Archives de Survie en Alsace 25 octobre 2003
Nous ne sommes pas des inconditionnels de Paul Kagame. Les dernières élections au Rwanda se sont déroulées dans des conditions contestables. En outre, on peut-être légitimement inquiet de la situation des libertés publiques au Rwanda. Cependant, pour comprendre la crise actuelle dans la région des Grands Lacs, on ne peut ignorer le génocide des Batutsi rwandais de 1994.
En cent jours plus d'un million de Batutsi [1][1] et de Bahutu de l'opposition sont massacrés. Ce génocide, reconnu par la communauté internationale est l'aboutissement d'une série de tueries de milliers de Batutsi qui se produisent régulièrement depuis 1959 et l'indépendance du pays (1959, 1961, 1962,1963, 1973, 1990, 1992, 1993, 1994).
Hutu, Tutsi, de quoi s'agit-il ?
Cette distinction existait avant la colonisation du Rwanda-Urundi mais il ne s'agissait ni de race, ni de caste, ni de classe. Les colonisateurs européens, allemands puis belges, ont voulu y voir des races, l'une supérieure, l'autre inférieure, là où n'existait qu'un élément parmi d'autres de l'identité sociale, élément variable d'ailleurs puisqu'un Hutu pouvait devenir Tutsi et vice-versa.
L'éthnisation de ces catégories identitaires par les Blancs (les cartes d'identité avec mention ethnique sont créées en 1931), la prééminence accordée à « l'aristocratie » tutsi (une petite minorité parmi ceux-ci) pour diriger le pays, conduisent à une exacerbation des rapports entre Bahutu et Batutsi. Dans les années 1950, l'indocilité croissante de la classe dirigeante tutsi amène le colonisateur belge et l'Église catholique à renverser leur alliance pour favoriser l'élite hutu et accorder en 1962 une indépendance sous contrôle.
La discrimination des Batutsi se met en place, ponctuée de massacres récurrents qui provoquent le départ en exil de beaucoup d’entre eux. Dans les années 1980, le refus du gouvernement rwandais d'accueillir les exilés incite une partie de ces derniers à former le Front Patriotique Rwandais (FPR). En 1990, devant le blocage politique provoqué par le régime de Kigali, le FPR attaque militairement. Le régime rwandais se défend en réactivant la haine contre les Batutsi et en suscitant des massacres. Sous la pression internationale, un accord de paix est signé et un partage du pouvoir incluant le FPR et les partis d'opposition désormais autorisés est prévu sous le contrôle d'une force de l'ONU, la MINUAR.
Ce gouvernement à base élargie ne verra jamais le jour, car, dans les coulisses, l'extermination de tous les Batutsi est programmée : l'ONU est informée en janvier 1994 par le commandant de la MINUAR que des milices d'assassins sont formées et entraînées pour tuer les Batutsi et certains opposants Bahutu dont les noms figurent sur des listes préétablies. Ni l'ONU, ni les grandes puissances ne réagissent.
Le 6 avril 1994, l'avion du président Habyarimana est abattu, la Garde présidentielle, de nombreux éléments des Forces Armées Rwandaises et les milices d'extrémistes hutu, commencent à massacrer dans l'heure qui suit l'attentat à Kigali et dans presque tout le pays dès le lendemain. Le FPR attend le 8 avril [2][2] pour lancer l'offensive qui mettra fin au génocide trois mois et plus d'un million de morts plus tard.
Fin juin, une victoire militaire du FPR semblant proche, la France rompt avec l'inaction de la communauté internationale (la seule intervention a été l'évacuation des étrangers du 8 au 12 avril puis l'ONU a réduit les effectifs de la MINUAR à 270), en faisant accepter au Conseil de sécurité l'opération « Turquoise », une intervention militaire à but « humanitaire ». Profitant de la complaisance française, les organisateurs et exécutants du génocide, mis en déroute par les troupes du FPR, se réfugient au Zaïre entraînant de force avec eux plus de 2,5 millions de personnes.
Les forces ayant perpétré le génocide (FAR, milices, responsables politiques et administratifs) se réorganisent dans les camps au Zaïre et dans l'ancienne zone Turquoise. Elles y font régner la terreur et entretiennent l'insécurité au Rwanda, cherchant à assassiner les derniers survivants Batutsi, sans que le HCR, les autres états concernés ou une force de l’ONU n’interviennent.
Devant l'impossibilité d'assurer la protection de la population, le gouvernement de Kigali ferme par la force les camps à l'intérieur du Rwanda en 1995. En 1996, face aux agressions venues des camps du Zaïre, il s'allie avec la rébellion anti-mobutiste de Laurent-Désiré Kabila, vide les camps du Kivu, forçant les réfugiés à rentrer au Rwanda et pourchassant les forces génocidaires rwandaises. L'offensive renverse le régime de Mobutu et met Kabila au pouvoir.
Le changement de régime au Zaïre est donc une conséquence directe du génocide au Rwanda et de la passivité de l'ONU ou de la complaisance de certains pays, la France principalement, à l'égard de ceux qui ont commis le génocide de 1994. Les massacres qui n'ont pas cessé depuis, en RDC (Congo Kinshasa) ne peuvent être appréhendés hors de cette perspective. Les mettre au compte seul de l’armée patriotique rwandaise (APR) est inexact.
L'armée du FPR a commis des crimes en 1994 et après. Mais elle est la seule qui est intervenue pour mettre fin au génocide des Batutsi. Les troupes rwandaises ont commis des crimes au Zaïre. Mais ni l'ONU ni aucun pays n'est intervenu pour arrêter les assassins qui avaient pris le contrôle des camps. Il ne s'agit pas de tolérer ces crimes. Mais le crime majeur c'est le génocide de 1994, nombre de ses responsables et exécutants courent toujours et, disposant de nombreux appuis, n'ont qu'un seul but, terminer leur oeuvre de mort et abattre le régime actuel de Kigali.
Il est particulièrement inquiétant de voir une association pour la défense des Droits de l'Homme comme Amnesty International inviter à Strasbourg, le journaliste camerounais Charles Onana auteur du livre « Les secrets du génocide rwandais » où il prétend que c'est Kagame, le leader du FPR récemment élu président du Rwanda, qui est l'auteur de l'attentat du 6 avril 1994 et par conséquent serait le responsable du génocide des Batutsi. La dédicace de son livre est particulièrement insultante pour les victimes du génocide (qu'il appelle drame), puisque le million de morts Batutsi est implicitement odieusement englobé dans « la propagande macabre » :
« Ce livre est dédié à toutes les victimes du drame rwandais et à leurs familles : principalement à l'équipage français du Falcon 50, aux présidents rwandais et burundais puis à leurs collaborateurs tués dans l'attentat du 6 avril 1994, aux dix casques bleus belges assassinés, aux prêtres occidentaux tués, aux officiers français Didot et Maier, aux exilés tutsi et hutu, aux Congolais qui meurent depuis six ans dans le silence et le secret, etc. Bref à tous ceux qui souffrent et meurent loin des cameras de télévision et de la propagande macabre sur le génocide rwandais fortement alimentée par le régime de Kigali… »
Mr Charles Onana est lié à ceux qui soutiennent les auteurs du génocide des Batutsi du Rwanda. Il en vient même à prétendre que les Batutsi seraient les propres responsables de leur génocide.