civils,

-incendient  des habitations,

-pillent  des biens et des troupeaux,

-violent  les femmes et les prennent avec les enfants en captivité pour les réduire  en  esclavage dans le Darfour  et le Kordofan,

et ce, dans l’indifférence la plus totale de la communauté internationale.

 

4. Les responsabilités  occidentales

a) La Grande-Bretagne et les USA

La grande-Bretagne, puissance colonisatrice  du Soudan, et les Etats-Unis n’ont pu faire mieux  que rompre  toute relation  politique  et diplomatique  avec le Soudan car leurs opinions publiques ne peuvent plus supporter les images atroces des pratiques génocidaires  sur leurs écrans de télévision.

Les USA, à cause du pétrole et/ou de l’impact du vote des Noirs-Américains, ont soutenu l’APLS.

b) La France

Quelle a été et quelle est la position de la France ?

On peut dire, pour simplifier, que tout ce qui n’est pas bon pour les Anglo-Saxons, est bon pour la France, syndrome de Fachoda oblige.

La France trouve  là une occasion rêvée de prendre  pied sur une zone d’influence anglaise qu’elle avait vainement cherchée  à s’accaparer en 1898 en lançant son corps expéditionnaire  colonial dirigé par Marchand contre celui de l’Angleterre  dirigé par Kitchener. Celui-ci  contraignit  Marchand à évacuer Fachoda (actuel Kodo, au centre-sud du Soudan).

Le Soudan, devenant un pays infréquentable pour les Anglo-Saxons, cherchait à sortir de son isolement international.

El-Béchir  et  el-Tourabi  flattent l’ego des Français en vantant leur politique  étrangère  basée sur la vision d’un monde multipolaire.

Et M. Moustapha Ousmane Ismail, ministre soudanais des Affaires étrangères, de renchérir  sur ce registre:   “ La France, grand pays présent dans la région (Soudan, Tchad, Centrafrique), membre permanent  du Conseil de Sécurité de l’ONU, ne doit pas laisser le Soudan isolé dans un monde où une seule puissance, les USA, ne doit pas avoir tous les pouvoirs. ”3

Le seul mobile qui a conduit les décideurs politiques français à pactiser avec les deux têtes pensantes d’un des islams les plus intolérants au monde, est la convergence de leur anti-américanisme.

Pour preuve de bonne volonté, le Soudan a rapidement  scellé le sort de Carlos, le terroriste international, sur l’autel de la coopération  militaire  et  commerciale  avec la France :

-vente de 3 Airbus au Soudan,

-promesses soudanaises de permis d’exploitation  pétrolière  pour Total et d’une reprise du percement  du canal de Jonglei par GTM (Grands Travaux du Midi).4

Ainsi la France  minimise la violation des droits de  l’Homme au Soudan pour s’attacher à ses propres intérêts  politiques.

Elle ferme les yeux sur le passage des forces gouvernementales soudanaises par la Centrafrique et le Zaïre pour prendre à revers  les combattants de l’APLS.

Malheureusement pour le Tchad, le cynisme de cette politique  française de soutien aux pires ennemis de la laïcité ne s’arrête pas au Soudan.

C’est encore au Soudan que le sort du Tchad va être scellé.

Les Tchadiens se rappellent que, depuis le coup d’Etat du 13 avril 1975 qui a coûté la vie au premier  Président du Tchad et le cafouillage de l’après-Tombalbaye  par le Conseil Supérieur Militaire  du général Félix Malloum, la France a décidé d’un changement radical de sa politique tchadienne : elle  apporte  désormais un soutien indéfectible aux seigneurs de guerre originaires  du BET (Borkou-Ennedi-Tibesti). Pourquoi ? Une analyse rétrospective  conclut à la manipulation de l’ethnisme, dont l’exacerbation  a  conduit au génocide des Tutsi au Rwanda en 1994.

La France sait par avance que tous les chemins qui mènent les seigneurs de guerre  au pouvoir à N’Djaména passent nécessairement par Khartoum.

Aussi est-il nécessaire pour elle  de mettre  les points sur les i avec le duo el-Béchir - el-Tourabi par rapport  à l’enjeu que représente  le Tchad.

Dans la perspective d’un Idriss Déby au pouvoir à N’Djaména, le triangle  des “ 3 E ” (Elysée, Elf, Etat-major) ne souhaite plus que le Darfour  serve de base arrière  aux  rebelles tchadiens. C’était cela le contrat  dont l’une des clauses a été l’entrée  d’Elf, par la grande porte, dans le consortium  d’exploitation du  pétrole tchadien.

 

 

III.SITUATION POLITIQUE AU TCHAD : CE QUE SONT NOS AMIS ZAGHAWA, OFFICIERS ET HOMMES D’AFFAIRES DU FRONT ISLAMIQUE DU SOUDAN ET COMMENT ILS METTENT LE TCHAD EN COUPE REGLÉE.

 

1. Le Tchad d’Idriss Déby est le  prolongement  du Soudan par d’autres moyens

Le Tchad est le terrain  d’expérimentation  de la dictature  militaro-religieuse  installée  à Khartoum.

Tout  comme  au Soudan, la motivation  première  qui a conduit une fraction  d’élite  clanique à prendre  le  pouvoir à N’Djamena est le pillage des ressources nationales.

Au Tchad tout comme au Soudan, ce pillage s’accompagne d’une répression sauvage de la population.

L’organe de cette répression  au Tchad est constitué par la Garde Présidentielle, une police sécrète, des unités d’élite de l’armée clanique dont bon nombre  sont des Zaghawa Soudanais.

Au Tchad tout comme au Soudan, il fallait  exporter  l’idéologie  intégriste  d’el-Tourabi.

Le Soudan veut une mainmise politique sur le Tchad par l’expansion de son idéologie intégriste.

La propagande d’une idée coûte moins cher qu’une annexion politique, quoique au Tchad nous ne sommes pas loin de l’annexion pure et simple.

