Election présidentielle (3). Projets de société. En Belgique, où les élections sont terminées depuis des semaines voire des mois, la discussion bat son plein, avant de former un nouveau gouvernement. Tandis qu’en Afrique, aussitôt les élus proclamés, aussitôt le gouvernement formé. C’est que dans les pays réellement démocratiques, lorsqu’il y a un partenariat de partis ou une coalition, la comparaison ou les discussions sur les différents projets de société présentés par les différents partis, permettent d’arriver sur un vrai consensus, de partenariat pour gouverner ensemble. C’est dire que contrairement à l’Afrique, la politique ne se repose pas sur un individu mais sur les idées. Le profil C’est après le consensus obtenu et sur le programme établi que vient ensuite s’intégrer la nomination des ministres où " the right man, the right place " intervient comme une identification du meilleur acteur pour diriger tel ou tel secteur. D’autant plus que, le profil qu’il faut pour gérer tel dossier, est brossé au sein de chaque parti. Les différentes personnalités sont passées en revue pour dégager le meilleur candidat. S’agissant de la Belgique encore une fois, les meilleurs rivalisent avec les meilleurs, au sein des quatre partis en lisse pour constituer une coalition forte. C’est dire que rien n’est fait au hasard. Que la progression dans les pays du nord (occidentaux) a ses raisons et que le piétinement au sud (le tiers monde) vient de l’improvisation et de bâtir sur des sentiments ou des ressentiments. En Afrique les gens sont gentils mais ne sont pas vrais. D’autres sont méchants et incompétents. Interrogations Au Rwanda, à la veille des élections présidentielles et législatives , quelles sont les projets de société comparables entre les différents candidats ou partis? Où sont les équipes d’experts, en commerce, en économie, en agriculture, en culture, en matière de santé ou environnement ? Y a-t-il des idées novatrices dans tous les secteurs de la vie courante
que chaque candidat ou parti peut présenter à la nation rwandaise ?
Faute de cela, ne présentant que des idées vagues ou des généralités
passe partout , on compare les individus. Et pourtant, le gouvernement actuel a déjà fait un projet qui va en l’an 2020. Il aurait été préférable que secteur par secteur, les supporters de chaque candidat à la présidence puissent passer en revue ces prévisions pour les amender, les enrichir ou les dégraisser. Faute de mieux, voyons les atouts des deux principaux antagonistes. Sauf imprévus majeurs, les Rwandais s’attendent à la candidature du chef de l’état actuel, Kagame Paul, pour briguer un nouveau mandat. Tandis que l’ex premier ministre Twagiramungu Faustin semble être son challenger le plus crédible. Les peureux et les revanchards Nous laissons aux autres le soin de décrire les défauts et les faiblesses des deux grands protagonistes. Nous laissons aux revanchards, aux aigris et aux peureux de critiquer les deux personnalités. Car critiquer seulement est l’arme des faibles. Mais aussi " agahwa kari kuwundi karahandurika ". Ceux qui sont plus catholiques que le pape, ceux qui sont des courtisans, devancent les grands acteurs en étalant leurs émotions à défaut d’étaler leurs capacités. Mais aussi c’est pour mieux cacher leurs angoisses et leurs peurs. Les uns comptent le nombre d’oiseaux dans les aéroports, les autres prennent des passagers pour des supporters. C’est pourquoi nous préférons parler des atouts ou des qualités de ces deux protagonistes . Les atouts de Twagiramungu Faustin.
Le courage intelligent de monsieur Twagiramungu est prendre des risques mais de se dévoiler au bon moment. Hier, à l’occasion du multipartisme, il s’est avéré l’opposant le plus virulent contre feu président Habyarimana. C’est justement sous l’œil vigilant de la communauté internationale et à l’ouïe de l’opinion internationale qu’il a voulu se mesurer avec celui qu’on appelait Ikinani. C’est encore une fois, à la réouverture du multipartisme que Rukokoma se mesure au chef de l’état Paul Kagame et pas à n’importe quel moment. C’est encore une fois une preuve de courage intelligent. L’une des chances de Monsieur Twagiramungu est d’arriver au moment où le MDR est dissous comme si on avait enlevé une épine de son pied. En coupant l’herbe sous les pieds de ses adversaires, il se déclare indépendant et personne ne peut faire une référence à ce mouvement qui, pourtant collait à sa peau, alors que ce mouvement a incarné le racisme et l’exclusion. En laissant aux autres le soin de dissoudre le MDR, il ne sera pas accusé de l’avoir détruit tout en ayant l’habileté de se présenter comme indépendant, ne se rattachant à aucun autre parti susceptible de lui être un fardeau plutôt qu’un moteur. D’autant plus qu’il n’a pas le temps d’en fabriquer un autre avant les élections. Par ailleurs se présentant comme l’alternatif au régime actuel, qui est aux affaires bientôt pendant dix ans, il aura eu l’atout aussi de se refaire une virginité pendant les années de son exil ou opposition. C’est dire que dans la vie, le moment d’agir est plus important que l’action elle même. Il faut avoir la chance ou l’intelligence d’arriver au bon moment. Ni avant, ni après.
