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Distr. GENERALE
A/49/508, S/1994/1157 13 octobre 1994
FRANCAIS Original:ANGLAIS/FRANCAIS
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ASSEMBLÉE
GÉNÉRALE
Quarante-neuvième session
Point 100 c) de l'ordre du
jour
CONSEIL DE SÉCURITÉ
Quarante-neuvième année
QUESTIONS RELATIVES AUX DROITS DE L'HOMME :
SITUATIONS
RELATIVES AUX DROITS DE L'HOMME ET RAPPORTS DES
RAPPORTEURS ET
REPRÉSENTANTS SPÉCIAUX
La situation des droits de l'homme au
Rwanda
Note du Secrétaire général
Le Secrétaire
général a l'honneur de transmettre aux membres de l'Assemblée générale et à ceux
du Conseil de sécurité les rapports sur la situation des droits de l'homme au
Rwanda établis par M. René Degni-Ségui, Rapporteur spécial de la Commission des
droits de l'homme, en application du paragraphe 20 de la résolution S-3/1 de la
Commission des droits de l'homme, en date du 25 mai 1994, et de la décision
1994/223 du Conseil économique et social, en date du 6 juin
1994.
ANNEXE I
Rapport sur la situation des droits
de l'homme au Rwanda établi
par le Rapporteur spécial de la
Commission des droits de l'homme
en application de la résolution S-3/1
de la Commission et de la
décision 1994/223 du Conseil économique et
social
INTRODUCTION
A sa troisième
session extraordinaire, la Commission des droits de l'homme a adopté la
résolution 1994 S-3/1, en date du 25 mai 1994, par laquelle elle a prié son
Président de nommer un rapporteur spécial chargé d'enquêter sur place sur la
situation des droits de l'homme au Rwanda et de recueillir, auprès des
gouvernements, des particuliers et des organisations intergouvernementales et
non gouvernementales, tous renseignements dignes de foi sur la situation des
droits de l'homme dans le pays et d'user de l'assistance fournie par les
mécanismes existants de la commission des droits de l'homme.
La
Commission a prié le Rapporteur spécial de se rendre immédiatement au Rwanda et
de faire rapport d'urgence aux membres de la commission dans un délai de quatre
semaines à compter de la date d'adoption de la résolution. C'est conformément à
cette disposition que le Rapporteur spécial s'est rendu au Rwanda et dans
d'autres Etats voisins du 9 au 20 juin 1994. Durant cette mission, il a été
accompagné par le Rapporteur spécial sur les exécutions extrajudiciaires,
sommaires ou arbitraires, M. Bacre Waly Ndiaye et le Rapporteur spécial sur la
question de la torture, M. Nigel Rodley, qui ont accepté son invitation et ainsi
mis à sa disposition leur expérience et leur expertise. Le Rapporteur spécial
tient à leur exprimer ici sa reconnaissance.
Le Rapporteur spécial
voudrait aussi remercier le "gouvernement intérimaire" rwandais ainsi que le
Front Patriotique Rwandais (FPR) pour leur coopération.
Il voudrait
également remercier tous ceux qui l'ont soutenu dans la préparation et
réalisation de sa mission. Il est particulièrement reconnaissant au United
Nations Rwanda Emergency Office (UNREO), le Programme des Nations Unies pour
le Développement (PNUD), le Haut Commissariat des Nations Unies aux Réfugiés
(HCR), et le Comité International de la Croix-Rouge (CICR), pour l'assistance
logistique fournie. Le Rapporteur spécial tient également à exprimer sa profonde
gratitude au Commandant de la Mission des Nations Unies d'assistance au Rwanda
(MINUAR) et à ses officiers pour leur soutien et coopération généreuse, dans des
circonstances difficiles, durant son séjour au Rwanda. Enfin, le Rapporteur
spécial remercie tous ceux qui lui ont fait parvenir des renseignements sur la
situation des droits de l'homme au Rwanda, notamment les organisations
non-gouvernementales, et les invite à continuer cette coopération à
l'avenir.
Il faut relever que la mission du Rapporteur spécial fait suite
à celle du Haut Commissaire aux droits de l'homme effectuée les 11 et 12 mai
1994 (voir E/CN.4/1994/S-3/3) et dans une certaine mesure à celle du Rapporteur
spécial sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires, M. Bacre
Waly Ndiaye, en avril 1993 (voir E/CN.4/1994/7/Add.1).
Le présent
rapport, qui s'appuie sur des renseignements, des témoignages et des documents
reçus de différentes sources, n'a pas prétention à l'exhaustivité, le temps
imparti y faisant obstacle. Il se veut tout simplement et modestement un tableau
synoptique de la situation des droits de l'homme au Rwanda, une vue globale qui
permettra d'orienter les enquêtes futures. Cette vue globale, pour éclairer la
Commission tout en répondant à certaines de ses préoccupations, porte à la fois
sur les mesures préliminaires prises par le Rapporteur spécial, sur les faits
incriminés, sur les violations des droits de l'homme en résultant et, enfin,
comporte une série de recommandations.
I. LES MESURES PRELIMINAIRES
Avant de se rendre sur
les lieux pour effectuer une enquête préliminaire et faire rapport aux membres
de la Commission sur la situation des droits de l'homme au Rwanda, le Rapporteur
spécial a mené une réflexion préalable avec son équipe concernant le mandat et
la méthode à utiliser pour les enquêtes en découlant.
A. Le mandat
Le mandat confié au Rapporteur
spécial contient deux éléments :
a) Faire rapport à la Commission des
droits de l'homme sur la situation des droits de l'homme au Rwanda, y compris
les causes profondes et les responsabilités (enquête "horizontale");
b)
Faire parvenir au Secrétaire général des renseignements rassemblés et compilés
systématiquement sur les violations des droits de l'homme et du droit
international humanitaire. La Commission des droits de l'homme a affirmé que
tous ceux qui commettent ou autorisent de telles violations en sont
personnellement responsables et que la communauté internationale fera tout ce
qui est en son pouvoir pour qu'ils soient traduits en justice (enquête
"verticale").
Ces obligations d'enquêter et de faire rapport sont
complémentaires et devraient être accomplies dans le cadre de la même structure,
en deux étapes qui sont interdépendantes et se recoupent. La collecte de
renseignements servant à faire rapport à la Commission des droits de l'homme (et
d'autres organes des Nations Unies, tel que demandé par la résolution S-3/1)
ainsi que la formulation de recommandations pour des actions concrètes et
immédiates visant à sauver des vies, doivent être des priorités.
Les deux
étapes sont complémentaires dans la pratique, étant donné que les sources de
l'information en sont les mêmes. De même, les renseignements recueillis pour un
aspect du mandat éclairent l'autre. Par exemple, des enquêtes sur la structure
des forces armées des deux parties au conflit sont nécessaires pour formuler des
recommandations visant à mettre un terme aux massacres et donnent, en même
temps, la base pour déterminer des responsabilités individuelles, prenant en
considération la chaîne de commandement. Les enquêtes "horizontales" de la
première étape fourniront une vision générale de l'information disponible et de
la méthode la plus efficace pour l'obtenir, toutes deux indispensables avant de
commencer des enquêtes approfondies, dans la deuxième étape, sur certains cas
déterminés. La première étape permettra aussi d'identifier les cas prioritaires
qui peuvent mener à des enquêtes (exemple : analyse des émissions des stations
de radio proches du gouvernement et leur lien avec les massacres de Tutsis et de
Hutus modérés, en vue d'établir des responsabilités individuelles et
d'identifier des massacres particuliers qui pourraient être examinés plus en
détail).
Pour assurer que les deux étapes sont complémentaires,
l'information doit être recueillie, enregistrée et analysée de façon telle
qu'elle puisse être utilisable, en cas de procès, par une juridiction nationale
ou, le cas échéant, internationale.
La façon dont les deux étapes
pourront être mises en oeuvre est influencée par les événements sur place, et
surtout par les considérations de sécurité pour les enquêteurs dans une
situation de conflit armé. Etant donné les risques encourus, notamment pour les
victimes et les témoins, aussi bien au Rwanda que dans les pays où ils ont
trouvé refuge, la collecte des renseignements doit commencer par les nombreuses
organisations et agences internationales actives sur place, journalistes,
religieux, etc. au Rwanda et dans d'autre pays de la région ou en Europe. La
grande majorité d'entre eux ont déjà fait preuve de la plus grande disponibilité
pour fournir toute information utile au Rapporteur spécial.
Cette enquête
approfondie sera effectuée par une équipe de spécialistes des droits de l'homme,
qui sera déployée sur le terrain par le Haut Commissaire aux droits de l'homme,
conformément à la résolution S-3/1 de la Commission des droits de l'homme. Le
Rapporteur spécial s'était également proposé, lors de sa première visite à la
région, de préparer le travail de cette équipe, dont les deux premiers membres
sont déjà sur place.
B. Consultations et visites sur le
terrain
Suite à sa nomination le 25 mai 1994, le Rapporteur spécial
s'est rendu à Genève et à Bruxelles en vue de procéder, en attendant
l'achèvement de la préparation logistique et administrative de sa mission au
Rwanda, à des consultations auprès du Centre pour les droits de l'homme, de
représentants d'Etats et d'organisations non gouvernementales oeuvrant pour la
défense des droits de l'homme.
Entre le 6 et le 9 juin 1994, il a
rencontré des représentants des Gouvernements du Rwanda, du Burundi, du Zaïre,
du Canada, du Cameroun, du Nigéria, de la France et de la Belgique, ainsi qu'un
grand nombre d'organisations des droits de l'homme qui lui ont fait part de
leurs observations et fourni des renseignements concernant la situation des
droits de l'homme au Rwanda. Ayant appris, pendant son séjour à Genève,
l'assassinat de l'Archevêque de Kigali, de l'Evêque de Kabgayi, ainsi que de 10
prêtres par le FPR et, probablement par mesure de représailles, l'exécution par
les forces armées rwandaises de 63 autres personnes, le Rapporteur spécial a
adressé le 9 juin 1994 des lettres, tant au FPR qu'au "gouvernement
intérimaire", pour condamner ces actes, demander que tout soit mis en oeuvre
pour éviter que de tels incidents ne se reproduisent et exiger que des
poursuites soient ouvertes contre les auteurs de ces massacres, tout en leur
offrant les garanties de la défense. Une lettre a été également adressée au
Gouvernement français pour solliciter la mise à la disposition du Rapporteur
spécial de la boîte noire de l'avion présidentiel. Le Gouvernement français a
répondu le 17 juin 1994 qu'il n'était pas en possession de la boîte noire et
qu'il convenait de s'adresser au "gouvernement intérimaire". L'état-major
rwandais, à qui la même requête a été adressée, a, quant à lui, répondu qu'il
n'était au courant de rien.