Le problème  est que si le racisme et l’apartheid  sont la face immergée  de cette  idéologie qui réaffirme  la supériorité  de la race  blanche des Arabo-musulmans du Nord sur les autres composantes noires de la population du Soudan, il n’y a pas au Tchad, à proprement  parler, une différenciation  des Tchadiens par la couleur de leur peau.

Tous les Tchadiens sont de race noire  et/ou d’origine négro-africaine.

Qu’à cela ne tienne ! Les identités secondaires et composites des Tchadiens ainsi que leurs confessions religieuses, ayant servi de tout temps d’explications fallacieuses aux historiens européens et arabes, communément connues sous l’appelation “ clivage Nord-Sud ”, vont être exacerbées par la fraction  d’élite clanique Zaghawa pour générer  des conflits éleveurs-paysans d’une rare gravité, jamais connue dans l’histoire du Tchad.

C’est ce que nous allons démontrer dans les pages qui suivent. Mais avant tout, quelle est l’origine  de cette  fraction  d’élite clanique  Zaghawa au pouvoir à N’Djamena ?

 

2. L’origine  de la fraction  d’élite  clanique  Zaghawa  au pouvoir à N’Djamena

L’héritage de la colonisation (anglaise au Soudan et française  au Tchad) a séparé l’ethnie Zaghawa vivant de part et d’autre de la frontière  entre le Tchad et le Soudan.

Le Président actuel du Tchad, le général Idriss Déby, est issu de cette ethnie.

“ Les Zaghawa se donnent à eux-mêmes le nom de Béri… Les Béri se subdivisent en plusieurs groupes, sous-groupes puis en clan et en familles.On peut estimer qu’ils représentent  aujourd’hui une population de 300 à 350 000 individus. Ils se divisent grosso modo en trois grands groupes, par ordre d’importance :

-le groupe Wegui (Tower), dont les membres vivent exclusivement au Soudan, au Nord Ouest du Dar-for ;

-le  groupe Kobé vit majoritairement   au Tchad, au Nord-Est du Ouaddai, dans la sous-préfecture  d’Iriba (Biltine) et une autre partie  de l’autre côté de la frontière, au Soudan ;

-le groupe Bideyat enfin, se trouve  dans la sous-préfecture de l’Ennedi (BET). Les Bideyat se subdivisent en deux sous-groupes distincts : les Borogat et les Biriyéra  qui vivent autour du point  d’eau d’Am Djeres.

Parmi ces trois groupes Béri, celui des Bideyat est le moins nombreux ; les Borogat y sont majoritaires  et les Biriyéra  minoritaires. Ce dernier  sous-groupe , caractérisé par un esprit d’anarchie, n’a pas connu une organisation sociale de type hiérarchisé. Il a vécu longtemps isolé dans une sorte de no man’s land, en marge de l’autorité  et de l’évolution  du reste de la société Béri. Jusqu’à une date récente, beaucoup de membres du groupe Biriyéra  ont vécu loin  des courants d’idées et sans contacts avec les populations avoisinantes, à part des relations  conflictuelles  dues à une de leurs activités favorites : la razzia. C’est un groupe social dans lequel il existe un dédain de toute propriété  d’autrui. Il n’y a pas si longtemps, ses membres tiraient  gloire  des vols commis au détriment  d’étrangers. Idriss Déby est issu de ce sous-groupe, connu également sous le nom de Bilia ”5

Ancien chef d’Etat-Major de l’armée sous le régime  du dictateur Hissène Habré (aujourd’hui en exile doré à Dakar), le colonel Idriss Déby d’alors tenta  un coup d’Etat en 1989. Il échoua et se réfugia  au milieu  de ses frères Zaghawa du Soudan, l’année même où la junte militaro-religieuse  du  duo el-Bechir – el-Tourabi  prenait  le pouvoir à Khartoum.

La DGSE (Direction Générale de la Sécurité Extérieure), notamment  ses officiers Paul Fontbonne et Jean-Claude Mantion, était très influent  auprès de la nouvelle junte militaro-religieuse  soudanaise. Si les services secrets français, y compris la DST (Direction  de la Sécurité du Territoire) et  la DRM (Direction  du Renseignement Militaire) sont tombés sous le charme  d’el-Tourabi, notre Idriss Déby national  n’était pas en reste, lui qui considérait Hassan el-Tourabi “ comme son père spirituel ”2.

Avec l’aide d’Elf, de la DGSE, de la Libye et  de conseillers et hommes d’affaires soudanais issus du Front Islamique du Soudan, le colonel Idriss Déby réussit alors à prendre  le pouvoir à N’Djamena, le 1er décembre 1990.

Son armée, qui chassa Hissène Habré, était composée essentiellement de soldats et officiers de l’ethnie Zaghawa.

Les Zaghawa tchadiens, ramenant  dans leur convoi leurs  frères  du Soudan, écument l’armée, la police, la gendarmerie, les services spéciaux, la fonction publique, les établissements ou services publics jugés juteux.

Leurs principales  activités de rapine  incluent les contrats de sous-traitance, les postes rémunérateurs  dans le consortium  pétrolier, le  détournement  des aides internationales, le pillage des sociétés d’Etat, trafic de drogues et de fausses monnaies, les appels d’offre internationaux.

Ils créent des sociétés-écrans et partagent  entre  eux des actions ou dilapident les fonds destinés à la réalisation  des projets d’intérêt public.

 

3.Quelques  illustrations   du pillage  du Tchad  par l’élite  clanique Zaghawa  au pouvoir

1. La construction  du  pont à deux voies sur le fleuve Chari à N’Djamena, confiée en dépit du bon sens  à la société soudanaise Afcorp-Tchad “ qui n’a ni la capacité technique, ni le personnel qualifié, ni les moyens au regard de son capital ”6, est à mettre à leur crédit. On comprend alors pourquoi les fondements de ce pont ont été à plusieurs reprises déboulonnés.

