LES INSTITUTIONS EUROPÉENES DANS LEURS RELATIONS AVEC LES PAYS DU SUD  SUR QUELQUES EXEMPLES CONCRETS DE LA MISSION DE L’UNION EUROPÉENNE D’OBSERVATION ET DE SURVEILLANCE DES ÉLECTIONS AFRICAINES :ETAT DES LIEUX.

(Par Jean-Prosper BOULADA, membre de Survie )

Introduction :

Bien que les rapports Nord-Sud soient essentiellement fondés sur des accords de coopération économique, dits l’accord de Cotonou de juin 20001 qui a remplacé les différents accords de Lomé2 entre l’Union Européenne et les  pays ACP(Afrique, Caraïble et Pacifique) ,ces accords mettent également l’accent sur la promotion des droits de l’homme et de la démocratie dans les ACP.

Or la démocratie nécessite la tenue d’élections libres, honnêtes et transparentes, le respect des droits de la personne.

En vue de renforcer les notions de droit de l’homme, de principes démocratiques, de la bonne gouvernance, la commission développement et coopération de l’Union européenne a esquissé un plan d’action dans le cadre de ses relations  avec les partenaires ACP.

Ce plan d’action comporte deux  volets :

*le premier volet est un approfondissement du dialogue relatif aux notions et valeurs susmentionnées

*le deuxième volet concerne les domaines prioritaires :

-appui aux reformes institutionnelles et administratives, aux medias libres et indépendants mais surtout :

 la prévention et la lutte contre la corruption et la fraude sous toutes ses formes y compris contre les fraudes électorales.

Pour superviser les élections dans les pays de la zone ACP, l’Union européenne a mis en place une mission dite “ mission d’observation et de surveillance des élections 

 

MISSION D’OBSERVATION ET DE SURVEILLANCE DES ÉLECTIONS :           ETATS DE LIEUX

La Mission d’observation et de surveillance des élections de l’Union Européenne est une innovation du Sénat français qui  au nom de sa commission des Affaires Etrangères, de sa défense et de ses forces armées, a  fait une proposition de résolution à la Commission du même nom de l’Union Européenne dans sa session ordinaire de 2000-2001 et adoptée par les Quinze.

La mission d’observation et de surveillance des élections de l’Union Européenne fait partie d’un dispositif dit “ dispositif de réaction rapide ” (DRR) 3

Le dispositif “ représente la contribution de la commission des Affaires Etrangères au renforcement des moyens d’action en matière de gestion civile des crises qui a été décidée par le Conseil Européen d’Helsinki de décembre 1999 ”.

Sa mission se situe dans le cadre de la “ gestion non militaire des crises ” : plus concrètement, il s’agit de “ la surveillance des élections et du respect des Droits de l’Homme ”.

Quel est le champ d’application de ce dispositif ? La réponse est sans ambages :  “ le contenu même du mécanisme proposé pourrait élargir les compétences de la Commission des Affaires Etrangères de l’Union Européenne au-delà de son champ d’attribution normal ” .

Le DRR est doté d’un budget de 5 millions € minimum et 12 millions €maximum.

Son intervention doit être rapide et courte dans la durée.

Il est vrai que la démocratie en Afrique a du mal à émerger. Est--ce la raison suffisante pour qualifier toute élection africaine comme étant une crise qu’il faudrait juguler par des moyens non militaires ?

Cette approche sécuritaire des élections africaines tendrait à confirmer que pour les Européens, les Africains ne sont pas mûrs pour la démocratie.

Assimilant les élections africaines à “ une crise réelle ou naissante par exemple les cas de violence croissante déstabilisant l’ordre public, de la violation de la paix ”, en un mot “ toutes circonstances exceptionnelles ayant des incidences directes ou indirectes sur la sécurité ”, on comprend alors aisément l’absence de crédibilité des missions d’observation des élections dépêchées par l’Union Européenne et les différentes institutions de la Francophonie .

Des élections présidentielles et législatives se sont déroulées au Burkina Faso, au Cameroun, au  Congo Brazzaville, à Djibouti, au Gabon, en Guinée-Conakry, au  Tchad, au Togo …La liste est loin d’être exhaustive.

Ces élections ont été toutes truquées avec emprisonnements d’opposants politiques voire assassinats des adversaires politiques, journalistes, défenseurs des droits de la personne ou témoins gênants.

QUELQUES EXEMPLES D’ÉLECTIONS PRÉSIDENTIELLES TRUQUÉES

1.Aux élections présidentielles du Togo en 1998, le Président sortant Gnassimbé Eyadema a empêché le dépouillement des opérations de vote pour s’autoproclamer vainqueur face à son challengeur, Gilchrist Olympio.

Non seulement le hold-up électoral a été manifeste, Eyadema a même poussé l’outrecuidance jusqu’aux exécutions extrajudiciaires en jetant les corps des victimes dans la mer.

