COMPTE-RENDU DE LA MANIF ANTI-G8: VU DU COTÉ DE GENEVE

Par Jean-Prosper BOULADA, membre de SURVIE

Introduction:

Je suis rentré de Genève dimanche 1er juin à minuit à Strasbourg, très fatigué car 20  kms à pied, ça use les souliers pour les manifs qui ont quitté le centre ville de Genève pour aller faire la jonction à la frontière française, avec celles qui ont quitté la ville d'Annemasse.

C'est une manifestation la plus gigantesque contre le capitalisme ou contre son vocable édulcoré, le mondialisme, le néolibéralisme, à laquelle je n'avais jamais participé.

Quand vous prenez la température des manifestants au cris de "Resistencia" hurlé au nom des milliards d'humains sur cette planète contre seulement 8 principaux dirigeants des pays industrialisés qui sont des "Assassinos", vous donnez raison au socialisme et à Lénine quand il affirmait du fond de sa mémoire d'outre-tombe que "l'humanité ne se pose des questions que dans la mesure où elle est capable d'y apporter des solutions. Car à y voir de plus près, les questions elles-mêmes ne surgissent que là où les conditions, solutions ou moyens pour les résoudre existent déjà ou sont en voie de le devenir. L'obstacle, c'est le capitalisme". Oui, l'obstacle, c'est le G7, un regroupement des 7 principaux pays impérialistes qui a coopté en 1997 la Russie pour en faire le G8. Le G8, illégalement qualifié du "sommet de 8 démocraties" se réunit annuellement pour régler les angles de tir sur les biens publics à l'échelle mondiale(BPEM) et mettre au point les stratégies de contrôle économique et politique du reste de la planète au bénéfice des oligarchies qui dominent ces pays impérialistes, éludant constamment les solutions à apporter à la pandémie du Sida, à la dette, à la pauvreté, au déséquilibre croissant entre le Nord et le Sud, à l'environnement planétaire...Le G8, via le Fmi, l'Omc, la banque mondiale, les plans d'ajustement structurel, sont les obstacles à la résolution des problèmes de l'humanité.

Nous croyons au front uni contre l'unilatéralisme états-unien de guerre sans limites pour un monde multipolaire et de résistance sans limites, chère à Jacques CHIRAC  et à Dominique de VILLEPIN, nous récoltons la résolution 1483 du Conseil de Sécurité des Nations Unies. Quel blasphème!

Départ de Strasbourg et arrivée à Genève:

Nous étions plus d'une vingtaine de personnes appartenant au Collectif Strasbourg anti-G8 à prendre place dans le bus au départ de Strasbourg ce 1er juin à 0 h30. Ce bus a été apprêté grâce au talent négociateur pour notre porte-monnaie par l'infatigable Frédéric HENRY, le vétéran des alter mondialistes, toujours présent à toutes les grandes rencontres anti-mondialisation de Porto Alègre à ce jour et à la double appartenance LCR( Ligue Communiste Révolutionnaire)et ATTAC(Association pour la Taxation des Transactions financières et l'Aide aux Citoyens reconnaissable à leur sigle de %).

Mon association d'origine SURVIE quitte Strasbourg à 04 h du matin dans une voiture avec Françoise FAIVRE et quelques membres pour Annemasse. La répartition des tâches a été ainsi faite pour couvrir l'évènement vu des deux côtés de la barricade française et helvétique.

Nous arrivâmes à Genève à 05 h30 du matin. Nous trouvons une ville, à première vue vidée de sa population. Nous fûmes impressionnés par le déploiement du dispositif des forces de police aux abords de l'aéroport, mais avec une présence plutôt discrète en ville; Il y avait des barricades sur les principales artères et sur les ponts.

Notre bus nous dépose près du Jardin Anglais, au bord du Lac Leman, lieu de départ du cortège des manifestants.

Le seul mot d'ordre de Frédéric é été "Rendez-vous à 17 h30 ici, au parking des bus pour retour à Strasbourg".