 

2.C’est encore eux qui ont détourné l’aide allemande pour la construction  du  tronçon  de route bitumée Guéledeng-Kélo à double voie . Ce détournement de l’aide s’est fait via un appel d’offre international.

Au Tchad, les appels d’offre internationaux  sont une imposture commerciale. Pourquoi ? Une société de référence  internationale  a  remporté  le marché. Mais le premier  cercle  de décision c’est-à-dire les membres de la famille  et du clan  d’Idriss Déby , a préféré  confier  la réalisation  de ce projet à une entreprise  italienne, non pas parce qu’elle est plus compétente ou incompétente mais tout simplement par ce qu’elle a accepté d’arroser au passage les membres du premier  cercle  avec les dessous de table prélevés sur le montant initial  de l’aide. Résultat : au lieu d’avoir une route  nationale bitumée à deux voies, les Tchadiens ont une route à une seule voie avec diminution de l’épaisseur du goudron et de la largeur de la route.

 

3. Ne parlons plus de la Société Cotonnière du Tchad (CotonTchad)  : c’est “ un trésor privé” en dépit des injonctions de la Banque Mondiale. Le premier  cercle  y “ pioche quand il veut  et comme  il veut 6.

 

4. Savez-vous que dans le cadre  des infrastructures  routières  et aériennes à créer dans la région  d’exploitation  du pétrole, il est prévu la  construction d’un aéroport  de classe internationale  à Komé (en décembre  2001, Idriss Déby a confirmé  en personne la réalisation  de ce projet  à la délégation de la Commission Dialogue et Paix de la coaltion  d’opposition CMAP à Komé-Base). Ce projet est enterré  car le fonds destiné à sa réalisation  est, comme à l’accoutumée, dilapidé. A la place, il n’y a ni autoroute ni route nationale bitumée qui puissent relier Komé-Base aux principales villes de la région. Résultat : dans leurs va-et-vient sur les routes en latérite, les camions gros porteurs  soulèvent des poussières rouges qui affectent les voies respiratoires  de la population vivant dans la zone. Aucune étude épidémiologique n’est envisagée à ce jour pour évaluer l’ampleur du dégât.

 

5. Si à ce jour le Tchad n’a pas eu son indépendance énergétique pour se retrouver  à la merci des délestages intempestifs en dépit de sa richesse en pétrole  et  en gaz et en dépit des chutes Gauthiot dans le Mayo-Kebbi, la responsabilité en incombe à ce groupe mafieux. Le projet  de construction de la raffinerie  de N’Djamena dépendait de la construction d’un pipeline qui drainerait  le pétrole  de Sidigui (près du Lac Tchad) vers la capitale. Après une série de péripéties (empilement  de fausses factures sur fausses factures avec des entreprises occidentales), le projet  est finalement  confié à Chad Petroleum Company (CPC), une société soudanaise. Encore le Soudan. Décidément, quand tu nous tiens ! M. Acheikh Ibn Oumar Idriss Youssouf, le directeur général de cette société, un richissime homme d’affaires soudanais venu au Tchad au début des années 90 dans le sillage d’Idriss Déby, a été assassiné à N’Djamena dans des conditions obscures. Au royaume de la mafia, il s’agit là tout simplement, sur fond de désaccord dans la répartition  des dessous de table, d’un règlement  de comptes qui s’est mal terminé. Cet assassinat a définitivement  enterré  le  projet.

 

4.En matière  de démocratie

Le Tchad a une démocratie  de façade.

Le pluralisme  politique n’est qu’apparent. En réalité, l’objectif recherché  par Idriss Déby  dans ces subtilités d’usage est de faire de son parti, d’une manière  constitutionnelle, un parti unique.

Ce parti unique, qui n’admet ni débat d’idées ni contradictions mais seulement l’allégeance à son leader, s’appelle le Mouvement Patriotique du Salut (MPS).

Pour notre part, nous ne pousserons pas l’outrecuidance à qualifier le MPS de “ Mafia Propulsée par le Soudan ”.

“ Le MPS est né en réaction à une des plus féroces dictatures de notre génération, une dictature  qui continue à hanter  encore  les esprits du peuple tchadien. A sa naissance, il a regroupé  des patriotes révoltés des pratiques du pouvoir totalitaire  de Habré d’une part, et des patriotes  épuisés par les divisions et tergiversations  d’une opposition dont l’exil avait trop duré d’autre part. Ces patriotes sont de tous les horizons du Tchad, sans distinction d’ethnie ni de confession. ”.7

Dans la structure organique de ce parti, les Béri (Zaghawa) sont majoritaires ; viennent ensuite les Hadjaraye, les Arabes du CDR-Conseil Démocratique Révolutionnaire restés en Libye (hormis les CDR d’Acheikh Ibn Oumar), puis enfin les FAT (ce qui  reste des Forces Armées Tchadiennes, les Sudistes, représentées par le général Nadjita Béassoumel).

La plupart des cadres de la première  heure  de ce parti vont servir de faire-valoir, être pressés comme des citrons pour les besoins de la cause et jetés comme des malpropres. Nous pensons à Ngar Nédigam, au général Nadjita Béassoumel, au colonel Djibrine  Dassert, à Ousman Gam, mort à l’étranger dans des conditions indignes d’un intellectuel organique du MPS, à l’incarcération  puis la mise à l’écart temporaire  de Maldom Bada Abbas… La liste des laissés-pour-compte est loin d’être exhaustive.

Le dernier  en date à être sur la touche, pour crime  de lèse-majesté, est Ahmat Hassaballah Soubiane, ancien ambassadeur du Tchad auprès des Etats-Unis et du Canada, l’un des membres fondateurs du MPS.

 

Le pouvoir fait une lecture sélective de la liberté de la presse, de la liberté d’association, des libertés syndicales et de la société civile

Les élections organisées par le pouvoir sont une mascarade avec refus de l’alternance démocratique.