Une mouvance de longue date est justement cette association " intercoki "qui n’est inscrite nulle part mais qui défend les intérêts communs du Kinyaga. A l’exception de la période du génocide, le Kinyaga a eu toujours l’image où l’on ne peut pas connaître qui est hutu ou tutsi. Il fut l’endroit où l’on met en exergue la solidarité mais aussi la compétence plutôt que l’allégeance. Faute de faire un nouveau parti, Monsieur Twagiramungu peut s’appuyer sur les ressortissants originaires de sa région natale, le Kinyaga, l’actuelle province de Cyangugu, sans être accusé pour autant de régionaliste mais aussi de la province de son épouse, Gitarama. Ces deux provinces à haute potentialité d’intellectuels comptent aussi les hommes les plus riches du Rwanda, par rapport aux autres provinces. Plusieurs intellectuels, toutes ethnies confondues, l’ayant connu au Canada, peuvent aussi être recrutés comme fonctionnaires et experts. Sa qualité d’indépendant peut les mettre à l’aise pour se créer un lobbing. En jouant cette carte, il peut être un concurrent redoutable. Il l’a d’ailleurs fait auparavant, au début de la législature, lorsqu’il était premier ministre. En nommant comme premier ambassadeur du Rwanda dans les pays scandinaves, Monsieur Gasana ndoba, tutsi originaire du Kinyaga, lorsque le FPR avait nommé son premier représentant aux Nations Unies, Manzi Bakuramutsa. En jouant la carte de la compétence, il mettra à l’aise ceux qui n’acceptent pas de jouer à l’allégeance de qui que ce soit. D’autant plus que ces derniers forment une majorité silencieuse d’intellectuels rwandais. Par effet de domino, il peut entraîner son concurrent à rechercher la compétence aussi et non l’allégeance. Au grand dam des courtisans et des parasites de tout poil. Mais pour l’intérêt supérieur du pays. Sur le plan international, il a pu se tisser des relations, notamment en Belgique et en France, lors de ces dernières années de son exil en Europe. Par ce biais, il a une ouverture sur l’union européenne. Même s’il lorgne aussi vers les Etats-Unis.
Les immatures affectifs veulent toujours démontrer leur capacité de punir ou de nuire. Ils se précipitent pour se mettre en valeur et agissent sans réfléchir sur les retombées de leurs actes. Contrairement à l’ex président Bizimungu, Twagiramungu ne se précipite pas, n’étale pas ses émotions, mais plutôt les contrôle. " Nta hubuka ". Les autorités actuelles de Kigali ne sont pas loin d’oublier Museveni et Nyerere qui leur ont imposé deux présidents, Bizimungu Pasteur et Kabila Désiré. C’est que dans la vie, il ne faut jamais faire plaisir pour se faire du tort. L’ex président Pasteur Bizimungu n’a pas été jeté en prison parce qu’il était hutu mais parce qu’il était devenu ingérable. Avec son immaturité affective débordante parlant à tort et à travers, agissant tantôt comme un automate tantôt comme un étourdi, avait mis dans l’embarras les haut responsables de Kigali. Ils ont fini par l’interner. Pour le reste c’est de l’habillage. Car, quand on veut tuer son chien, on l’accuse de rage. L’ex premier ministre Twagiramungu, est tout le contraire. Intelligent, il ne fera pas appel à l’argument de l’ethnie majoritaire puisqu’il sait parfaitement qu’il est devenu caduque depuis le génocide des tutsi. Même si les déclarations faites à Arusha à propos du génocide ont jeté un pavé dans la marre. Par ailleurs, les originaires de la province de Cyangugu, sont réputés flegmatiques. Proches du Burundi, ils savent comme eux, se taire. Mais ils savent aussi s’amuser, le moment venu et être dans la convivialité comme leurs voisins congolais dont ils sont proches également. Sans tomber dans la globalisation ou la simplification, on peut dire que les Banyakinyaga savent gérer leurs émotions et les états d’âme. Calculateurs, ils savent esquiver les coups et les porter quand on s’y attend le moins. Les atouts de Kagame Paul.