Du 9 au 15 juin 1994, le Rapporteur spécial a
rencontré à Bruxelles, Nairobi, Bujumbura et dans la région du Sud-Kivu (Zaïre),
les Représentants spéciaux du Secrétaire général pour le Rwanda et le Burundi,
le Coordinateur de l'UNREO et plusieurs de ses collaborateurs, le Commandant de
la MINUAR, l'Envoyé spécial du HCR et plusieurs de ses délégués dans la région,
de nombreux représentants des agences, institutions et programmes des Nations
Unies actuellement actifs au Rwanda, du CICR et d'organisations internationales
non gouvernementales qui fournissent de l'assistance humanitaire,
d'organisations des droits de l'homme, ainsi qu'un grand nombre de
personnalités, aussi bien des rwandais que des ressortissants d'autres pays, qui
lui ont apporté leur témoignage sur des violations des droits de l'homme au
Rwanda.
Du 16 au 20 juin 1994, le Rapporteur spécial a séjourné au
Rwanda, où il a rencontré le Commandant et plusieurs autres officiers de la
MINUAR, le chef de l'état-major des forces armées rwandaises, le Préfet de la
ville de Kigali et deux membres de l'état-major de la Gendarmerie, ainsi que des
représentants du FPR. Pendant son séjour au Rwanda, le Rapporteur spécial a
visité plusieurs endroits hébergeant des personnes déplacées par le conflit,
notamment le stade Amahoro, l'hôpital Roi Fayçal et l'aéroport de Kigali. Le
Rapporteur spécial a également visité l'hôpital du CICR à Kigali. Ces
différentes visites lui ont permis de tenter de reconstituer les faits.
II. LES FAITS INCRIMINES
L'attaque de l'avion
survenue le 6 avril 1994 et qui a coûté la vie au Président de la République
rwandaise, Juvénal Habyarimana, au Président de la République burundaise,
Cyprien Ntyamira, plusieurs personnes de leur entourage, ainsi qu'à l'équipage,
semble bien être la cause immédiate des événements douloureux et dramatiques que
connaît actuellement ce pays. C'est probablement la raison pour laquelle la
Commission des droits de l'homme demande au Rapporteur spécial de "rassembler
tous les renseignements dignes de foi sur la situation des droits de l'homme
dans le pays, y compris les causes profondes des atrocités récentes". Ces
atrocités comportent principalement les massacres et d'autres faits qui en
résultent.
A. Les massacres
Au moment où l'avion
présidentiel s'écrasait, la situation intérieure rwandaise était tendue et
explosive pour plusieurs raisons : frustrations dues aux retards accusés dans
l'application des accords de paix d'Arusha en date du 4 août 1993, terreur semée
par les milices, assassinats de leaders de l'opposition et de militants des
droits de l'homme, rumeurs persistantes selon lesquelles chacune des deux
parties, le gouvernement et le FPR, se préparaient à la guerre. La mort du
président Habyarimana sera l'étincelle qui mettra le feu aux poudres,
déclenchant les massacres de civils. Le lendemain, les combats entre les forces
gouvernementales et le FPR reprendront. Jusqu'ici, c'est à dire, au moment de la
rédaction du présent rapport, les actes de violence n'ont pas cessé. Ceux-ci se
singularisent à la fois par leur ampleur et par leurs
caractéristiques.
1. Leur ampleur
Certes, le peuple rwandais a
été victime de plusieurs massacres, notamment en 1959, 1963, 1966, 1973, 1990,
1991, 1992 et 1993. Mais ceux qui se déroulent à l'heure actuelle sont sans
précédent dans l'histoire de ce pays et même dans celle de l'Afrique tout
entière. Ces massacres ont pris en effet une ampleur inégalée dans l'espace et
dans le temps.
Les atrocités s'étendent sur l'ensemble du territoire
national. Il convient toutefois de distinguer la zone gouvernementale de la zone
contrôlée par le FPR. Dans la première, la plupart des massacres sont le fait
des milices interahamwe ("ceux qui attaquent ensemble") du Mouvement
Républicain National du Développement et de la Démocratie (MRND), et
impuzamugabmi ("ceux qui ont le même but") de la Coalition pour la
Défense de la République" (CDR), et sont dirigés contre les Tutsis et des Hutus
considérés modérés, c'est-à-dire des personnes aux mains nues et sans défense.
Les exemples, fournis par de témoins dignes de foi, ne manquent pas. On se
bornera à en mentionner quelques-uns : à Butare, plusieurs milliers de personnes
ont été massacrées ou mutilées; à Gisenyi, des milliers de Tutsis ont subi le
même sort, certains auraient été enterrés vivants dans des fosses communes au
cimetière de la ville et dans la paroisse de Nyundo (formée de la préfecture de
Kibuye), plus de 560 personnes ont été tuées, dont 56 religieux et religieuses
et 11 auxiliaires d'apostolat; des atrocités ont été également perpétrées à
Kibuye, particulièrement au stade et à la paroisse; à Gikongo, un quartier de
Kigali, en un seul jour, dimanche 10 avril, la rue était couverte de cadavres
sur un kilomètre; à Kiziguro, paroisse située sur la route entre Kabiro et
Murambi, on découvrait une fosse commune contenant plusieurs centaines de
cadavres et quelques survivants criant au secours. A Cyangugu le nombre de
personnes massacrées est à l'heure actuelle estimé à plus de 25 000.
Dans
la zone contrôlée par le FPR, les exemples de massacres sont plutôt rares, voire
quasi inexistantes, peut-être parce que moins connus. Les autorités
gouvernementales accusent le FPR d'avoir massacré plusieurs milliers de civils.
Selon la déclaration du "gouvernement intérimaire" rwandais à Genève datée du 24
mai 1994, "les combattants du FPR se sont livrés à des massacres systématiques
conte l'ethnie hutue en se servant notamment de la carte d'identité. ... Dans
les zones contrôlées par le FPR, des milliers de populations furent sauvagement
massacrées et enterrées dans des fosses communes préparées bien avant le
déclenchement des hostilités". Mais aucun témoignage ne permet de confirmer ces
informations. A la demande du Rapporteur spécial des officiers supérieurs des
forces armées rwandaises ont promis de fournir des documents allant dans ce
sens. Le FPR a été accusé d'enlever des personnes des camps de déplacés pour les
exécuter. Ce fait, qui pourrait expliquer l'absence de prisonniers de guerre,
n'a pas non plus pu être ni établi ni confirmé par d'autres témoignages. Il faut
noter que le FPR a promis de présenter aux observateurs des droits de l'homme
des prisonniers de guerre. Ce qui est certain, c'est que le FPR s'est rendu
coupable d'exécutions sommaires. Par exemple, le 9 juin 1994, des éléments du
FPR ont exécuté plusieurs religieux dont 2 évêques et l'Archevêque de Kigali.
Une opération d'évacuation de Tutsis, à la Paroisse Saint-Paul, effectuée par le
FPR le 16 juin 1994, a entraîné la mort de plusieurs personnes. Selon le
"gouvernement intérimaire", elles auraient été exécutées en raison de leur
appartenance à l'ethnie hutue. A cela, les représentants du FPR ont répondu que
certaines personnes ont pu être tués au cours du combat, mais ont affirmé que,
dans le feu de l'action, il n'y avait pas le temps de faire le tri entre Hutus
et Tutsis, et que ces actes n'étaient pas intentionnels. Le lendemain, l'attaque
d'un véhicule de la MINUAR, a coûté la vie à un observateur militaire et
grièvement blessé un autre. Le 19 juin 1994, en dépit de trois précédents
fâcheux et de l'appel pressant du Rapporteur spécial demandant qu'on évite de
prendre pour cibles les organismes humanitaires, un obus est une nouvelle fois
tombé dans l'enceinte de l'hôpital du CICR, tuant une personne et blessant
plusieurs autres.
Les massacres n'ont pas commencé le même jour sur
l'ensemble du territoire rwandais. C'est naturellement Kigali qui a donné le ton
dès la nuit du 6 au 7 avril avec l'assassinat du Premier Ministre, Mme Agathe
Uwilingiyimana, du président de la Cour suprême Joseph Kavaruganda, de certains
membres de son gouvernement, ainsi que des dix Belges membres de la MINUAR.
Butare et Cyangugu, en revanche, seront calmes durant plus d'une semaine et
n'entreront dans le cycle de la violence qu'à la suite de la révocation de leurs
préfets, remplacés par des Hutus extrémistes. Des témoignages concordants et
dignes de foi indiquent que le nouveau Président de la République se serait
rendu à Butare pour exhorter la population hutue aux massacres. A Cyangugu, en
dépit du retard accusé, le 20 avril, le nombre de personnes massacrées
atteignait selon certains témoignages près de 15 000. Les militaires auraient
bouclé toutes les voies conduisant au Zaïre pour empêcher les rescapés de
s'enfuir et le préfet aurait dit avoir reçu "des ordres d'en haut" allant dans
ce sens. Ces massacres se sont poursuivis sans discontinuer jusqu'à ce jour. Une
véritable chasse à l'homme est entreprise de maison à maison, de famille à
famille, de colline à colline, par les miliciens qui n'hésitent pas à s'attaquer
à l'heure actuelle aux personnes dans les camps dits de déplacés. C'est ainsi
que le 14 juin 1994, ils ont enlevé 40 jeunes gens et, le 17 juin, sans
l'intervention ferme de la MINUAR, l'Hôtel des "Milles Collines" aurait connu un
carnage : un groupe de miliciens armés y était entré.
Au total, le nombre
des personnes tuées sur l'ensemble du territoire se chiffre à des centaines de
milliers, entre 200 000 et 500 000. Ce chiffre est certainement en deçà de la
réalité. Aussi certains observateurs soutiennent - ils qu'on est proche du
million. Il n'est pas certain que l'on obtienne un jour le nombre exact des
victimes. Ce qui en revanche est absolument sûr, c'est que la communauté
internationale assiste à une tragédie humaine qui semble être bien
orchestrée.
2. Leurs caractères
Les massacres sont
d'autant plus horribles et terrifiants qu'ils se donnent pour programmés,
systématiques et atroces.
Les massacres semblent avoir été programmés. Ce
constat procède d'un faisceau d'indices : le premier est constitué par la
campagne d'exhortation à la haine ethnique et à la violence orchestrée par les
médias du gouvernement ou proches de lui, tels que la Radio rwandaise, et
surtout la "Radio Télévision Libre des Milles Collines" (RTLM). Le second
consiste dans la distribution d'armes à la population civiles et plus
particulièrement aux miliciens. Des lettres pastorales du diocèse de Nyundo
datant de décembre 1993, et émanant de l'Evêque et des prêtres, condamnent cette
distribution d'armes à la population. De plus, les miliciens auraient suivi des
entraînements intensifs dans des installations militaires de novembre 1993 à
mars 1994. A cela s'ajoutent la terreur semée par les miliciens et l'assassinat
de personnalités politiques. Le troisième réside dans la célérité exceptionnelle
avec laquelle les événements ont commencé après la mort du Président rwandais :
le "gouvernement intérimaire" s'est constitué quelques heures seulement après
l'accident, rapporte une source internationale fiable. De plus, des barricades
ont été posées entre 30 et 45 minutes après l'accident d'avion et avant même que
la nouvelle de l'accident n'ait été annoncée par la radio nationale. Un témoin
digne de foi raconte que 45 minutes après l'explosion, la route allant de
l'hôtel Méridien au stade Amahoro était dressées par des militaires et des
civils et qu'il avait subi deux contrôles effectuées par ceux-ci. Les officiers
supérieurs de l'état-major que le Rapporteur spécial a rencontrés reconnaissent
les faits, mais auxquels ils trouvent une justification : le président
Habyarimana était si populaire que son assassinat par le FPR a provoqué la
colère du peuple et des éléments des forces armées. Le quatrième, enfin, procède
de ce qu'il existe des listes sur lesquelles figurent les noms de personnes à
exécuter. C'est semble-t-il sur la base de ces listes que divers leaders de
l'opposition ont été assassinés.