14 années de pouvoir ont fait du Général-Président Idriss Déby l’un des dictateurs  les plus sanguinaires  au monde (cf. les ouvrages 5 et 6).

A coup de fraudes électorales, assassinats, corruption, il a modifié  en mai 2004 l’Art. 61 de la Constitution tchadienne, qui limite le pouvoir présidentiel à deux mandats de 5 ans, afin d’assurer la pérennité  de son pouvoir et profiter  du revenu  à  échoir de l’exploitation du pétrole de Doba.

Comme au Soudan, il nous est impossible nous taire sur les pratiques génocidaires de l’élite clanique au pouvoir au Tchad.

 

 

 

5. Idriss Déby et son armée clanique  entretiennent une terreur politique  au Tchad qui  autorise  à s’interroger sur son caractère génocidaire

Rappel de l’Art.6 du Statut de Rome de la Cour Pénale Internationale :

CRIME DE GÉNOCIDE

“ Aux fins du présent Statut, on entend par crime  de génocide l’un quelconque des actes ci-après commis dans l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel :

a) Meurtre  de membres du groupe ;

b) Atteinte  grave à l’intégrité  physique ou mentale de membres du groupe ;

c) Soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant entraîner  sa destruction physique totale ou partielle ;

d) Mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe ;

e) Transfert  forcé  d’enfants du groupe à un autre groupe ”.

 

Le vécu des Tchadiens, toutes tendances et confessions religieuses confondues, permet de dire qu’un climat de terreur  a été instauré, accompagné d’effusions de sang et/ou de la création  de conditions de vie insoutenables pour les groupements ethniques qu’on voudrait éliminer, forcer  à quitter leurs territoires  d’origine ou déporter  vers d’autres régions. Dans quelles catégories de crimes classifie-t-on les pratiques de l’armée clanique d’Idriss Déby, qui consistent à empoisonner les puits et les points d’eau potable, à poser les mines antipersonnel, à incendier les villages, à massacrer les innocentes populations civiles, à déporter  des citoyens comme des esclaves… ?

Dans leur ruée vers les régions de l’or noir, nos compatriotes de la zone septentrionale, du Centre et de l’Est, liés au pouvoir clanique par la seule fibre  confessionnelle (la religion musulmane), achètent à gros renforts  de liasses de francs CFA des parcelles de terrains  aux populations autochtones pauvres.

Les entités administratives prises d’assaut par les mêmes coreligionnaires  facilitent l’accession à des titres de propriété  par la falsification  des titres  fonciers  existants.

Les mosquées, dans des régions historiquement  animistes et chrétiennes, poussent comme des champignons.

Le comportement  conquérant de nos compatriotes musulmans, encouragé par les autorités  administratives  et militaires, rend la cohabitation  interethnique  impossible.

Les exemples de cette  cohabitation impossible abondent. Le 21 mars 2004 a eu lieu  le massacre des paysans de Maïbogo dans le canton de Yomi (sud du Tchad). Le procès qui s’en est suivi a condamné à la peine capitale des innocents, alors que les véritables  auteurs du massacre courent toujours. Citons encore les affrontements  interethniques et interconfessionnels du 30 octobre 2004 à Bébédjia.

Ces actions sont dirigées contre des catégories ethniques et religieuses bien identifiées. On peut donc s’interroger  sur le caractère  génocidaire  de ces actes.

 

6.Quelle  est la nature du conflit  éleveurs-agriculteurs  et  pourquoi la résolution  de ce conflit  s’avère une mission  impossible  avec Idriss Déby au pouvoir ?

On dit en thermodynamique que l’entropie (la mesure du désordre) de notre univers est croissante.

De la même manière, nous dirons que l’entropie du Tchad sous Idriss Déby est toujours croissante. Le désordre est la raison d’être de l’élite clanique Zaghawa au pouvoir.

Au Tchad, nous avons à faire à un véritable  pouvoir des rentiers  de la guerre  et du désordre. Le Général-Président Idriss Déby l’a reconnu lui-même  en parlant “ de la kermesse du désordre ” qui sévit dans son pays.

Un Tchadien vivant quotidiennement les affres du pouvoir clanique nous dit un jour : “ Pour vous représenter le désordre et l’insécurité qui sévissent au Tchad, imaginez-vous un seul instant la roue d’une bicyclette. Celle-ci tourne dans tous les sens : en avant, en arrière, à gauche, à droite. Bref, vous pouvez la pivoter dans tous les sens comme bon vous semble. Aussi désorientés et désordonnés que semblent paraître  les mouvements de la roue, celle-ci a des rayons qui sont tous orientés vers le centre de gravité. Le centre de gravité de la roue régule le désordre des mouvements.

Idriss Déby, situé au centre de gravité  de la roue tchadienne, est le seul qui régule l’ordre  du désordre au Tchad. ”

Nous ne ferons pas l’apologie d’un Idriss Déby régulateur  du désordre  tchadien comme l’ont fait Paul Fontbonne et ses amis de la DGSE quand ils ont tenté, pendant les présidentielles de 1996, d’influencer le vote des Tchadiens en faveur de ce dictateur au nom de ce qu’ils appellent “ la politique du moindre pire ”. La différence  entre  nous, c’est que nous avons identifié le géniteur de la kermesse du désordre, qui ne relève pas du fatalisme.

Toute décision d’Idriss Déby visant à faire  cesser la kermesse du désordre et à combattre  l’insécurité, ne sont que de pures diversions.

Une question tout de même mérite  d’être posée : jusqu’où ira le degré de TOLÉRANCE DES TCHADIENS, à force d’être malmenés comme des objets dans tous les sens ? Peut-être entreront-ils  dans une folie collective ? Peut-être  même que leur RÉVEIL tardif  n’est pas à exclure, car l’histoire  montre  qu’il y a toujours une LIMITE  à la tolérance, une LIMITE  à  accepter  l’INACCEPTABLE.