Contrairement à l’Afrique du Sud, le Nigeria, l’Angola où le banditisme fait fuir les investisseurs, le Rwanda a acquis une réputation où la sécurité en ville comme dans les campagnes, est assurée d’une façon exemplaire par rapport à tous les pays d’Afrique. C’est grâce à l’homme fort de Kigali qui contrôle son armée et sa police dans une main de fer. Par ailleurs, l’on sait que le démantèlement de l’armée de Habyarimana a semé dans la région des Grands lacs, notamment au Congo, une insécurité et une instabilité qui dix ans après hante les esprits et les responsables de la communauté internationale. Que dire alors de la machine redoutable de l’APR, n’ayant plus à sa tête un chef qui ne la maîtrise pas ? Elle serait capable de semer plus de vingt ans voire trente ans l’instabilité dans la région si elle n’a pas une autorité incontestée et incontestable pour la contrôler. Même si, la formule au sein du FPR est que personne n’est indispensable. Et pourtant, c’est ainsi que l’atout du chef de l’état actuel est de taille dans le contexte régional et international en termes de géostratégie et géopolitique. Mais aussi, malgré la virulence de certains opposants, force est de constater que la majorité des rwandais souhaitent la paix et la sécurité. Ils sont réticents de voter pour l’incertitude.
Toutes les puissances du monde, toutes les grandes entreprises, tous les hommes d’affaires, courent après le renseignement. Celui qui sait, peut. Celui qui ne sait pas, ne peut pas. L’homme fort de Kigali tient la plupart de ses partenaires par la barbiche du renseignement. Même Museveni n’arrive pas à sa cheville. Même les missionnaires avec leur agence Misna, ne possèdent pas le quart de ses services. Même ceux qui vocifèrent contre lui d’une façon tapageuse pourraient se découvrir un jour ses agents. Car on attrape les mouches par le miel. Qui aurait imaginé que tel ou tel allait rentrer au Rwanda de si tôt ? Les Occidentaux courent aujourd’hui à Kigali entre autre chose pour cela. Tous ceux qui lorgnent vers le Congo courent après le renseignement. Le président actuel les tient par la barbiche. Mais aussi à l’intérieur du pays, la sécurité tient aussi en partie à cause du renseignement. Chaque homme a ses atouts qu’il cultive pour garder toujours l’avance sur les autres. Ce n’est pas négligeable pour son élection.
Les hommes d’affaires, notamment les Occidentaux et les asiatiques , n’aiment pas les zones instables. Avec le départ de Kagame, une période d’insécurité et d’instabilité pourrait régner non seulement au Rwanda mais aussi dans toute la région. Alors que tout le monde lorgne vers le Congo Kinshasa, l’instabilité ne peut pas jouir tous ceux qui attendent au portillon. Dernièrement les secours vers Bunia, en Ituri sont passés par Kampala, réputé aussi actuellement stable. Le Burundi vit encore des situations d’instabilité. Le Kenya est devenu la cible des terroristes. Les hommes d’affaires cherchent toujours les zones de repli. La victoire de Kagame aux élections présidentielles, va lui donner une légitimation, permettant l’arrivée des grands investisseurs au Rwanda pour y créer une zone franche. Quant à l’intérieur du pays, plus d’un se disent " Mieux vaut un tu as que deux tu auras ". Beaucoup sont lassés des guerres, des peurs, d’incertitude. Le vote utile pourrait faire la différence. Quand on se tient par la barbiche Pour les deux protagonistes, l’un est un atout pour l’autre. En effet, pour Kagame, à vaincre sans périr, on triomphe sans victoire. En se présentant contre Twagiramungu qui s’est forgé l’image d’un Tschisekedi rwandais, celui qui a fait un lobbing sur le plan international, le président sortant aura un adversaire à sa taille. Ainsi il sortira des élections agrandi. De la même façon, le monde attend avec étonnement les manœuvres du challenger, de l’homme fort de Kigali. Twagiramungu est déjà taxé de courageux par plus d’un. Quelque soit son score, il en sortira aussi agrandi. A défaut de la présidence de la république, d’autres rôles prestigieux peuvent s’offrir à lui. Soit le poste de premier ministre, soit celui du président du sénat ou de l’assemblée nationale. Cela pourrait être un tremplin pour le relancer