Les massacres revêtent un caractère
systématique. Des familles entières sont décimées, grands-parents, parents,
enfants. Personne n'y échappe, même pas les nouveaux-nés. Mais ce qui est encore
plus symptomatique, c'est que les victimes sont poursuivies jusque dans leur
dernier retranchement pour y être exécutées. Il en va ainsi des paroisses et
surtout des églises, qui autrefois servaient de refuges aux Tutsis, mais qui
sont devenues le théâtre de leur holocauste. Il en va de même des caches dans
les plafonds ou recoins des maisons et dans les bois et forêts, où les
assaillants mettent le feu pour s'assurer qu'ils ne laisseront pas de survivants
derrière eux. Il en va encore ainsi des frontières, qui sont barrées pour
empêcher aux Tutsis de se rendre dans les pays voisins. A la troisième session
extraordinaire de la Commission des droits de l'homme, le représentant de
Médecins sans frontières a donné un exemple assez typique, qui mérite d'être
cité :
"A 700 mètres de la frontière burundaise, 80 personnes ont été
vues en train de courir vers la frontière ("comme du bétail") chassées par un
groupe de miliciens avec des machettes; une personne a été tuée à coups de
machettes devant nous. Les autres ont réussi a atteindre la frontière mais
malheureusement un groupe de miliciens les attendaient. Moins de 10 personnes
ont traversé la frontière, les autres ont été massacrées à la machette." (fin
avril 1994)
Les tueries sont exécutées dans des conditions atroces,
affreusement cruelles. Elles sont en effet précédées d'actes de torture ou
autres traitements cruels, inhumains et dégradants. D'une manière générale, les
victimes sont attaquées à coups de machettes, de haches, de gourdins, de
massues, de bâtons, ou de barres de fer. Les bourreaux vont parfois jusqu'à
couper successivement les doigts, la main, les bras, les jambes avant de
trancher la tête ou de fendre le crâne. Des témoins rapportent qu'il n'est pas
rare que les victimes supplient leurs bourreaux ou leur proposent de l'argent
pour être exécutées plutôt par balles qu'à la machette. Il a aussi été signalé
que, lorsque les Tutsis sont enfermés dans une salle ou dans une église que les
miliciens n'arrivent pas à ouvrir, les militaires viennent à leur secours : ils
défoncent les portes, lancent des grenades dans la salle et laissent le soin aux
miliciens d'achever le travail. La barbarie n'épargne ni les enfants des
orphelinats, ni les blessés des hôpitaux, qui sont enlevés et tués ou achevés.
Des mères se sont vues obligées de piler leurs enfants, tandis que des employés
hutus travaillant pour Médecins sans frontières (Butare, fin avril 1994) ont été
contraints de tuer leurs collègues Tutsis. Ceux qui ont eu le courage de refuser
ont été tués. On a même signalé que les bourreaux, après avoir exécuté leurs
victimes en pleine rue, au vu et au su de tous, les découpent en morceaux et
certains n'hésitent pas à s'asseoir sur les corps pour boire une bière en
attendant que les prisonniers viennent ramasser les corps.
B. Les autres faits
Les faits décrits
ci-dessous sont des conséquences directes et combinées de la guerre autant que
des massacres. Ils se rapportent à ceux qui ont eu la chance de survivre aux
tueries et qui continuent à lutter pour se maintenir en vie. Ils s'expriment par
l'insécurité et l'exode.
1. L'insécurité
Il règne sur l'ensemble du
territoire rwandais une insécurité totale qui revêt trois aspects étroitement
liés.
Le premier aspect, immédiatement perceptible, est la dimension
physique et morale qui consiste pour les rares rescapés des massacres à
préserver, par instinct, leur intégrité physique et morale. Ils courent en effet
le danger de rencontrer l'une ou l'autre des parties au conflit, les forces
armées rwandaises, les miliciens ou, au contraire, le FPR. Certes,
l'appartenance ethnique ou politique peut écarter le danger, lorsque des Hutus
tombent sur les Forces armées rwandaises ou les miliciens, ou que des Tutsis ou
des Hutus modérés rencontrent des soldats du FPR, mais ils ne seront pas pour
autant définitivement épargnés, puisque les tirs d'obus et de mortiers en pleine
ville ne distinguent pas les camps militaires des maisons d'habitation des
civils. Pis encore, aucune précaution ne semble être prise pour éviter que les
tirs n'atteignent des installations des organismes humanitaires. L'obus tombé le
19 juillet 1994 à l'hôpital du CICR, tuant un membre du personnel et faisant
plusieurs blessés, constitue en ce sens en exemple éloquent. Le FPR, responsable
de ce dommage, a justifié sa position par le fait que les Forces armées
rwandaises s'abritent derrière ledit hôpital pour attaquer ses troupes - une
telle position ne peut que briser le moral des rescapés. D'autres organismes,
tel que la MINUAR, ont même été consciemment ciblés.
Le second aspect est
l'insécurité alimentaire. La famine est à la porte du Rwanda. De vastes parties
du territoire semblent entièrement abandonnées. Le long des routes menant de
Kigali à Byumba ou à la frontière ougandaise de Kagitumba, par exemple, la
plupart des villages sont déserts, et les champs se sont pas récoltés. La menace
d'une famine est réelle, surtout dans les zones au sud du pays, qui ont en plus
été victimes d'une sécheresse. Le Rapporteur spécial a reçu des informations
selon lesquelles, dans les camps de déplacés au Rwanda, se produisent des cas de
décès dûs à la malnutrition, et cela malgré tous les efforts des organisations
internationales d'assistance humanitaire.
Le troisième aspect est
l'insécurité sanitaire ou plus précisément l'insalubrité. De nombreux
observateurs ont souligné le risque d'épidémies dues aux corps pourrissant à
l'air libre ou jetés dans les rivières, qui sont susceptibles de polluer les
eaux. Les conditions précaires d'existence, l'état de faiblesse de beaucoup de
personnes, déplacées ou autres, les rendent plus vulnérables aux maladies. Il ne
faut pas non plus oublier que le Rwanda a un des taux les plus élevés au monde
d'infections au virus du SIDA. Des initiatives de vaccinations sont entreprises
dans les camps de déplacés. Les installations médicales opérationnelles ne
suffisent pas pour fournir les soins requis. Le Rapporteur spécial a rendu
visite à l'hôpital du CICR à Kigali, où il a été très impressionné par le
dévouement et l'abnégation du personnel médical, et aussi par l'immensité de
l'oeuvre accomplie.
2. L'exode
Le conflit rwandais a entraîné un
exode sans précédent dans l'histoire de ce petit pays. Cet exode est d'autant
plus impressionnant qu'il comporte un double aspect, l'un, interne, se
rapportant aux déplacés et l'autre, externe, visant les réfugiés.
Les
hostilités entre les forces du "gouvernement intérimaire" et celles du FPR, et
surtout la peur des massacres, ont entraîné des mouvements massifs de
populations au sein même du pays. On parle de plus de deux millions de personnes
ayant quitté leur colline d'origine pour gagner d'autres régions où elles se
sentent plus en sécurité. Avec l'évolution du conflit et l'avancée du FPR, une
bonne partie de la population se déplace sans cesse, fuyant les combats.
L'avancée militaire du FPR vers le sud-ouest et la vague de personnes déplacées
que ce mouvement va sans doute entraîner, pourrait rendre la situation dans
toute la région particulièrement explosive. On estime que jusqu'à deux millions
de personnes pourraient être piégées en ce moment entre la ligne de front et les
frontières avec le Burundi et le Zaïre, toutes les deux actuellement fermées aux
réfugiés rwandais. D'autres se sont retrouvés dans des lieux d'où ils ne peuvent
plus bouger, craignant les massacres. Bien qu'ils ne soient pas retenus de
force, ils sont en fait des otages du conflit. Ils se trouvent dans des lieux
divers, aussi bien dans la capitale que dans d'autres villes et régions du pays.
Lors de son séjour, le Rapporteur spécial a pu visiter plusieurs centres de
déplacés, notamment le stade Amahoro, l'hôpital Roi Fayçal et un camp installé à
l'aéroport de Kigali. Ces centres, ainsi que d'autres, sont protégés par la
MINUAR, et les différentes organisations d'assistance humanitaire font des
efforts énormes pour améliorer leur situation qui, néanmoins, reste extrêmement
précaire.
Les hostilités et surtout les massacres ont amené beaucoup
d'autres rwandais à quitter leur pays pour se réfugier dans les Etats voisins.
C'est ainsi que le Zaïre a accueilli plus de 50 000 réfugiés dans les régions du
Sud-Kivu et de Bukavu. Un nombre considérable d'entre eux sont des burundais qui
s'étaient réfugiés au Rwanda lors des événements violents survenus au Burundi en
octobre-novembre 1993. Le Burundi a accueilli plus de 85 000 réfugiés dans des
camps situés surtout dans les régions de Ngozi et Kirundo. Mais c'est la
Tanzanie qui abrite le plus grand nombre de réfugiés, estimé à 410 000, dont 330
000 dans le seul camp de Benaco, qui est ainsi le plus grand camp de réfugiés du
monde. Le total des réfugiés s'élève à près d'un million de personnes. Ce flux
important de réfugiés pose aussi de sérieux problèmes aux pays hôtes, qui
courent en effet des dangers dûs non seulement à la surpopulation et
l'insécurité provoquées par la présence de nouveaux venus, mais aussi à la
transposition sur leur territoire des tensions politico-ethniques opposant
Tutsis et Hutus. Ce risque est important au Zaïre, mais surtout au Burundi, où
ces mêmes groupes sont présents. De plus ces pays sont proches d'échéances
électorales.
Les réfugiés eux-mêmes ne sont pas à l'abri de l'insécurité
due précisément à la transposition des problèmes dans les camps. Lors de sa
visite dans plusieurs camps situés dans la région du Sud-Kivu, au Zaïre, le
Rapporteur spécial a été informé que plusieurs de ces camps servaient de base
d'entraînement de milices. Des cas d'assassinats, de torture et de disparitions
ont aussi été signalés. Au camp de Luvundi, près de la frontière rwandaise, il a
été donné de constater la tension qui existait entre les réfugiés hutus et
tutsis, quand deux fonctionnaires internationaux, respectivement de nationalité
sénégalaise et malienne, furent agressés verbalement et accusés d'être des
espions tutsis. Le Rapporteur spécial lui même a été interpellé à plusieurs
reprises au sujet de sa nationalité.