Revenons à l’insécurité dans nos villes et campagnes et à une cohabitation  interethnique  transformée  en hérésie.

Les autorités  militaires  et administratives  civiles (pour la plupart  membres de la famille, du clan ou thuriféraires  du régime), placées par le Général-Président Idriss Déby à la tête des régions et départements, préfectures  et sous-préfectures, cantons et postes administratifs, sont toutes propriétaires  de têtes de bétail.

Elles recrutent  les éleveurs nomades, naguère pacifiques et respectueux des couloirs de transhumance des troupeaux, dans les années 60-80. Elles les dotent en armes et leur délivrent des permis de faire  paître  leurs troupeaux  dans les champs des paisibles paysans qui, il y a une décennie encore, vivaient en harmonie avec les éleveurs.

Dans ces conditions, tout le monde s’attend à ce que naissent des conflits. Aucun dialogue n’est possible. La haine, le mépris de l’autre sont à fleur de peau. Tout propos, tout acte inconsidéré, dégénèrent rapidement  en affrontement  avec crimes et homicides. Comment peut-il en être autrement ?

Si les éleveurs nomades vivent de ce commerce par leur allégeance  aux autorités militaires  et administratives, les paysans, eux, tirent leur revenu à la sueur de leurs fronts.

En détruisant les plantations, les troupeaux de bœufs créent en même temps des conditions de vie insoutenables pour les paysans. Si vous couplez cela avec les rackets de la population commis par les mêmes autorités, et par des coupeurs de route (phénomène zaraguina) sortis des rangs des forces de sécurité  dépendant des dites autorités, vous constaterez que la survie des populations de la zone méridionale  ne tient  qu’à un fil.

Si les mêmes autorités ne veulent pas cesser cette pratique  ni lever le moindre bout  de doigt en faveur des paysans qui sont dans leurs droits fondamentaux, c’est qu’elles veulent les pousser à la sortie : les inciter à quitter leurs régions natales. C’est ce qu’on appelle le génocide qui se pratique, de façon concomitante, avec ou sans effusions de sang.

Nous tenons à mettre en garde  les uns et les autres sur les interprétations  tendancieuses de nos propos. Les Tchadiens sont prompts à faire  des raccourcis  dans le domaine du débat d’idées et aiment qu’on leur dise ce qu’ils veulent entendre, à savoir le politiquement  correct  ou la politique de l’autruche.

Ceci étant dit, nous concevons que nos compatriotes musulmans ont le droit de s’installer dans la zone méridionale. Tout Tchadien a le droit de s’installer dans n’importe quelle région, où bon lui semble. Ce que les colons français appelaient “ le Tchad utile ” (par leur méconnaissance des richesses naturelles du Tchad), n’est pas de droit une propriété  des Sudistes. Aujourd’hui, tout le monde s’accorde à trouver que le Tchad est “ un scandale géologique recelant  des potentialités  avérées  en minerais ” et dont “ le sol est une manne agricole et pastorale inégalée ”. Il n’y a pas lieu de se bousculer au portillon  d’une région pour profiter  des mannes qui découleraient  de l’exploitation  de sa richesse. Toutes les régions du Tchad sont riches. Il manque tout simplement à notre pays une politique de développement et d’intégration  économique basée sur nos richesses nationales.

Ce que nous disons par contre, c’est que la politique rampante de colonisation et de peuplement du Sud par nos compatriotes musulmans, prônée depuis plus de deux décennies par les régimes de Hisseine Habré et Idriss Déby, une politique qui consiste à attiser la haine interethnique  et interconfessionnelle, à pousser au paroxysme l’esprit conquérant et revanchard  de nos compatriotes nordistes, qui ne respectent plus les us et coutumes des autochtones, ce qui aboutit à des affrontements quotidiens, est INADMISSIBLE  et INACCEPTABLE. C’est un comportement et une attitude GRAVISSIMES qui confirment les inquiétudes des Tchadiens et des observateurs : “ le Tchad d’Idriss Déby va vers un champ de mines avec comme au Rwanda un co-pilotage français ”2.

De même, il faut arrêter  de  faire l’amalgame. Tous les Zaghawa ne sont pas comptables des actes criminels et attentatoires  à la dignité humaine commis par Idriss Déby. Comme nous avons pu le voir dans la différenciation  des Béri, tous les Zaghawa n’appartiennent pas au clan d’Idriss Déby. Tout comme les autres ethnies, les Zaghawa sont majoritairement  utilisés pour servir de faire-valoir.

Pour conclure, nous refusons l’amalgame selon lequel tous les musulmans (Nordistes) sont des pro-Déby, revanchards et colonisateurs du Sudiste kirdi, animiste et chrétien.

Nous condamnons aussi fermement l’esprit “ intégriste ”rampant  de certains de nos compatriotes Nordistes (musulmans) qui prônent la supériorité  de leur culture et de la religion  musulmane et leur imposition au Sud du pays, peuplé par les “ sous-hommes, mangeurs de rats ”.

Le Tchad est une République laïque (Art. 1 de la Constitution), l’islamisation rampante et sournoise du pays, exécutée par le pouvoir et soutenue par une certaine  élite nordiste musulmane, est incontestable. C’est une violation flagrante  de la Loi  fondamentale de la République, aux conséquences incalculables sur l’avenir du pays.

 

7. La boîte de Pandore de la  déstabilisation  de l’Afrique  centrale par le Général-Président  Idriss Déby est largement ouverte :

Après avoir utilisé le bonus pétrolier pour acheter des armes, des chars, des mines, des moyens de transport  de troupes blindés, des munitions et de l’artillerie  lourde  pour “ pacifier ” le Tchad, Idriss Déby s’est plusieurs fois substitué à la France pour devenir le “ gendarme de l’Afrique centrale ”.