aux échéances électorales suivantes. Contrairement à ceux pour qui l’allégeance compte plus que la compétence, il est à parier que le candidat à la présidence a plus d’intérêt de l’emporter dans un score proche des 60% que de 90%. Car dans le dernier cas, il sera soupçonné de tricherie, de terrorisme ou d’ethnisme. Alors que dans le premier cas, il sera plus proche de la crédibilité, coupant l’herbe sous les pieds de ceux qui ont déjà les déclarations écrites d’avance. Défis et Chassés-croisés Curieusement, l’ex premier ministre Twagiramungu a des chances de l’emporter en s’appuyant essentiellement sur les tutsi pour les rassurer et les sécuriser. L’inverse est une épée de Damocles qui l’attend au tournant. Paradoxalement, le président Kagame a des chances de l’emporter en s’appuyant essentiellement sur les hutu pour les rassurer et les sécuriser. L’inverse serait suicidaire. Mais le grand défi pour l’ex premier ministre devenu président est d’apprivoiser la grande muette en s’appuyant essentiellement sur les officiers populaires et compétents dans l’armée sans chercher à la diviser à la manière de Ndadaye. Ce serait sa perte. La grand défi pour le président Kagame, réélu président, est de se défaire du petit gang autour de lui qui se mêle de tout et veut tout s’approprier et tout contrôler. En plaçant l’homme qu’il faut à la place qu’il faut, il rentrera dans l’histoire d’autant plus qu’il aura l’intelligence de préparer un successeur sans vouloir briguer un deuxième septennat. Car l’usure du pouvoir est l’ennemi de l’homme politique qui veut laisser ses marques pour la postérité. Conclusion Il s’avère d’ores et déjà qu’un troisième critère est important dans la recherche du meilleur profil pour des postes de haute responsabilité. Outre l’expérience ou la compétence, il est indispensable de veiller à la maturité affective du candidat. Les immatures affectifs sont les meilleurs en terme de recherche car ils aiment fouiner pour faire sensation à la suite de leur trouvaille. Souvent travailleurs infatigables, ils sont de bons coéquipiers et bons techniciens lorsqu’il sont sous l’autorité de quelqu’un de plus mûr mais de plus paternel et bienveillant. Ils deviennent une catastrophe lorsqu’ils sont sous l’influence de quelqu’un de plus mûr mais plus méchant puisqu’il sait les utiliser sans que eux ne s’en rendent compte. Ou alors ils le découvrent à posteriori et réagissent pour punir ou pour nuire. Ils ne sont pas à l’abri de la subjectivité et commettent des erreurs et des coups de griffe inutiles. Les immatures affectifs font mal lorsqu’ils sont frappés de frustration ou de jalousie. Par contre ils se rendent sympathiques lorsqu’ils sont épris de sincérité et de pureté, ou de courage. Ils redeviennent insaisissables lorsqu’ils mélangent la passion et la raison. Les deux protagonistes potentiels candidats à la présidence, ont tous les deux une maturité affective prouvée. Ils devraient par conséquent comprendre que ce qui est important ce n’est plus l’alternance à tout prix mais la paix civile en premier lieu. La synergie des deux personnalités peut y contribuer.
Si les deux hommes d’état devraient encore une fois gouverner ensemble, chacun pourrait profiter des atouts de l’autre mais aussi des expériences vécues et des leçons des échecs, pour l’intérêt supérieur du pays. Le plus important c’est que, à leur instigation, les Rwandais puissent acquérir une maturité et dépasser l’ethnie. Au Rwanda, le Forum des partis politiques pourrait être amélioré, en le transformant en réunion d’experts et de spécialistes venant de chaque parti, dans tous les secteurs de la vie courante. Pour ne pas se confiner à de simples marchandages de politique politicienne ou de partage d’influences. Cela implique que chaque parti ou indépendant ait derrière lui des experts ou des maisons conseils qui ont pignon sur rue. Lorsque les partis politiques auront compris l’importance du projet de société et commenceront à recruter les experts pour former des équipes valables, c’est la nation rwandaise qui en sortira agrandie. On aura ainsi misé sur les idées et non sur les individus. SEMA KWELI 24 juin 2003
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