La situation est encore plus
explosive et préoccupante dans le camp de Benaco, en Tanzanie. Entre le 28 et le
29 avril 1994, environ 250 000 personnes ont traversé la frontière rwandaise
pour se rendre dans le district de Ngara, en Tanzanie. La grande majorité
d'entre eux étaient des Rwandais d'origine ethnique hutue fuyant l'avancée du
FPR dans l'est du Rwanda. C'est suite à cet afflux sans précédent que le HCR a
créé le camp de Benaco, qui abrite actuellement plus de 330 000 personnes à
quelque 17 km de la frontière rwandaise.
On a constaté que subsistent dans ce
camp les mêmes structures d'encadrement des populations qu'au Rwanda et il est à
craindre que les milices des partis y soient actives. Il est en effet apparu
très rapidement aux responsables du camp que parmi les personnes accueillies se
trouvaient des individus accusés d'avoir organisé ou tout au moins participé à
des massacres au Rwanda, certains témoins les ayant en effet reconnus. Quatorze
d'entre elles, soupçonnées d'avoir participé aux massacres, qui semble-t-il
craignaient pour leur vie, acceptèrent d'être placées en détention sous la
protection de la police tanzanienne. Cependant, le 15 juin 1994, ces 14
personnes soupçonnées ont été libérées par la police tanzanienne à la condition
qu'elles ne retournent pas à Benaco, mais elles ne tinrent pas parole, et la
tentative du HCR de les faire ressortir du camp se solda par une émeute
regroupant près de 5 000 personnes, qui se livrèrent à des manifestations
violentes et menacèrent les employés des organisations humanitaires de leur
faire subir le sort des 10 casques bleus belges, qui ont été torturés et mutilés
avant d'être exécutés à Kigali. On signale, en effet, que des assassinats ont
été commis à Benaco, dont certains semblent avoir été motivés par des raisons
politiques.
Plusieurs observateurs rencontrés par le Rapporteur spécial
ont estimé que la marée humaine ayant précédé la création de Benaco, en raison
de son caractère planifié et bien organisé, ressemble à un repli stratégique des
miliciens responsables des massacres au Rwanda et de leur entourage. C'est en ce
sens que des craintes ont été exprimées de voir le camp servir aux milices de
base arrière à des incursions en territoire rwandais et ainsi de leur permettre
de poursuivre ainsi les violations des droits de l'homme.
II. LES VIOLATIONS DES DROITS DE L'HOMME
Les faits
ci-dessus constituent sans conteste des violations graves et massives des droits
de l'homme. La question est de savoir quelle est la nature que revêtent ces
violations, quelles en sont les causes et qui en sont les auteurs.
A. La nature
Les faits incriminés revêtent une
triple nature : un génocide résultant des massacres des Tutsis, des assassinats
politiques de Hutus, et des atteintes diverses aux droits de l'homme.
1. Le génocide des Tutsis
D'éminentes
personnalités, dont le Secrétaire général des Nations Unies, n'ont pas hésité à
qualifier le massacre des Tutsis de génocide. Il importe de vérifier, au regard
des faits, la pertinence de cette qualification.
L'article II de la
Convention sur la prévention et répression du crime de génocide du 9 décembre
1948 dispose : "le génocide s'entend de l'un quelconque des actes ci-après,
commis dans l'intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national,
ethnique, racial ou religieux, comme tel :
a) Meurtre de membres du
groupe;
b) Atteinte grave à l'intégrité physique ou mentale de membres du
groupe;
c) Soumission intentionnelle du groupe à des conditions
d'existence devant entraîner sa destruction physique totale ou
partielle;
d) Mesures visant à entraver des naissances au sein du
groupe;
e) Transfert forcé d'enfants du groupe à un autre
groupe."
Il ressort de cette définition trois éléments constitutifs du
génocide, qu'on pourrait schématiser ainsi :
i) Un acte
criminel,
ii) "Dans l'intention ... de détruire tout ou
partie",
iii) D'un groupe donné et visé "comme tel".
La première
condition ne semble pas faire de doute eu égard aux massacres perpétrés (II a))
et même aux traitements cruels, inhumains et dégradants (II b)). La seconde
n'est pas davantage difficile à remplir, car l'intention claire et non équivoque
se trouve bien contenue dans les appels incessants au meurtre lancés par les
médias (en particulier le RTLM) et transcrits dans les tracts. Et si ce n'était
le cas, l'intention aurait pu être déduite des faits eux-mêmes, à partir d'un
faisceau d'indices concordants : préparation des massacres (distribution d'armes
à feu et entraînement des miliciens), nombre de Tutsis tués, et résultat de la
poursuite d'une politique de destruction des Tutsis. La troisième condition qui
exige que le groupe ethnique soit visé comme tel pose en revanche problème en
raison de ce que les Tutsis ne sont pas les seules victimes des massacres, les
Hutus modérés n'étant pas épargnés. Mais le problème n'est qu'apparent, et ceci
pour deux raisons : d'abord, nombre de témoignages révèlent que les tris opérés
au cours des barrages pour la vérification des identités visent essentiellement
les Tutsis. Ensuite et surtout, l'ennemi principal, assimilé au FPR, reste le
Tutsi qui est l'inyenzi, c'est à dire "le cafard", à écraser à tout prix.
Le Hutu modéré n'est que le partisan de l'ennemi principal, et il n'est visé
qu'en tant que traître à son groupe, auquel il ose s'opposer.
Il existe
un document émanant de l'état-major de l'armée rwandaise et daté du 21 septembre
1992, qui distingue bien l'ennemi principal de son partisan et qui chargeait la
hiérarchie militaire de "faire une large diffusion". Selon les termes de ce
document, le premier "est le Tutsi de l'intérieur ou de l'extérieur extrémiste
et nostalgique du pouvoir, qui n'a jamais reconnu et ne reconnaît pas encore les
réalités de la Révolution Sociale de 1959, et qui veut conquérir le pouvoir au
Rwanda par tous les moyens, y compris les armes". Le second "est toute personne
qui apporte tout concours à l'ennemi principal". De plus, le partisan peut être
rwandais ou étranger. Il existe un certain nombre de documents qui confirment
cette distinction et qui attestent que les Hutus modérés ne sont massacrés qu'en
tant qu'associés ou partisans des Tutsis.
Les conditions prescrites par
la Convention de 1948 sont ainsi réunies et le Rwanda, y ayant accédé le 16
avril 1976, est tenu d'en respecter les principes qui se seraient imposés même
en dehors de tout lien conventionnel, puisqu'ils ont acquis valeur coutumière.
De l'avis du Rapporteur spécial, la qualification de génocide doit être d'ores
et déjà retenue en ce qui concerne les Tutsis. Il en va différemment de
l'assassinat des Hutus.
2. L'assassinat des Hutus
Des membres du
groupe ethnique hutu, comme il a déjà été indiqué, sont également victimes de
massacres. Mais une distinction s'impose à ce stade. D'une part, il y a les
Hutus modérés, auxquels, par extension, on associe certains étrangers tels que
les Belges, et qui comprennent essentiellement les opposants politiques et les
militants des droits de l'homme. Ils constituent la cible toute désignée pour
des éléments des Forces armées gouvernementales et les miliciens. D'autre part,
il y a les Hutus extrémistes, composés surtout de miliciens, qui seraient
victimes, sur simple dénonciation, d'exécutions dans les zones contrôlées par le
FPR.
Ces actes constituent des assassinats et plus spécifiquement des
assassinats politiques qui portent atteinte au droit à la vie, qui est un droit
fondamental contenu dans nombre d'instruments internationaux.
Faute de
citer toutes ces conventions, on en retiendra deux, dont les dispositions
pertinentes s'imposent à L'Etat rwandais, qui y a accédé. Ce sont, d'une part,
le Pacte International relatif aux droits civils et politiques du 16 décembre
1966, et d'autre part, la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples
du 28 juin 1981. Ces assassinats politiques constituent une violation flagrante
des instruments précités. L'on doit préciser que le droit à la vie est un droit
fondamental, qui existe "en dehors de tout lien conventionnel", et dont le
respect s'impose en toutes circonstances.
3. Autres violations
Un certain nombre
d'autres droits non moins importants font également l'objet de violations graves
de la part des parties au conflit. Ces droits violés concernent aussi bien les
droits de l'homme stricto sensu que le droit international
humanitaire.
En combinaison avec le droit à la vie, les autres droits
auxquels il est porté atteinte sont assez divers. On se bornera à mentionner, à
titre d'exemple : le droit à l'intégrité physique et morale, qui interdit la
torture et d'autres traitements cruels, inhumains et dégradants, consacré par
nombre d'instruments juridiques internationaux, notamment le Pacte International
relatif aux droits civils et politiques et la Charte africaine des droits de
l'homme et des peuples. Il échet de rappeler que ce droit constitue également un
droit fondamental qui s'impose en toutes circonstances; le principe de non
discrimination ou droit à l'égalité de traitement, la liberté de mouvement ou de
circulation, deux droits consacrés par les conventions précitées; le droit des
réfugiés régi par les instruments internationaux relatifs au statut des
réfugiés, dont la Convention du 28 juillet 1951, à laquelle le Rwanda est
partie.
Le droit international humanitaire n'est pas davantage respecté.
Beaucoup de faits incriminés, tels le meurtre, les assassinats politiques,
l'exécution des otages et les autres actes inhumaines commis contre les
populations civiles ou des militaires désarmés par les forces armées des deux
parties au conflit constituent des crimes de guerre heurtant frontalement les
quatre Conventions de Genève du 12 août 1949, ratifiées par le Rwanda, et leur
article 3 commun. Il convient de noter, à ce stade, que le FPR a déclaré au CICR
qu'il se considère comme lié par les Conventions de Genève et leurs Protocoles
additionnels. De plus, les assassinats et les autres actes inhumains commis
contre les populations civiles ainsi que les persécutions pour des motifs
politiques en liaison avec les crimes de guerre constituent des crimes contre
l'humanité.
B. Les causes
Les causes des violations des
droits de l'homme au Rwanda sont de divers ordres : économiques, sociaux,
politiques, culturels, etc., desquels l'on retiendra trois immédiatement
perceptibles et significatifs de la situation actuelle. Ce sont le refus de
l'alternance politique, l'incitation à la haine et à la violence et
l'impunité.
1. Le refus d'alternance politique
Le refus de
l'alternance politique, qui caractérise l'Afrique noire francophone en général,
prend une allure particulière au Rwanda avec une forte coloration ethnique. En
fait, l'enjeu des événements qui se déroulent dans le pays n'est pas ethnique
mais plutôt politique : c'est la conquête du pouvoir politique ou plus
précisément le maintien au pouvoir des représentants d'un groupe ethnique,
autrefois dominé, qui usent de tous les moyens et principalement de
l'élimination du groupe ethnique adverse, ainsi que de ceux de son propre groupe
qui lui sont politiquement opposés. De ce point de vue, l'image précitée de
l'ennemi principal et de son partisan est assez révélatrice. La résistance aux
accords de paix d'Arusha du 4 août 1993 en est un signe tendant même à attester
le refus d'un simple partage du pouvoir politique ou de la simple cohabitation
politique.