La Centrafrique  d’Ange Félix Patassé est dans le collimateur  de l’Elysée et de la fraction d’élite clanique Zaghawa au pouvoir à N’Djamena.

Pour Jacques Chirac et l’Etat-Major  français, il fallait  punir le Président Patassé pour son crime de lèse-majeste : avoir ordonné le départ des forces françaises prépositionnées à Bouar.

Pour Idriss Déby, il fallait  sécuriser la zone pétrolifère  de Doba  en coupant l’herbe sous les pieds des futurs rebelles sudistes dont les bases arrières  étaient situées en Centrafrique.

Ainsi, tout comme au Congo-Brazza, un Président d’Afrique  centrale  a été chassé du pouvoir avec le concours de soldats tchadiens sans que cela n’émeuve le moins du monde la communauté internationale.

 

IV. ECLAIRAGES DE LA SITUATION DANS LE

DARFOUR.

 

C’est en février 2003 que naît la rébellion  dans le Darfour. Il s’agit de deux mouvements rebelles : le Mouvement de Libération  du Soudan (MLS), avec son bras armé l’ALS (Armée de Libération  du Soudan), et le Mouvement pour la Justice et l’Egalité (MJE) du Dr Khalil Brahim:

Ces mouvements rebelles prétendent occuper “ tous les Etats du Darfour, du Kordofan, les monts Nouba, la zone de Moudjila   et de Baba Moussa, l’Est du Soudan dans la zone de Port-Soudan et la région  Nil Bleu autour de Damazine Guiza ”8.

Initialement, cette rébellion  a été provoquée par les Zaghawa du Tchad, principalement  par la fraction  d’élite clanique Zaghawa au pouvoir à N’Djamena. Il est également vrai qu’aujourd’hui, la situation semble échapper totalement à leur contrôle. Ce qui paraissait pour eux comme une promenade de santé, s’est rapidement transformée  en une épuration  ethnique et un génocide.

 

1. Les raisons  des  liaisons  dangereuses :

a) côté tchadien : le rêve du Zaghawaland

Le Dr Khalil Brahim  du MJE est l’homme d’el-Tourabi; il est un ancien commandant de la défense militaire  de Khartoum

Le Dr Khalil Brahim  est le cousin germain  de Daoussa Déby 8 qui est le demi-frère d’Idriss Déby.

Le MLS est dirigé par les Zaghawa soudanais dont la parenté  avec les Zaghawa du Tchad, actuellement  au pouvoir, ne fait l’ombre d’aucun doute.

Les Zaghawa du Soudan ont estimé que la période pendant laquelle ils ont été  enrôlés pour combattre les Noirs mécréants  chrétiens ou animistes de l’APLS du Sud–Soudan, de gré (sur la base confessionnelle de la religion musulmane) ou de force (dans les Forces de Défense Populaire), est révolue.  D’autant plus que les arabo-musulmans de race blanche du Nord-Soudan les considèrent comme des citoyens de seconde zone. L’heure de la revanche a sonné.

Ils aspirent eux aussi à arracher le pouvoir à la junte militairo-intégriste  installée à Khartoum. A cet  effet, ils réclament  un renvoi d’ascenseur au Général-Président Idriss Déby, qu’ils avaient aidé militairement  et financièrement  à prendre  le  pouvoir au Tchad. Certains officiers et soldats de l’armée tchadienne sont d’ailleurs des Zaghawa soudanais, qui ont combattu Hisseine Habré aux côtés du colonel Idriss Déby. –.

Idriss Déby est ainsi devenu le parrain  et la base arrière  de la  rébellion  soudanaise du Darfour, pour  ce renvoi d’ascenseur mais aussi pour réaliser le cahier  des  charges de ses propres  ambitions  impériales  en  Afrique.

Pour ce qui est de la fraction  d’élite clanique Zaghawa au pouvoir au Tchad, l’impunité de ses crimes contre l’humanité d’une part, le fait d’autre part  qu’elle s’autorise le rôle de gendarme de l’Afrique  centrale  sans aucune mise en garde de la communauté internationale, sont des incitations à plus de défiance.

Le rêve d’un Zaghawaland d’Idriss Déby a pris forme : il s’agirait d’un vaste empire Zaghawa qui s’étendrait du Tchad vers la Centrafrique  pour boucler la boucle au Soudan.

L’Elysée soutient et “ contient ” cette  folie des grandeurs  d’Idriss Déby pour une raison simple : damer le pion aux Américains.

Tout le monde sait que la région  du Sud-Soudan, mais également le Darfour, ont une forte odeur d’or noir. Le pétrole, qui a été de tout temps le nerf de la guerre  des réseaux, va être l’élément déclencheur dans cette rébellion.

 

b) côté français : encore le syndrome  de Fachoda et le pétrole

Sur le même registre  du pétrole, l’enjeu pour la France n’est pas directement le Darfour, mais le bassin sédimentaire d’Erdis, situé à la frontière  entre  la Libye et le Tchad, une zone qui jouxte le Soudan… Ce bassin est actuellement prospecté par Cliveden/Encana 9,une société pétrolière  canadienne

L’homme tchadien  servant d’intermédiaire  entre  la société Cliveden/Encana  et le premier  cercle  du pouvoir clanique  d’Idriss Déby est Orozi Fodeibou, un Kamdja du BET. Le fils de cet ancien “ Monsieur Pétrole ” de Hisseine Habré est très ami avec celui d’Idriss Déby. TotalFinaElf est entrain  de remettre  le  pied au Tchad à travers  des réseaux : c’est Jean-François Hénin,  bien connu dans l’affaire Exécutive Life, très actif au Congo-Brazza de Sassou N’Guesso et en Centrafrique de François Bozizé, qui a reçu  la délicate  mission d’approcher Idriss Déby.9

Le Tchad et le Soudan produisent déjà le pétrole. Les prospections des sociétés pétrolières  américaines  en Centrafrique  et au Niger sont très prometteuses. Or, dans cette zone d’influence française, le Tchad est le seul  pays à avoir un pipeline vers l’offshore. Donc, qui contrôle le Tchad, contrôle le droit  du péage de l’or noir vers la mer.