De toute évidence, chacun de nous devra rejoindre son association d'origine pour participer aux défilés qui ne commencent qu'à 9 h-10 h.

Mais que faire du reste de la matinée? Traversant le pont sur le Lac, divisant la ville en deux, j'arrive au Jardin Anglais. Il n'y avait là que des irréductibles alter mondialistes, arrivés la veille et ayant passé la nuit à la belle étoile sur la pelouse de ce beau Jardin. Vous ne trouvez aucun café, aucune échoppe, ouverts qui vous vendre quelque chose. Comme les autres alter mondialistes, j'ai dû profiter d'un verre de thé chaud et du pain, servis gratuitement dans le Jardin par l'Armée du Salut. Quelle générosité!

A cette heure bien évidemment, il n'y avait aucune association comme Attac, Survie, Agir ici, PC, Verts, LCR, Confédération Paysanne. Alors que faire? Manifester sous la bannière de quelle association?  Je me suis résolu à défiler avec la Coordination des Collectifs d'Ile-de-France:"Agir Contre la Guerre"(ACG), très dynamique, aux mots d'ordre très accrocheurs et mobilisateurs. Elle dispose d'une camionnette équipée high-tech où crépitent des chansons révolutionnaires sur toutes les latitudes et de la musique techno à vous couper le souffle.

Les manifs au zénith:

A 8 heures, les choses se précisent. Il y avait de plus en plus des manifestants avec leurs pancartes et banderoles.

ACR dont les militants et sympathisants étaient tous présents, a décidé d'occuper le pont de l'Ile, à la Place Philibert Barthelier, barricadé et fermé par la police. Le premier affrontement avec les forces de l'ordre allait avoir lieu. Mais le jeu valait-il vraiment la chandelle? se demandait probablement la police qui, visiblement, refusait de prendre la responsabilité de ternir l'image pacifique de ce somment anti-G8 par une bavure. Car cette fois-ci, l'organisation des manifs, était pointue: l'Observatoire des libertés (OL )composé d'avocats, de journalistes et de reporters, reconnaissables à leurs brassards OL, était là pour témoigner et apporter assistance juridique. Rien à faire. La police céda en nous laissant maître du lieu.

La nouvelle technologie de l'information aidant, les manifestants tant à Evian, Annemasse et Genève, sont en contact permanent et diffusent sur les hauts-parleurs, les informations sur les succès du blocage des différentes artères des trois villes assiégées, empêchant ainsi le passage des délégations et donc retardant la tenue du G8.

Malgré le déploiement impressionnant de la police pour sécuriser le sommet G8, vous avez cette nette impression que les manifestants anti-G8 ont la maîtrise de la terre laissant au service de sécurité la maîtrise du ciel. C'est ce qu'on appelle le pouvoir de la rue.

 

8h30-9h:les défilés peuvent commencer. Les modalités du défilé sont toutes simples. La première association arrivée sur le lieu du départ, prend la tête du défilé. Ainsi, je me retrouve avec ACR, l'association qui précède l'Union de Communistes Révolutionnaires de Turquie( TIKB ) à la tête du défilé.

Le Jardin Anglais est chauffé à l'extrême. En effet, les différentes associations venant des 4 coins du monde, ont toutes leurs camionnettes équipées high-tech et envoient la musique à fond la caisse et de slogans reflétant la diversité des cultures, le tout dans un tohu-bohu infernal.

Les Genevois se voient obligés de se frayer un chemin, un tout petit espace, qui sur les balcons de leurs maisons, qui accrochés aux pylônes électriques et édifices publics, qui le long des rues et avenues, pour regarder ces assaillants venus d'ailleurs et qui prenaient en otage leur ville.

La guerre, étant le thème de mon intervention au forum, présentée au nom de Survie dans le Collectif Strasbourg anti-G8, c'est tout naturellement que j'ai pris la tête du défilé d'ACG, en reprenant en choeur les slogans" Hier au Vietnam, le napalm, ce n'était pas Sadam, c'est oncle Sam", "Tout est à nous. Rien n'est à eux. Même le pétrole, ils l'ont volé", "Bush, Blair, Sharon, Justice en Palestine" "Assez à ceux qui veulent dominer le monde", "Bush, We don't want Your fuck War. We want to organize and demonstrate"( Bush, nous ne voulons pas de ta putain de guerre. Nous voulons nous organiser et manifester), "C'est finie la période des colonies. A la guerre sans limites, nous répondons Résistance sans limites"...