Le refus de l'alternance politique renvoie en fait à l'absence
d'état de droit. Car l'état de droit garantit l'alternance politique. Et tous
les deux constituent des exigences élémentaires de la démocratie pluraliste. Au
Rwanda, à l'état de droit s'est ainsi substitué l'état de violence, qui est
celui de l'affrontement. Il s'affranchit des règles de la légalité que commande
la démocratie et qui postule le respect de la loi. On passe de la démocratie
politique à la loi des armes, de sorte qu'à la dévolution pacifique du pouvoir
politique par la voie des urnes se substitue sa conquête par la forces des armes
avec son lot de tueries et de barbaries.
2. L'incitation à la haine ethnique et à la
violence
Il circule en permanence au Rwanda de fausses rumeurs et
des tracts tendant à exacerber les passions ethniques et à inciter à la
violence. Ces rumeurs présentent par exemple les Tutsis comme étant "des
assoiffés de sang et de pouvoir voulant imposer leur hégémonie au peuple
rwandais par les canons et les fusils". Ils s'apprêteraient même à les
exterminer. Des appels répétés sont lancés à l'attention des Hutus, et
débouchent sur les "dix commandements" qui préconisent une idéologie d'apartheid
tendant à se préserver du retour au pouvoir des Tutsis. Cette incitation date de
longtemps, comme le soulignent différents rapports dont ceux de la Commission
internationale d'enquête, composée par des représentants de plusieurs
organisations non gouvernementales, surématiques des droits de l'homme depuis le
1er octobre 1990 (7-21 janvier 1993), ou le rapport présenté par M. Bacre Waly
Ndiaye, Rapporteur spécial sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou
arbitraires, sur la mission qu'il a effectuée au Rwanda du 8 au 17 avril 1993
(voir E/CN.4/1994/7/Add.1).
Mais ce qui semble nouveau et mérite d'être
souligné, est la forte implication de la Radio Nationale Rwandaise sous contrôle
de la Présidence et surtout de la Radio-Télévision libre des Milles Collines
(RTLM). Il est frappant de relever que les émissions de ces médias diffèrent
significativement selon qu'elles sont émises en français ou en
kinyarwanda, la seule langue parlée par la quasi totalité des Rwandais.
Inoffensives dans le premier cas, elles deviennent extrêmement agressives dans
le second. La RTLM n'hésite pas à appeler à l'extermination des Tutsis. Sa
triste célébrité lui vient du rôle déterminant qu'elle semble avoir joué dans
les massacres. Aussi l'appelle-t-on "la radio qui tue". Et pour cause, fin
avril, cet organe de propagande des extrémistes hutus annonce, selon Reporters
sans frontières, que "le 5 mai, le nettoyage des Tutsis devra être terminé" ou
encore "la tombe n'est qu'à moitié pleine, qui veut nous aider à les remplir ?"
Cette campagne est d'autant plus dangereuse qu'un haut fonctionnaire des Nations
Unies fait observer que le paysan rwandais, qui ne sait en général ni lire ni
écrire est très attentif aux émissions en kinyarwanda : il tient à
l'oreille la radio et à la main la machette, prêt à entrer en action.
3. L'impunité
Tout comme l'incitation à la
haine et au meurtre, l'impunité est une cause récurrente des massacres : les
milices des partis politiques dressent des barricades, contrôlent l'identité des
passants, arrêtent les Tutsis et les Hutus modérés et les exécutent en pleine
rue, au vu et au su de tous, devant les éléments de la gendarmerie et des forces
armées rwandaises. Ceux-ci, loin d'inquiéter les miliciens, leur portent plutôt
main forte. C'est également le cas de certaines autorités locales, préfets ou
bourgmestres, qui ont directement participé aux tueries.
Les auteurs des
massacres précédents et actuels, connus de la population et des pouvoirs
publics, n'ont fait l'objet d'aucune poursuite. Bien au contraire, ils
continuent à mener une vie paisible et à circuler librement en toute quiétude et
impunité. Et pis encore, nombre d'autorités locales qui se sont particulièrement
signalés par leur cruauté ont bénéficié de promotions, tandis que celles qui ont
réussi à maintenir le calme et à éviter les massacres ont été purement et
simplement limogées. Dans le premier cas, on citera le bourgmestre Jean-Baptiste
Gatete, connu pour ses méfaits et qui a été promu directeur de cabinet au
Ministère de la famille depuis juin 1993. Dans le second, l'on citera le nom du
Préfet de Butare, qui a été tué, et celui de Kibungo, qui a été démis de ses
fonctions. Comme on l'a vu, les tueries dans les deux préfectures ont commencé
aussitôt après leur remplacement.
C. Les auteurs
En l'état actuel des recherches
entreprises dans le cadre du mandat du Rapporteur spécial, il n'a pas été
possible d'identifier nommément tous les responsables des violations et abus
commis. Certes, des listes de noms de personnes impliquées dans la planification
et l'exécution des exactions sont en sa possession. Mais il se réserve le temps
d'établir le lien d'imputabilité et de dresser la liste des auteurs au fur et à
mesure des vérifications.
Néanmoins, au niveau des personnes morales, ou
des organes impliqués dans les atrocités récentes, il est d'ores et déjà
possible de retenir certaines responsabilités :
Des organes de l'Etat
rwandais, et tout particulièrement, des hauts cadres politiques au niveau
national, tels que certains ministres, des différentes composantes des forces de
sécurité gouvernementales, telles que la garde présidentielle, les forces armées
rwandaises et la gendarmerie; et de certaines autorités locales, préfets et
bourgmestres;
Des organes de FPR, notamment les responsables de ses
activités militaires;
Des personnes privées telles que les miliciens, les
responsables de partis politiques extrémistes (MRND et CDR) ou les fondateurs et
les animateurs de la RTLM;
Les responsabilités de certains Etats étrangers et
leur ingérence dans la vie politique du Rwanda est également à
clarifier;
Enfin, le rôle de la communauté internationale, et, en
particulier, la réponse des Nations Unies aux besoins urgents de la population,
notamment en matière de sécurité et d'assistance humanitaires, mérite d'être
analysée. C'est dans ce contexte que le Rapporteur spécial voudrait joindre sa
voix à celle de ceux qui ont déploré la réduction du personnel de la MINUAR le
21 avril 1994, limitant de façon déterminante les possibilités de protéger des
personnes en danger.
C'est dans ce contexte que l'attaque contre l'avion
présidentiel doit être examinée par le Rapporteur spécial, dans la mesure où il
peut y avoir des liens entre ceux qui l'ont commanditée et les responsables des
massacres. Les circonstances précises de l'assassinat des membres modérés du
"gouvernement intérimaire", y compris celui du Premier Ministre, et des 10
soldats belges, doivent être élucidées. Les liens entre les milices des partis
politiques, particulièrement l'interahamwe, la garde présidentielle, les
forces armées rwandaises et la gendarmerie, doivent également être examinés en
vue de déterminer les chaînes de commandement et les responsabilités
individuelles. C'est à la lumière de cette enquête que le Rapporteur spécial
pourra faire des recommandations pertinentes à la Commission des droits de
l'homme.
La responsabilité du "gouvernement intérimaire" rwandais est
aussi pleinement engagée compte tenu du fait qu'il a renoncé à mettre en oeuvre
des mesures efficaces destinées à prévenir les violations des droits de l'homme
et du droit international humanitaire, y compris le génocide. Dès le début des
atrocités, les dirigeants rwandais ont soutenu que les massacres ne cesseraient
qu'après la fin du conflit armé. Lors de l'entretien que le Rapporteur spécial a
tenu durant sa mission avec le chef de l'état-major des forces armées
rwandaises, ce dernier lui a expliqué que les autorités rwandaises pourraient
faire appel aux populations pour qu'elles arrêtent les exactions, et que les
populations les écouteraient, mais que la conclusion d'un accord de
cessez-le-feu était une condition préalable à un tel appel.
IV. RECOMMANDATIONS
Les recommandations du Rapporteur
spécial, qui tiennent dûment compte de la situation d'urgence qui prévaut au
Rwanda, se répartissent en mesures immédiates et en mesures à court et moyen
terme.
A. Mesures immédiates
I.
L'organisation des Nations Unies devrait
:
Exiger des parties au conflit que cessent immédiatement la guerre ainsi
que le génocide et les autres violations graves et massives des droits de
l'homme perpétrées au Rwanda. La cessation des hostilités devrait être
inconditionnelle, et devrait concerner indistinctement les massacres et les
faits de guerre;
En appeler, pour ce faire, à la conscience et à la
responsabilité personnelle des autorités dirigeantes des parties au
conflit.
II.
L'organisation des Nations Unies devrait inviter
les responsables des parties au conflit :
A lancer un appel pressant et
solennel à leurs troupes, aux milices et aux civils armés, pour exiger qu'ils
cessent immédiatement les massacres sous peine de sanctions sévères et
effectives;
A prendre des mesures concrètes en vue de désarmer les
milices et les civils armés. Ce désarmement devrait se faire sous le contrôle
d'une force internationale neutre qui pourrait être la MINUAR II renforcée par
des éléments venant des membres de l'Organisation de l'Unité Africaine (OAU), et
dont il conviendrait de rendre possible le déploiement rapide et complet des
troupes;
A dissoudre les milices armées et les organisations
similaires.
III.
L'organisation des Nations Unies devrait exiger
des autorités gouvernementales qu'elles :
Lancent également un appel
solennel et pressant aux responsables des médias, et tout particulièrement à la
Radio-Télévision libre des Mille Collines, pour qu'ils mettent immédiatement fin
à la guerre médiatique;
Prennent les mesures appropriés pour interdire
toute campagne et toute rumeur susceptibles d'inciter à la haine raciale et à la
violence, sous peine de sanctions sévères.
IV.
L'organisation des Nations Unies devrait
solennellement :
Condamner le génocide perpétré au Rwanda en insistant
sur le caractère horrible, abominable et inacceptable de tels
actes;
Informer les auteurs qu'une fois identifiés ils auront à répondre
de leurs actes et omissions devant des instances compétentes et en quelque
endroit de la planète qu'ils puissent se trouver;
Demander aux Etats qui
ont accordé l'asile ou autre refuge aux personnes impliquées dans les massacres
de prendre les mesures appropriées pour qu'elles n'échappent pas à la
justice.
V.