Malheureusement pour la France, au Tchad tout comme au Soudan, ce sont les USA qui ont le monopole sur le pétrole. Une situation  inadmissible pour le triangle  des “ 3 E ”. Pour pouvoir rester  dans le jeu, il faut aider le “ soldat Idriss Déby ”. Paris doit s’impliquer.

            Avec la paix retrouvée  au Sud Soudan, TotalFinaElf a  repris  ses activités  de prospection  à Bor Basin, très riche  en pétrole. Elle  contrôle  déjà 100 000 km2 où elle doit mener des opérations d’exploration10.

 

c) côté américain : le  pétrole a horreur du crépitement  des  armes

Dans la logique des renifleurs  pétroliers  de l’administration  de Georges W. Bush,

le pétrole  a  horreur  du  crépitement  des armes. Déjà influents dans le bassin pétrolier  de Doba (Exxon est le leader du consortium pétrolier), les Américains n’entendaient pas en rester là.

Exxon poursuit la prospection  de ses champs pétroliers qui remontent vers le Soudan dans la région  du Darfour  Sud, en mordant sur le nord de la Centrafrique.

Une perspective qui réjouit  le pouvoir fantoche de François Bozizé installé à Bangui.

Nous l’avons déjà dit, c’est cette raison d’Etat qui a poussé Idriss Déby à intégrer la Centrafrique  à la stratégie  sécuritaire  de son  régime.

            Ce sont toujours les intérêts pétroliers  qui ont motivé les émissaires de Georges W.Bush à abhorrer  les hommes barbus au pouvoir  à Khartoum.

Ils ont réussi avec succès à conclure un accord  entre  l’APLS de John Garang et le gouvernement soudanais pour ramener  la paix dans cette région  ravagée  par des décennies de guerre.

Or, curieusement, c’est au moment même où les Américains  ramenaient  la paix et l’espoir au Sud Soudan qu’est né le MLS. Est-ce un hasard ? Absolument pas.

 

2. L’Elysée soutient et “ contient ” les ambitions  démoniaques d’Idriss Déby

La convergence d’intérêts tchadiens et français a porté  sur les fonts baptismaux les mouvements rebelles darfouriens.

Les Zaghawa tchado-soudanais des communautés Four et Massalit du MJE étonnent par leur puissance de feu.

Le pouvoir d’Idriss Déby, aménageant spécialement l’aéroport de Goz-Beida, équipe les rebelles en armes lourdes et en batteries  aériennes.

Comme si cela ne suffisait pas, les poudrières de l’armée clanique tchadienne et des véhicules militaires  ont été pillés au bénéfice des rebelles Zaghawa et une partie de la Garde Présidentielle(5 à 6 000 hommes) est sur le “ front  soudanais ”9.

Si Idriss Déby et ses officiers Zaghawa ambitionnent, au plus fort de leur espérance, de prendre le pouvoir à Khartoum, et au plus faible de faire  du Darfour  au moins une région autonome sous mandat de l’ONU, avec exclusion aérienne, rattachée  officieusement  au Tchad par des liaisons claniques et par l’économie informelle, l’Elysée et l’Etat-Major français sont loin de souscrire à la réalisation  de la première  hypothèse. Pour deux raisons.

La première, c’est leur ressentiment contre les visées anglo-saxonnes au Soudan conjugué à leur affairisme  dans le même pays : en langage clair : “ l’ennemi de mon ennemi, est mon ami ”

La deuxième à cause de la politique arabe  de la France : l’Elysée, de De Gaulle à Jacques Chirac, ainsi qu’un certain nombre des décideurs politiques français, “ sont persuadés qu’eux seuls sont capables de comprendre les Arabes ”11. Si nous apprécions le soutien à la cause légitime  de l’établissement d’un Etat palestinien et le rôle d’avant-garde de la France contre la guerre de l’administration  Bush en Irak, nous ne pouvons pas dire que le bilan de la politique  arabe de la France est globalement positif.

L’Elysée veut tout  simplement  contrer  les efforts  des USA, placés au cœur de la médiation  du  conflit  inter-soudanais  qui oppose le Nord et le Sud depuis un demi-siècle.

La France sait par ailleurs que “ dans un bras de fer entre  le  Soudan et le Tchad, les pays du Golfe, qui sont dans la mouvance du wahhabisme et de l’islamisme, seront derrière  le Soudan ”12.

C’est pour cette raison  que nous disons que l’Elysée soutient et “ contient ” à la fois cette folie de grandeur d’Idriss Déby, l’établissement d’un Zaghawaland. Le temps que Déby règle  leur compte aux Yankees et permette  à Total de remettre  le  pied au Tchad.

 

3. Le rêve brisé des pyromanes  Zaghawa jouant  aux sapeurs-pompiers

Misant sans doute sur leurs épopées légendaires du Darfour  au Tchad et du Tchad à Bangui, les rebelles du Darfour  et l’élite clanique Zaghawa au pouvoir à N’Djamena n’ont peut-être pas apprécié à leur juste valeur les rapports  de  forces – à l’intérieur de la junte militaro-intégriste  au pouvoir à Khartoum  et, à l’échelle internationale, dans le monde arabo-musulman.

Toujours est-il que le général el-Béchir, seul aux commandes du pays depuis qu’il a limogé el-Tourabi (au motif que “ deux capitaines, dans une tempête que traverse  le  Soudan, ne peuvent diriger  le  même  navire ”), a trouvé là une occasion de renouer avec ses pratiques génocidaires : la purification  ethnique des Zaghawa, fussent-ils musulmans, mais tout de même des Noirs qui vivent dans le Darfour.