Nous sommes tous les premiers manifestants à faire la jonction avec ceux qui sont partis du côté français, de la ville d'Annemasse. Il devrait être 13h-14h. Nous venons de faire plus de 10 kms à pied.

Les cliquetis des appareils photos nous assourdissaient. Les télévisions étrangères et helvétiques n'avaient pas cessé de nous mitrailler avec leurs caméras.

J'ai même poussé l'outrecuidance à exiger une interview à la TSR comme représentant de l'Afrique. Peine perdue. Le journaliste et son cameraman me répondent qu'ils font " des interviews ciblées sur les casseurs car par rapport à l'Afrique, ils ont eu leurs doses en passant 15 jours à Bunia dans l'Est de la RDC"(sic)

Rencontre avec Jean ZIEGLER

Le moment le plus important pour moi était la rencontre par hasard dans la foule avec Jean Ziegler, lui et moi transpirants de sueur, sous ce soleil de plomb. Je me présente et lui lance:" Monsieur le député, que faites-vous dans cette galère?". Quelle question idiote! Qui mieux que l'auteur "Les nouveaux maîtres du monde et ceux qui leur résistent" (Fayard 2002 ) comprend la portée du mouvement social d'aujourd'hui contre les "prédateurs du capital mondialisé"? Sa présence ne peut signifier rien d'autre qu'un témoignage de solidarité avec cette résistance.

Nous avons beaucoup parlé. Il m'a posé des questions sur la situation politique au Tchad. Je lui ai répondu qu'il n'y avait rien de nouveau dans le Tchad d'Idriss DEBY à part l'odeur du pétrole. Ce dernier est décidé à s'accrocher au pouvoir pour profiter des revenus à échoir de son exploitation. Le tout, dans une totale impunité par rapport à la répression sauvage au quotidien qui d'abat sur les populations de la zone pétrolifère et sur celles des autres régions du pays, principalement à l'Est, à la frontière tchado-soudanaise, à cheval sur le Darfour, dans une contradiction totale car il s'en prend à sa propre ethnie, les Zaghawa, sans éveiller le moindre rappel à la raison ni à la retenue de la part de ses sponsors de la banque mondiale, des USA et de la France, qui se rendent complices de cette impunité.

Enfin, il refuse tout dialogue avec son opposition intérieure et extérieure pour une issue pacifique au conflit.

Mr Ziegler m'a informé qu'il a un peu abordé le problème dans ce dernier livre. Nous échangeâmes de cartes de visites.

Conclusions:

Sur le chemin du retour à Genève, dans une marée humaine indescriptible, j'aperçois les têtes de défilés retardataires des associations comme Attac, Agir ici, Confédération Paysanne de José Bové, des partis comme le PC,LCR, Verts...

L'autre moment fort de cette journée est celle de la réflexion et des interrogations, qui font suite au débat au cours des forums du 24 mai à Strasbourg.

D'une part, il y a cette prise de conscience de plus en plus forte de la jeunesse, de la société civile, de centaines et de centaines de milliers de manifestants venant d'horizons divers et qui ont, en l'espace d'un jour, pris le pouvoir dans la rue, et des interrogations sur la finalité de ces luttes, d'autre part.

Une interrogation qui, exprimée en russe, est pleine de signification politique" I cheto dalche?"( Et quoi ensuite?) Peut-être, faudra-t-il en rester là et se dire que la prise de conscience des problèmes de l'humanité par les masses populaires est graduelle et qu'il faut plutôt se féliciter du succès, de la victoire si minime soit t-elle, conquise à chaque étape de la prise de conscience. C'est cela le sens de la "somme positive" très chère à notre Président François Xavier VERSCHAVE.