Face à ces crimes et ce hold-up électoral, le rapport des observateurs de l’Union Européenne s’est borné à “  émettre des doutes sur la régularité des élections ”.

2. Aux élections présidentielles en Guinée-Conakry en décembre 1998 où le principal opposant au Président Lansa Conté au pouvoir depuis 1984, Alpha Condé, fut jeté en prison, l’Union Européenne a refusé d’envoyer des observateurs, probablement pour ne pas cautionner des élections dont elle sait par avance que les conditions d’équité et d’honnêteté ne sont pas réunies.

Mais la France et les observateurs de la Francophonie, ont apporté une légitimité aux Présidents Eyadéma et Lansana Conté.

 

3. Au Tchad, avant les élections Présidentielles de mai 2001 et législatives de mars 2002, l’Union Européenne a envoyé une mission pour vérifier les conditions du déroulement des élections. Elle est rentrée et a publié un rapport tenu secret.

Les candidats aux élections présidentielles, opposés à Idriss Déby, attendaient avec impatience la publication de ce rapport de l’Union Européenne dont ils étaient convaincus qu’il corroborerait leurs analyses sur le dispositif de réédition de fraudes massives que le pouvoir a mis en place pour gagner les élections. Peine perdue

Partant du principe que “ qui ne dit rien, consent ”, nous pouvons dire que l’Union Européenne a approuvé la réélection du Président Idriss Déby qui a pris le luxe de jeter en prison tous les candidats  de l’opposition .

Alors que le combat dans les rues de Ndjaména battait son plein, opposant la population et les forces de sécurité, Yorongar débarque chez moi après quelques jours de soins médicaux à Paris suite aux tortures qu’il a subies. Mission : informer le Parlement européen en session à Strasbourg de la réalité des élections présidentielles au Tchad. Nous nous rendîmes au Parlement européen à l’heure d’ouverture 9-10 heures. Nous savons qu’à 14 heures le Parlement allait effectuer un vote sur une résolution portant sur les élections présidentielles tchadiennes. Et c’est tout naturellement que nous avons demandé à voir ce projet de résolution de plus près. A notre grande surprise, la résolution est en déphasage total avec la réalité sur le terrain au Tchad. C’est alors qu’a commencé pour nous  à l’intérieur de ce hémicycle le parcours de combattant  devant chaque groupe parlementaire toutes tendances politiques confondues pour donner des explication de texte sur les irrégularités flagrantes des élections présidentielles.

La nouvelle monture du projet de résolution auquel nous y avons apporté des modifications substantielles a été pilotée par Joaquim Miranda Présidente de la Commission de Développement et de Coopération qui doit user d’une diplomatie exceptionnelle auprès des groupes parlementaires pour obtenir leur accord.

Nos modifications tiennent compte de la réalité de la situation, de la violation systématique des droits de la personne, de la répression sauvage sur les manifestations pacifiques de la population constituée pour la plupart de femmes, de jeunes désœuvrés, des diplômés sans emploi, des lycéens, collégiens et étudiants .

Pour comprendre ce qui se passait au Tchad dans ce 22 mai, imaginez-vous le choc psychologique et dramatique qui s’est emparé de la France le 21 avril 2002 où Jean-Marie Le Pen a éliminé Lionel Jospin au premier tour des présidentielles et la manifestation monstre des jeunes qui s’en est suivie et qui symbolisait le refus de l’inacceptable. Imaginez encore que les forces de l’ordre françaises ont tiré sur cette jeunesse dans la rue. C’est chose impensable en France mais possible dans les Républiques bananières de la Françafrique4.

 

4. Tout récemment encore, la Mission d’observation électorale de l’Union européenne au Congo Brazzaville a déployé 45 observateurs dans toutes les régions du pays afin d’observer les opérations de vote relatives à l’élection présidentielle de 10 mars 2002.

Elle publie un communiqué de presse pour dire qu’elle “ se félicite du bon déroulement du scrutin ”5

5. A Madagascar, sans prendre faits et causes pour Marc Ravalomanana 6 dont le peuple Malgache par la voie des urnes lui a apporté un scrutin majoritaire pour assouvir sa soif à l’alternance démocratique, l’Union européenne “  a fait part de son scepticisme quant à la garantie d’impartialité de la Haute Cour Constitutionnelle comme juge suprême électoral dans la mesure où tous les membres sont nommés par le Président sortant Ratssiraka ”. Sans plus.

De ce qui précède nous voyons bien que les observateurs de l’Union Européenne comme ceux des institutions de la Francophonie, la plupart du temps s’en tiennent au programme défini par les autorités locales sans tenter de s’en affranchir.

“ Or, pour les dictateurs africains, la philosophie des élections se résume dans les propos, désormais célèbres, tenus par l’ancien Président du Congo- Brazzaville Pascal LISSOUBA : “ On n’ organise pas les élections pour les perdre 7 .