El-Béchir  fait  appel à des bandes de soudards constitués en milices arabes, communément  appelées Djandjawid, qui massacrent et tuent sans retenue hommes, femmes et enfants, mettent le feu aux villages et pillent  des troupeaux. Ces massacres s’accompagnent d’une couverture  aérienne  soudanaise qui poursuit les rebelles du Darfour  et de sa population apeurée dans leurs zones de repli, à l’intérieur  du Tchad.

El-Béchir  se moque royalement de l’espace aérien tchadien, qu’il viole quotidiennement  avec son aviation  sans que cela n’éveille la moindre protestation  des autorités tchadiennes qui ne peuvent que constater les dégâts et faire appel aux sapeurs-pompiers constitués par la

communauté internationale  et l’ingérence humanitaire.

Des contradictions naissent à l’intérieur  du  clan. Idriss Déby  est l’otage permanent de ses frères Zaghawa du Darfour. S’ils l’ont aidé à conquérir le pouvoir au Tchad et à marcher  sur la Centrafrique, ils sont également capables de changer leur fusil d’épaule. Les contradictions  internes du clan  ont  failli  coûter la vie au  locataire  du Palais Rose lors du vrai-faux  coup d’Etat du 16 mai 2004, perpétré  par sa Garde Républicaine  clanique la plus lotie  et  la mieux payée.

Que cette garde prétorienne  soit dissoute aujourd’hui ne change rien à la donne. Idriss Déby  est aux abois. Les mesures de sécurité autour du Général-Président  sont impressionnantes.

L’opération  Dorcas mise en place par les Eléments Français du Tchad – un pont aérien  entre N’Djamena et Abéché, sous prétexte  d’apporter  assistance aux réfugiés du Darfour – est une diversion.

La France sait par avance que tous les chemins qui mènent les seigneurs de guerre au pouvoir à N’Djaména passent nécessairement par le Darfour. Aussi s’est-elle empressée de barrer  la  route  aux différents  mouvements de la rébellion  tchadienne qui profiteraient  de  la fragilité  actuelle du pouvoir clanique d’Idriss Déby pour s’emparer du pouvoir à N’Djamena.

 

4. Conséquences  de l’incroyable  légèreté de l’être d’Idriss Déby, imbu de son impunité

Qu’ont ils apporté  les 20 mois de guerre  civile  dans la région  du Darfour ? Rien que des violations massives des droits de la personne et du droit  humanitaire. Il y a eu des dizaines de milliers de morts.

Selon les Nations Unies, 1,45 million  de personnes ont été déplacées et environ 200 000 autres ont été contraintes de s’exiler au Tchad.

Tout comme le conflit dans la région des Grands Lacs1, l’imbroglio du piège ethnique est également inextricable  dans cette guerre  civile au Darfour.

Les Arabes tchadiens (Misséria, Mihrié, Rizeqat, Mahamit), qui ont subi les mêmes affres de la dictature  d’Idriss Déby que les autres ethnies du Tchad, sont les mêmes qui, de l’autre côté de la frontière, sont organisés par el-Béchir en milices appelées Djandjawid. Est-ce une raison suffisante pour franchir le pas et jeter l’opprobre aux Arabes tchadiens ? Nous ne le pensons pas. Mais ce pas est tout de même franchi par les Zaghawa qui, actuellement, n’arrêtent pas de faire l’amalgame avec les Arabes tchadiens. Ces derniers sont constamment sous pression et accusés d’être la “ cinquième colonne ” des Djandjawid 8 soudanais au Tchad.

            Il est INADMISSIBLE ET INACEPTABLE que Idriss Barh Abo, Secrétaire Général du MJE, pousse l’outrecuidance jusqu’à affirmer que “ le gouvernement  soudanais est en train de former  des troupes dans les rangs des Djandjawid pour Hassaballah et Acheik Ibn Oumar ”, deux chefs rebelles tchadiens.

Il faut arrêter  la  manipulation  du piège ethnique qui risque de conduire tout droit  au génocide des Tchadiens, comme cela fut le cas des Tutsi au Rwanda.

 

 

 

V. Références bibliographiques :

 

1.      Jean-Prosper Boulada : Conflits armés en Afrique : classification, causes, alternatives in :

http://www.ialtchad.com/archives.htp ou http://survie67.free.fr/Manifestations/G8_evian/JPBoulada_Conflits_africains.PDF p.2

2. François-Xavier Verschave :Dossiers noirs N°3 : France, Tchad, Soudan au gré des   

   clans. Ed. L’Harmattan, Paris, 1996, pp. 149-150 ; 161 ; 177 ;172.

3. L’Observateur n° 271 du 25 février 2004, p. 2.

4. Agir ici et Survie, Les liaisons mafieuses de la Françafrique, in Dossiers noirs n°1 à 5, Ed. L’Harmattan, Paris, 1996, p. 108.

5. Bichara Idriss Haggar : Tchad : Témoignage et combat politique d’un exilé.

    Ed. L’Harmattan, Paris, 2003, p. 14-15.

6. Ngarlejy Yorongar : Tchad : Le procès d’Idriss Déby. Témoignage à charge

    Ed. L’Harmattan, Paris, 2003, p. 123-124.

7. Extrait de la lettre de M.Ahmat Hassaballah Soubiane aux membres du Conseil National du

   Salut à l’occasion des assises du 3ème Congrès du MPS, Washington, 12/01/2004.

8. Interview d’Idriss Barh Abo, Secrétaire Général du MJE, au Journal Le Temps n° 177 du 10

   au 16 août 2004.

9. La Lettre du Continent du 15 juillet 2004.

10. Ndjamena-Bi-Hebdo n° 744 du 23 au 25 février 2004.

11. François-Xavier Verschave :France-Afrique : le crime continue. Ed. Tahin Party,   Lyon, 1998, p. 34.

12. Le Temps n° 373, du 14 au 20 janvier 2004, p. 3.