L'Organisation des Nations Unies devrait, en
collaboration avec l'OUA, prendre les mesures appropriées pour assurer la
protection des orphelins, des déplacés, et des réfugiés :
En créant un
centre d'accueil ou orphelinat destiné à recevoir les orphelins afin de les
mettre à l'abri de tout danger, de leur offrir des conditions de vie décentes et
d'assurer leur éducation. Ce centre serait financé par un fond spécial dit de
solidarité, alimenté par les Etats membres et géré par un comité dont le statut
et le fonctionnement restent à déterminer;
En assurant que les droits des
réfugiés et des déplacés seront respectés, notamment en ce qui concerne leur
sécurité et leurs conditions de vie, tout en rappelant à ceux-ci qu'ils ont
également des obligations, notamment à l'égard des Etats d'accueil, et qu'ils
doivent s'abstenir de tout acte susceptible de porter atteinte aux normes
nationales et internationales;
En renforçant les moyens du Haut
Commissariat aux réfugiés pour qu'il entreprenne des études en vue de déterminer
les conditions de retour des réfugiés et des déplacés dans leur pays ou sur
leurs collines;
En créant, d'ores et déjà, des zones de passage permettant à
la population de se mettre sous la protection des autorités de leur
choix.
B. Mesures à court et moyen
terme
I.
L'ONU devrait, en collaboration avec l'OUA,
prendre les dispositions appropriées pour :
Amener les parties au conflit
à négocier, de bonne foi et en tenant dûment compte des accords d'Arusha du 4
août 1993, les conditions de la paix, de la transition démocratique, de la
réconciliation et de l'unité nationales;
Appeler les parties à appliquer
de bonne foi les accords ainsi conclus. Les accords ne devraient en aucune
manière consacrer, sous couvert d'arrangements politiques, l'impunité des
auteurs de génocide et d'autres crimes contre l'humanité. Bien au contraire, ils
doivent prévoir des mécanismes permettant effectivement de sanctionner les
auteurs. C'est là l'une des conditions de la réconciliation et de l'unité
nationales.
II.
L'ONU devrait veiller à ce que la transition
démocratique débouche sur des élections libres et régulières sur la base d'une
constitution créant des institutions nationales et démocratiques tenant dûment
compte des intérêts légitimes des deux communautés en présence dans la
perspective d'une véritable intégration nationale.
III.
L'ONU devrait, dans le cadre des
négociations des accords de paix
Insister sur la nécessité de la
réconciliation et de l'unité nationales. A cet égard, la nouvelle constitution
devrait prévoir des dispositions appropriées interdisant et réprimant sévèrement
les actes incitant à la haine ethnique et à la violence.
Aucun document
officiel, carte d'identité nationale, permis de conduire, livret de famille ou
autre ne devrait faire mention de l'appartenance ethnique.
Tout parti ou
association à base ethnique devrait être interdit.
Prendre l'initiative
de créer, ou d'aider à créer, une station de radio émettant en français et en
kinyarwanda, et chargée d'assurer une éducation aux droits de l'homme et
au respect scrupuleux et la dignité humaine. Les modalités de financement et de
gestion seraient les mêmes que celles de l'orphelinat précité.
IV.
L'ONU devrait créer, dans l'attente d'une
juridiction pénale internationale permanente, une juridiction internationale
ad hoc chargée de connaître des faits et de juger les coupables et, à
défaut, étendre la compétence du tribunal pénal international pour les crimes de
guerre commis dans l'ex-Yougoslavie.
V.
L'ONU devrait mettre sur place une équipe
renforcée d'observateurs de droits de l'homme guidés par un coordinateur de haut
niveau relevant du Rapporteur spécial.
ANNEXE II
Rapport sur la situation des droits de
l'homme au Rwanda établi
par le Rapporteur spécial de la Commission
des droits de l'homme
en application de la résolution S-3/1 de la
Commission et de la
décision 1994/223 du Conseil économique et
social
INTRODUCTION
1. Conformément au mandat qui lui a été
confié par la Commission des droits de l'homme dans sa résolution S-3/1 du 25
mai 1994, le Rapporteur spécial s'est rendu au Rwanda pour une deuxième visite
du 29 au 31 juillet 1994. Le but de cette visite était d'évaluer la situation
des droits de l'homme au Rwanda depuis la finalisation du rapport préliminaire
que le Rapporteur spécial avait soumis aux Etats membres de la Commission des
droits de l'homme le 28 juin 1994 (E/CN.4/1995/7) et d'établir le contact avec
les nouvelles autorités rwandaises pour discuter avec elles des problèmes
relatifs aux droits de l'homme, et, tout particulièrement, à la situation des
réfugiés et personnes déplacées.
2. Le Rapporteur spécial a pu
s'entretenir les 28 et 29 juillet 1994 à Nairobi, et du 29 au 31 juillet à
Kigali et Gitarama, avec des représentants du nouveau Gouvernement rwandais, des
responsables de diverses agences des Nations Unies oeuvrant au Rwanda ainsi que
des représentants des organisations non gouvernementales. Parmi les personnes
rencontrées étaient notamment : M. Paul Kagame, Vice-Président de la République
et Ministre de la défense; M. Faustin Twagiramungu, Premier Ministre; M.
Alphonse-Marie Nkubito, Garde des Sceaux, Ministre de la justice; M. Jean-Marie
Vianney Ndagijimana, Ministre des affaires étrangères; Dr. Joseph Nsengumana,
Ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche scientifique;
M.
Mugbo Rie, Ministre du travail et des affaires sociales; M. Shahryar Khan,
Représentant spécial du Secrétaire général pour le Rwanda; le Général Roméo
Dallaire, Commandant de la Mission des Nations Unies pour l'Assistance au Rwanda
(MINUAR); M. Michel Moussalli, Envoyé spécial du Haut Commissaire des Nations
Unies pour les Réfugiés (HCR); M. Arturo Hein, Coordonnateur humanitaire du
United Nations Rwanda Emergency Office (UNREO) et son Directeur exécutif,
M. Charles Petrie; ainsi que M. Bernard Kouchner, et le collectif des ligues et
associations des droits de l'homme au Rwanda (CLADHO).
3. Le Rapporteur
spécial souhaite ici exprimer ses remerciements à toutes ces personnalités qui
lui ont fourni de l'assistance et ainsi facilité sa visite, tout
particulièrement au Commandant de la MINUAR pour son appui logistique.
4.
Ces différents entretiens ont permis de faire le point sur la situation qui
prévaut au Rwanda en mettant l'accent sur l'insécurité, le retour des réfugiés
et des personnes déplacées, et aussi de s'accorder avec les autorités sur
certains points.
I. L'INSECURITE AU RWANDA
5. Le problème
fondamental que pose la situation actuelle au Rwanda se ramène à celui de la
sécurité. La fin du conflit armé n'a pas pour autant mis un terme à
l'insécurité. Les hostilités n'ont, en effet, laissé derrière elles que ruine et
désolation : grandes pertes en vies humaines, nombreux dégâts matériels,
familles endeuillées, villes vides d'habitants ...
6. Certes, depuis la
chute de Gisenyi le 15 juillet 1994 et le cessez-le-feu, la vie commence peu à
peu à renaître. A Kigali et à Gitarama des magasins sont nettoyés ou déjà
ouverts, des petits marchés s'ouvrent ça et là, et le grand marché de Kigali a,
quant à lui, rouvert dès le 27 juillet. Le Représentant spécial du Secrétaire
général pour le Rwanda reste assez optimiste, estimant que dans deux ou trois
mois "se produira un grand changement", entendant par là que la vie redeviendra
normale. Mais la préoccupation majeure de l'insécurité demeure, se caractérisant
par trois traits essentiels : l'occupation illégale des maisons abandonnées; le
banditisme; les exécutions sommaires; et la quasi-absence d'administration
d'Etat.
A. L'occupation illégale des maisons
abandonnées
7. Des personnes occupent illégalement les maisons
abandonnées par les propriétaires ou locataires en fuite. Le cas le plus délicat
semble être celui des anciens réfugiés, tout particulièrement ceux qui ont fui
le pays lors des massacres au cours des dernières années. Revenus au Rwanda, ils
revendiquent leurs terres et s'installent dans les maisons des déplacés ou
réfugiés. Le gouvernement se trouve ainsi confronté à un contentieux délicat.
Celui-ci est d'autant plus grave que les bâtiments publics n'échappent pas à
cette occupation illicite. Le parquet de Kigali a été ainsi transformé en
restaurant avec pancartes portant la mention, et les dossiers en charbon, pour
faire du feu en vue de préparer bouillie et thé.
8. Certes, le
gouvernement a mis sur pied un comité interministériel, piloté par les Ministres
de la défense et de l'intérieur, en vue de faire rentrer les propriétaires dans
leurs droits, estimant qu'ils ont priorité sur les anciens réfugiés. Mais, le
problème ne sera qu'à moitié résolu sinon déplacé, car il faut trouver des
maisons pour loger les nouveaux venus et des terres disponibles pour construire
ou cultiver. La difficulté procède ici de ce que le Rwanda ne s'étend que sur
une superficie de 26 338 km2 pour une population estimée avant les hostilités à
près de 8 millions, c'est-à-dire, une très forte densité de 350 habitants/km2.
Les lourdes pertes causées par les massacres puis les épidémies pourraient-elles
être compensées par le retour des anciens réfugiés ? On saisira davantage la
difficulté si l'on ne perd pas de vue que la surpopulation de ce pays est une
des causes rémanentes du conflit armé. A cette difficulté s'ajoutent le
banditisme et les exécutions sommaires.
B. Le banditisme et les exécutions
sommaires
9. Dans les villes du Rwanda sévissent banditisme
et brigandage. Des bandes armées s'adonnent au pillage des maisons et cases. On
signale également des disparitions et enlèvements de personnes ainsi que des
exécutions sommaires. Ces derniers actes sont attribués, par des rumeurs
persistantes, au Front patriotique rwandais (FPR). Les membres du gouvernement,
qui reconnaissent implicitement les faits, n'en imputent pas la responsabilité
au FPR. Ils ne démentent pas cependant le fait que des éléments incontrôlés du
FPR ou de l'armée puissent s'adonner à de tels actes par mesures de
représailles. Mais, la responsabilité des disparitions et exécutions sommaires
pourrait également être imputée aux parents des victimes sur la personne des
bourreaux ou de leurs familles par esprit de vengeance. On signale par ailleurs
des miliciens à Kigali et dans certaines régions du Rwanda. Ils menaceraient de
continuer leurs exécutions sommaires et auraient déjà tué un militaire qu'ils
auraient jeté dans un égout. Le nouveau gouvernement a, semble-t-il, engagé des
"actions immédiates à l'endroit des fauteurs de troubles" pour assurer la
sécurité des personnes et des biens. Mais cette initiative se trouve compromise
par l'absence d'une véritable structure administrative.
C. La quasi-absence d'une administration
d'Etat
10. La quasi-absence d'une administration d'Etat
constitue le troisième élément qui, du reste, peut expliquer les deux autres.
Les anciennes autorités politiques, judiciaires et administratives, dominées par
le groupe ethnique Hutu, ont fui le pays en même temps que les militaires et au
fur et à mesure que l'armée du FPR avançait. En effet, beaucoup d'agents de
l'administration centrale et de l'administration locale, et tout
particulièrement les préfets et les bourgmestres, ont déserté le pays. Il en va
de même des magistrats et surtout des éléments des forces de sécurité, gendarmes
et militaires. Les médias ont ainsi annoncé, le mardi 2 août 1994, la présence à
Goma de près de 20.000 soldats gouvernementaux. Ce chiffre pourrait s'avérer
être bien en deçà de la réalité.