 -un découpage électoral sur mesure des dictateurs(Tchad, Congo Brazza, Kenya…)

-un recensement national tronqué

-une loi électorale conçue pour disqualifier des adversaires politiques 

-un contrôle exclusif des médias publics et muselage des medias indépendants(Tchad)

-l’organisation des votes massifs des populations étrangères ou nomades(Tchad)

-le recours généralisé au vote des mineurs(Tchad)

-la protection des bureaux de vote par des hommes en armes, y compris à l’intérieur des locaux

L’observation électorale internationale a montré ses limites au fil des ans, en partie en raison de son enfermement dans une logique diplomatique.

Les observateurs internationaux de l’Union européenne ont parfois permis de donner une légitimité à des élections, car, au nom du devoir de non-ingérence, ils rédigeaient des rapports finaux de plus en plus conciliants

Ces dictateurs africains sortis des urnes sont satisfaits de la position de l’Union européenne empêtrée dans une approche normative de la démocratie.

Les chancelleries occidentales dans ces pays africains jouent un rôle complice. Elles semblent éluder voire occulter la réalité des truquages d’élections,  la violation des droits de la personne, le muselage de la presse  dont elles sont témoins oculaires.

 

PROPOSITIONS OU SUGGESTIONS :

Les moyens existent :

Le DRR s’est doté d’un budget de 5 millions € minimum et 12 millions € maximum.

Il importe donc d’utiliser cet argent à bon escient . Pour qu’il le soit, il faut que la volonté politique soit au rendez-vous.

De notre point de vue, un appui de l’Union européenne à un programme de démocratisation de l’Afrique devrait  en premier lieu établir une déontologie stricte sur l’organisation des élections

1.Procéder d’abord à des missions préparatoires pour s’assurer que les conditions d’équité et d’honnêteté sont réunies.

-le recensement national est une opération qui permet d’avoir des données statistiques et scientifiques fiables : le nombre de la population, sa répartition (densité)sur l’étendue du territoire

-la loi électorale ou le code électoral : il a une importance capitale car il définit la règle du jeu ;  en général, les fraudes commencent par là.

-la commission électorale nationale doit être réellement indépendante et composée d’experts sélectionnés sur la base de leur probité morale

2.Contribuer à la formation des formateurs électoraux nationaux

3. Quadriller tout le pays par les observateurs

* en amont c’est-à-dire :

-lors de l’établissement des listes électorales

-pendant la campagne

-au cours du scrutin

-pendant la proclamation des résultats

·        en aval, c’est-à –dire le suivi post-électoral

4.Ceux des dictateurs qui implorent  “  la souveraineté nationale, la non-ingérence ” pour se soustraire à de tel contrôle, doivent être sévèrement sanctionnés, voire décréter à leur encontre un embargo international économique et de vente d’armes, le gel de leurs comptes bancaires dans les Etats démocratiques du Nord ou dans les paradis fiscaux

CONCLUSION :

Les populations du Sud aspirent à plus de justice et paient fort le prix de la corruption de leurs dirigeants.

La corruption, l’absence d’Etat de droit paralysent le développement et condamnent beaucoup de ses ressortissants à emprunter la voie de l’immigration.

S’il est difficile de bouger les mentalités des décideurs à la tête des Etats européens préoccupés plutôt par la raison d’Etat, nous croyons à l’éveil de la conscience de la société civile dont le contre-pouvoir s’affirme chaque jour d’avantage.

Nous croyons à la logique de l’histoire. Qu’on veuille ou qu’on ne veuille pas, l’émergence de la nouvelle génération des hommes et de femmes africains qui ont une conception politique

aux antipodes des dirigeants mafieux changera inévitablement la donne pour que l’Afrique puisse connaître un jour une vraie alternance politique.

 

 

 

REFERENCES :

1.3305-Rapport de Mme Yvette ROUDY sur les droits de la personne et la Francophonie

http://www.assemblee-nat.fr/rap-info/i3305.asp

 

2.Promotion des droits de l’homme et de la démocratie dans les ACP. Le courier N°169-mai-juin 1198

http://europa.eu.int/comm/development/publicat/courier/courier169/fr/093.pdf

3. SENAT : Rapport N°160 du sénateur Serge VINCON portant sur la création du dispositif de réaction rapide

http://www.senat.fr/rap/l00-160/l00-1601.pdf

4.François-Xavier Verschave : La Françafrique. Le plus  long scandale de la République. Stock,1998

5. Democraf : Rapport préliminaire de la mission d’observateurs de l’Union européenne sur les élections présidentielles au Congo-Brazzaville. Mars 2002.

 http://www.democraf.com/rubrique.php3id_rubrique=26-101k

6.Le magazine “ Place publique ” : Appel à la communauté internationale sur la crise à Madagascar. 25 Février 2002, p.5

http://www.place-publique.fr/mag/mag20/devoir.php3 - appel1

7.Martine-Renée Galloy, Marc-Eric Guenais :Des dictateurs sortis des urnes. Monde diplomatique de novembre 1997 p. 12.

http://www.monde-diplomatique.fr/1997/11/GALLOY/9445