11. Le FPR, qui a remporté la victoire
militaire, ne dispose que d'une administration embryonnaire, une administration
de guerre qui assure à l'heure actuelle la transition et tout reste à faire. Le
pays reste à reconstruire presque ex nihilo. La situation critique
d'insécurité où est plongé le Rwanda n'est pas de nature à rassurer ceux qui y
habitent, encore moins les réfugiés dont le retour est vivement souhaité par la
communauté internationale.
II. LE RETOUR DES REFUGIES ET DES PERSONNES
DEPLACEES
12. La grande préoccupation de la communauté
internationale à l'heure actuelle est le retour au Rwanda des réfugiés et
personnes déplacées. Ceux-ci vivent dans des conditions précaires mais hésitent
à rentrer, craignant des représailles de la part des nouvelles autorités et ce,
nonobstant les mesures prises pour les rassurer.
A. Les conditions pénibles d'existence
13.
Les réfugiés rwandais ont vécu et vivent encore dans des conditions pénibles et
dramatiques se rapportant à leur fuite et à leur séjour en terre d'exil.
1. La fuite
14. Fuyant l'avancée
victorieuse des éléments du FPR, des millions de personnes ont déferlé en
enfonçant, pour s'y réfugier, les portes des Etats frontaliers, tout
particulièrement celles du Zaïre. Le nombre des arrivées est impressionnant, se
chiffrant à plusieurs milliers de réfugiés. Un hebdomadaire international
annonce le 28 juillet 1994 pour Goma que le rythme était de "12 000 à l'heure".
D'autres sources émanant des organismes des Nations Unies font même état de 20
000 à l'heure. Aux populations civiles, il faut ajouter plusieurs milliers de
soldats gouvernementaux, mêlés à la foule ou la suivant.
15. Le
déferlement de cette marée humaine s'est accompagné non seulement de faim, de
soif et d'épuisement dus à la longue marche et au poids des bagages, mais
également de nombreux morts par accident (piétinement, asphyxie...) ou par
assassinats. De plus, l'arrivée ne sera que le commencement du calvaire des
rescapés, car leur séjour ne sera pas moins pénible.
2. Le séjour
16. L'exode des Hutus a
contribué à vider davantage le Rwanda de sa population. Le nombre de réfugiés
qu'ont entraîné la guerre et les massacres est estimé à la fin du mois de
juillet à près de 2,5 millions. La population de réfugiés s'établit comme suit :
1,2 million à Goma, 500 000 au Sud-Kivu, 300 000 à 400 000 en République-Unie de
Tanzanie, 150 000 au Burundi, 10 000 à 12 000 en Ouganda. Goma, base arrière de
l'"opération Turquoise", est ainsi devenue le premier centre d'accueil des
réfugiés, surclassant le camp de Bénaco en Tanzanie. Le drame procède de ce que
Goma, qui ne comptait que 300 000 habitants, connaît l'intrusion subite de 1 200
000 personnes supplémentaires, soit le quadruple de sa population. La
surpopulation de la ville zaïroise, dans des conditions précaires d'existence,
contenait les germes d'un drame humain qui la singularisait. Les conséquences
étaient en effet prévisibles. A la famine a succédé une épidémie de choléra.
Celle-ci a causé la mort de plusieurs milliers de personnes. Les chiffres
avancés ne sont pas précis, variant d'une source à l'autre et donnant lieu à
controverse. Le nombre de morts se situerait entre 20 000 et 50 000. Au choléra
s'est adjoint une dysenterie qui vient de se déclarer et risque peut-être de
revêtir la forme d'une épidémie. Des journalistes ajoutent à la liste des
malheurs rwandais la menace d'une éruption volcanique (émanant de deux volcans,
le Nyiragongo et le Nyamuragira situés à quelques dizaines de kilomètres au nord
de Goma, comme cela a été rapporté dans la presse internationale les 24-25
juillet 1994).
17. En dépit de ces souffrances, les réfugiés hésitent à
rentrer dans leur pays, craignant pour leur vie.
B. La crainte de représailles
18. Les
Hutus réfugiés dans les différents Etats frontaliers et tout particulièrement à
Goma veulent bien rentrer chez eux, mais craignent que les nouvelles autorités
politiques à dominante Tutsi ne se vengent et ne les massacrent. Ils se trouvent
ainsi enfermés dans un dilemme difficile à dénouer, la seule alternative qui
s'offre à eux : mourir de maladie (choléra, dysenterie...) ou au contraire
risquer les représailles. Cette crainte, qui trouve son origine dans le génocide
des Tutsis, est entretenue et exacerbée à la fois par la Radio Télévision Libre
des Milles Collines (RTLM) et par l'ancien gouvernement en fuite.
1. L'action de la RTLM
19. La RTLM a
continué sa campagne d'incitation à la haine ethnique et à la violence. Elle
aurait appelé les Hutus à quitter le Rwanda pour se réfugier à l'extérieur du
pays, tout particulièrement au Zaïre, de peur de se faire massacrer par les
nouvelles autorités. L'invitation serait elle-même assortie de représailles à
peine voilées à l'encontre des récalcitrants. Il a été rapporté au Rapporteur
spécial dans ce sens l'un des propos qui circulent à Goma: "les loups dorment
avec les moutons". Et les premiers s'adressant aux seconds, leur lancent "ne
rentrez pas, restez avec nous", laissant sous-entendre qu'en cas de refus, la
sanction serait inévitable : les loups mangeront les moutons.
20. La
pression exercée par la RTLM est d'autant plus forte et efficace qu'elle est
bien connue, qu'elle est leur radio et que les Rwandais ont une "culture de
radio", ayant presque en permanence leur poste à l'oreille. L'opinion publique
s'est réjouie un moment de ce que la "radio qui tue" ait cessé d'émettre. Il a
même été rapporté que les militaires français l'avaient neutralisée. Mais il
n'en est rien, car pas plus tard que le lundi 1er août 1994, la presse
internationale déplorait encore son existence et la campagne par elle
orchestrée.
2. L'action de l'ancien gouvernement
21.
La campagne menée par la RTLM vient au soutien de l'action entreprise par les
anciennes autorités rwandaises. Des témoignages concordants et dignes de foi ont
en effet révélé que ceux-ci ont appelé les populations Hutus à les suivre dans
leur retraite de peur de se faire massacrer par le FPR et les Tutsis. Cette
invitation, dit-on, aurait fait l'objet d'une véritable campagne menée par les
médias, des préfets, des officiers de l'armée et de la gendarmerie, ainsi que
par des bourgmestres. Elle s'appréhenderait beaucoup plus comme un ordre qu'une
simple recommandation, les destinataires n'ayant pas le choix. Car un grand
nombre de Hutus aurait été forcé à les suivre, constituant ainsi de véritables
otages. Et ceux qui ont refusé auraient été considérés comme des collaborateurs
des Tutsis et de ce fait massacrés. L'on rapporte en ce sens le témoignage de
plusieurs personnes, dont une institutrice, qui auraient déclaré être allées à
Goma contre leur gré "pour ne pas risquer leur vie". Tout se passe comme si la
fuite de cette marée humaine vers les Etats frontaliers du Rwanda et tout
particulièrement vers le Zaïre (Goma) n'était pas spontanée et désordonnée mais
forcée et planifiée. Les Hutus craignent à la fois les massacres supposés
perpétrés par les nouvelles autorités tutsis et ceux effectivement commis par
les anciennes autorités hutus. Cette situation a conduit le FPR, sous la
pression de la communauté internationale, à prendre des mesures destinées à
rassurer les réfugiés et les personnes déplacées.
C. Les mesures destinées à rassurer les
réfugiés
et les personnes déplacées
22. Pour
exhorter les réfugiés et les personnes déplacées à rentrer chez eux, diverses
mesures ont été prises par le nouveau gouvernement autant que par la communauté
internationale.
1. Le nouveau Gouvernement rwandais
23.
Dans le but de favoriser le retour au pays des nationaux, le nouveau
Gouvernement rwandais a entrepris essentiellement deux actions.
24. La
première a consisté dans les discours prononcés par les plus hautes autorités de
l'Etat. Le Président de la République, le Vice-Président et le Premier Ministre
ont, en effet, respectivement invité les réfugiés à rentrer en leur donnant
l'assurance qu'ils n'avaient rien à craindre ni pour leur personne ni pour leurs
biens. Il a été précisé qu'ils récupéreront ce qu'ils ont laissé et que priorité
était donnée à leurs droits sur ceux des anciens réfugiés. Un tel engagement,
certes interne, mais souscrit devant la communauté internationale, n'est pas
sans portée réelle. Toutefois, certains observateurs craignent que les réfugiés
n'aient pas accès à l'information diffusée sur la radio rwandaise en raison de
la portée limitée de ses émissions à la région de Kigali. Des membres du
gouvernement ont cependant précisé que l'objection devait être relativisée, ne
valant que lorsque la radio émet en modulation de fréquence. Il importe à ce
stade de se demander si les réfugiés écoutent ou ont le temps d'écouter la radio
rwandaise. Par ailleurs, à supposer qu'ils le fassent, ne considéreront-ils pas
l'engagement du gouvernement comme relevant du discours politique, y voyant
là-même un piège, eu égard à toute la campagne orchestrée par les anciennes
autorités rwandaises ? Les discours doivent donc être suivis dans les meilleurs
délais de mesures concrètes d'application pour emporter l'adhésion des réfugiés
sceptiques.
25. La seconde action est constituée par les accords conclus
par le Président de la République à la fin du mois de juillet dernier avec ses
quatre homologues des Etats frontaliers : Zaïre, Tanzanie, Burundi et Ouganda.
Dans ces instruments internationaux, les Etats s'accordent essentiellement sur
quatre points :
a) Retour en toute liberté des réfugiés au Rwanda;
b)
Non-utilisation des territoires des Etats de refuge comme base de
déstabilisation du Rwanda;
c) Désarmement des militaires et des personnes
armées;
d) Cessation immédiate des radios mobiles incitant à la haine
ethnique au cas où elles existeraient.
26. S'ils étaient appliqués, ces
accords seraient de nature à favoriser le retour des réfugiés Hutus au Rwanda.
Mais ces mesures restent encore insuffisantes et doivent être complétées par
celles de la communauté internationale.
2. La communauté internationale
27. Le
terme de communauté internationale doit être appréhendé lato sensu,
englobant non seulement les organes des Nations Unies mais également des Etats
Membres et les différentes organisations non gouvernementales qui concourent sur
le terrain à la sauvegarde des vies humaines.
28. La communauté
internationale ainsi entendue a mis sur pied toute une série de mesures
destinées à favoriser le retour des réfugiés et des personnes déplacées en toute
sécurité. Faute de les citer toutes, quelques-unes, les plus récentes, seront
mentionnées à titre d'illustration :
a) La mise en place de relais
humanitaires sur les routes de retour des réfugiés est envisagée par le HCR et
la MINUAR. Ces "routes humanitaires" iraient notamment de Goma et Bukavu à
Kigali et seraient jalonnées à intervalles réguliers de ponts de ravitaillement
en eau, en nourriture et en médicaments;
b) L'installation de soutiens
techniques et logistiques ainsi que le débarquement de vivres sont prévus, non
au camp des réfugiés ni sur les "routes humanitaires", mais directement au
Rwanda. C'est la stratégie adoptée par les Etats-Unis d'Amérique pour attirer
les réfugiés et favoriser ainsi leur retour au Rwanda. Cette politique a déjà eu
un commencement d'exécution dès le dimanche 31 juillet 1994 par le débarquement
de soldats et de matériels américains;
c) L'installation de stations de
radio destinées à faire circuler l'information auprès des réfugiés.
L'information porterait sur leur sécurité et contrebalancerait les rumeurs
alarmistes des extrémistes Hutus. A cet effet, deux stations de radio ont déjà
été mises sur pied. La première, la section suisse de Reporters sans frontières,
dirigée par le journaliste Philippe Dahinden, a en principe commencé à émettre
de Bukavu au Zaïre, tandis que la seconde, animée par Reporters sans frontières
devrait l'être à partir de Goma. Mais ces mesures demeurent encore
insuffisantes. Aussi le Rapporteur spécial a-t-il suggéré quelques propositions
qui ont reçu l'accord du Gouvernement.
III. PROPOSITIONS ET RECOMMANDATIONS
29. Le
Rapporteur spécial dans ses entretiens avec les membres du gouvernement a émis
certaines suggestions ou propositions qui ont été favorablement accueillies. Ces
propositions dont, à la vérité, certaines semblaient déjà acquises, sont
destinées essentiellement au retour des réfugiés et à la paix sociale au Rwanda.
Elles se rapportent au non-recours à des représailles, à des mesures
complémentaires rassurantes et au déploiement des spécialistes des droits de
l'homme des Nations Unies sur le terrain.
A. Le non-recours à des représailles
30.
Le but principal de la démarche du Rapporteur spécial auprès des nouvelles
autorités de Kigali était de s'assurer qu'elles n'allaient pas se livrer à des
exécutions sommaires. Le Rapporteur spécial a été satisfait de la réponse qu'il
a reçue des différentes personnalités rencontrées et qui, de surcroît, ne
comportait aucune équivoque. Elle s'énonce en ces termes : le nouveau
gouvernement s'engage non seulement à ne pas entreprendre des mesures ou des
actes de représailles mais de plus à punir les personnes qui se livreraient à de
tels actes. C'est ainsi que le Premier Ministre a déclaré : "Je m'engage à ne
pas laisser les exécutions sommaires se perpétrer, les personnes coupables
seront châtiées... On ne peut tolérer l'impunité dans ce pays."
31.
L'impunité étant l'une des sources de violations graves des droits de l'homme,
dont le génocide, au Rwanda, le gouvernement affirme sa ferme détermination à la
"tarir". C'est en ce sens qu'une réorganisation rapide de l'appareil judiciaire
est entreprise par le Ministre de la justice. Il a été également affirmé avec
non moins de fermeté que le non-recours aux représailles et la poursuite des
coupables du génocide, qui lui est inextricablement lié, sont les conditions
indispensables à la réconciliation et à l'unité nationales, dont la nécessité
s'impose impérieusement. Le Rapporteur spécial a enregistré avec satisfaction
ces points de vue qui coïncident avec ceux par lui exprimés dans son rapport
préliminaire.
32. Le non-recours à des mesures de représailles, déjà
contenu dans les discours précités des trois premières personnalités politiques
de l'Etat et qui n'exclut pas la poursuite des coupables du génocide, vise un
double objectif. Le premier est destiné, dans l'immédiat, à rassurer les
réfugiés de ce qu'ils pourront regagner leurs collines et maisons en toute
quiétude et sécurité. Le second tend, dans un terme plus ou moins long, à
prévenir la justice privée et à ramener ainsi définitivement la paix sociale au
Rwanda.
33. Mais dans l'immédiat, cette position, pour louable et
appréciable qu'elle soit, n'en est pas moins limitée. Aussi le Rapporteur
spécial a-t-il proposé des mesures complémentaires.
B. Les mesures complémentaires
rassurantes
34. Le Rapporteur spécial a suggéré aux autorités
politiques de prendre un certain nombre de mesures concrètes en complément de
celles déjà adoptées en vue de rassurer davantage les réfugiés. Ces suggestions
se répartissent en mesures immédiates et à court terme.
1. Les mesures immédiates
35. Les mesures
immédiates comportent :
a) Une campagne d'explication à l'adresse des
populations vivant sur le territoire national tendant à déplorer et à condamner
les massacres, à compatir à la douleur des victimes et des familles endeuillées,
à leur donner l'assurance que les coupables seront jugés et punis par la justice
et à leur demander, avec instance, de s'abstenir de se livrer à la justice
privée de peur d'encourir des sanctions sévères;
b) Des circulaires,
notes de service et instructions adressées à toutes les autorités nationales ou
locales, leur enjoignant de ne tolérer aucun acte de représailles et d'engager
les poursuites contre les coupables de tels actes;
c) Une réglementation
interdisant et réprimant sévèrement les actes incitant à la haine ethnique et à
la violence. En ce sens, le Rapporteur spécial s'est félicité de ce que les
nouvelles cartes d'identité, aux dires des membres du gouvernement, ne
comportent plus mention de l'appartenance ethnique.
2. Les mesures à court terme
36. Les
mesures à court terme préconisées par le Rapporteur spécial ont trait
essentiellement à l'éducation aux droits de l'homme et au respect scrupuleux de
la dignité humaine. Cette éducation serait assurée à la fois par l'école et par
la radio. Il s'agirait tout simplement de l'intégrer dans leurs programmes
respectifs. L'on mesurera la portée d'une telle action si l'on garde à l'esprit,
à court terme, la "culture de la radio" au Rwanda, et, à moyen terme, le rôle de
l'école dans la formation des personnes pour les générations à venir.
37.
Ces mesures à effet lointain devraient être prises dans les meilleurs délais et
complétées par le déploiement des spécialistes des droits de l'homme des Nations
Unies sur le terrain.
C. Le déploiement des spécialistes des droits
de
l'homme des Nations Unies
38. Le Rapporteur spécial a enfin
obtenu l'adhésion des autorités rwandaises à l'idée de déployer des spécialistes
des droits de l'homme des Nations Unies sur l'ensemble du territoire national.
Il a mis l'accent sur le rôle de ces observateurs et le dispositif y
afférent.
1. Le rôle des spécialistes des droits
de l'homme
des Nations Unies
39. La présence des spécialistes sur
le terrain présente des avantages certains afférents aux divers rôles qu'ils
sont susceptibles de jouer : persuasion, dissuasion, prévention et
défense.
40. La première consiste à redonner confiance aux réfugiés et
aux personnes déplacées pour qu'ils rentrent en toute quiétude, car la présence
de tels spécialistes est en elle-même rassurante, en ce qu'elle peut constituer
une garantie pour eux contre d'éventuels massacres. Elle est également
dissuasive en ce sens que les nouvelles autorités se garderont d'exercer des
représailles en présence des spécialistes des Nations Unies, qui, de surcroît,
vérifieront la bonne foi et la sincérité des autorités de ne pas entreprendre
des mesures de représailles.
41. La dissuasion renvoie ainsi à la
prévention en ce qu'elle prévient de nouvelles violations des droits de l'homme
par la présence des spécialistes des Nations Unies, qui surveilleront le retour
des réfugiés en s'assurant de leur sécurité et en aidant à leur réinstallation
dans le strict respect de leurs droits. Enfin, la défense consistera purement et
simplement dans l'assistance aux enquêtes sur le terrain en vue d'établir les
preuves sur les différentes violations des droits de l'homme par les parties au
conflit et les auteurs du massacre et du génocide.
2. Le dispositif
42. Le dispositif
envisagé par le Rapporteur spécial comporte trois phases. Au départ, pour tenir
compte de la modicité des moyens du Centre pour les droits de l'homme et de
l'urgence, les spécialistes des Nations Unies se réduiraient à 20 spécialistes
répartis comme suit :
a) 10 destinés à suivre les personnes réfugiées
tout le long du parcours des "routes humanitaires" précitées;
b) 10
autres évoluant, à raison d'un par ville, dans les 10 principales agglomérations
suivantes : Kigali; Butare (à 136 km de Kigali); Byumba (75 km); Gitarama (53
km); Kibungo (108 km); Kibuye (139 km); Gisenyi (175 km); Gikongoro (165 km);
Ruhengeri (116 km); Cyangugu (291 km). Au fur et à mesure que les réfugiés et
les personnes déplacées rentrent chez eux, les spécialistes déployés le long des
"routes humanitaires" pourraient se joindre à ceux placés dans les localités
mentionnées auparavant.
43. Dans un second temps, dès que ses moyens le
permettront, l'Organisation des Nations Unies devrait déployer entre 150 et 200
spécialistes sur l'ensemble du territoire rwandais durant une période minimum de
six mois afin de surveiller non seulement le retour mais aussi la reconstruction
de l'Etat rwandais, tout en menant les enquêtes nécessaires en vue d'établir la
manifestation de la vérité sur les massacres. Le dispositif atteindra ainsi son
plein régime durant la première période difficile de reconstruction nationale où
les droits de l'homme et les libertés fondamentales risquent d'être exposés à
des violations graves.
44. En troisième lieu, à la fin de la période de
reconstruction nationale, l'Organisation des Nations Unies devrait
progressivement procéder au retrait des spécialistes sur le terrain pour ne
laisser sur place qu'une cinquantaine de personnes en vue de terminer l'enquête
jusqu'à la fin du mandat du Rapporteur spécial.
45. Telles sont
l'ensemble des mesures qui devraient, si elles étaient appliquées, vaincre la
réticence des réfugiés et des personnes déplacées et permettre leur retour
massif, tout en garantissant leur sécurité. A l'heure actuelle, l'interruption
de leur convoyage par les Nations Unies est justifiée par l'épidémie de choléra
que l'on veut éviter d'importer au Rwanda. Il faut espérer que les épidémies
seront très bientôt enrayées et que les réfugiés rwandais regagneront sans
difficultés leurs collines et leurs maisons.
46. L'assistance
internationale aux efforts de réconciliation et reconstruction au Rwanda est
indispensable. C'est la raison pour laquelle le Rapporteur spécial joint sa voix
à celle du Haut Commissaire aux droits de l'homme qui, le 2 août 1994, a lancé
un appel pressant à la communauté internationale pour qu'elle soutienne,
moyennant des contributions volontaires, le déploiement des spécialistes des
droits de l'homme sur le terrain avec l'appui logistique nécessaire dans les
meilleurs délais.
47. Des enquêtes sont actuellement menées dans la
région au sud-ouest du Rwanda par l'équipe de spécialistes des droits de l'homme
établie par le Haut Commissaire aux droits de l'homme. Elles feront bientôt
l'objet d'un rapport.
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