Commentaire de Jacques HOGARD :

Par des amis m'est parvenue il y a déjà quelques temps un texte remarquable  intitulé " LIBRES REFLEXIONS SUR L’AFRIQUE NOIRE, à propos du Rwanda, de la France et de quelques livres à ce sujet ".

Rédigée par un ancien officier supérieur des Troupes de Marine, disposant d'une très grande expérience africaine, et par un  de ses amis Magistrat, cette synthèse me semble particulièrement bien faite et j'estime important de la faire connaître.

La voici :

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"Chacun prétend rechercher la vérité ; mais en réalité elle intéresse peu de monde."                              Isiah BERLIN

 

LIBRES REFLEXIONS SUR L’AFRIQUE NOIRE

A propos du Rwanda, de la France et de quelques livres à ce sujet.

Au printemps 1994, le monde est stupéfié par les images du déchaînement de fureur et de violence qui s'est emparé d'un petit pays africain de 26.000 km2 et 8 millions d’habitants, au cœur de la région des Grands Lacs, le Rwanda : les corps d'hommes, de femmes et d'enfants tués à la machette, les charniers dans des villages vidés de leurs habitants, les figures des rescapés horriblement mutilés et traumatisés, les populations fuyant vers l'ouest... Jamais le continent noir n'avait connu des massacres d'une telle ampleur. Le bilan représentera au moins 1.500.000 victimes en y incluant les massacres de réfugiés Hutus de 1995 au Zaïre.

Très vite, les médias opposent victimes, les Tutsis, et bourreaux, les Hutus ; et ils désignent les coupables de cette folie meurtrière sans précédent, qualifiée de génocide : la communauté internationale, qui n'a rien fait, dont la mission (Minuar, force de 2.700 casques bleus commandé par le général canadien Roméo Dallaire) a même réduit ses effectifs à la veille de l'embrasement général du pays ; et, en premier lieu, la France, soutien du président Habyarimana, qui aurait formé les milices Interahamwe, extrémistes Hutus, ayant traqué systématiquement les Tutsis.

Pour les contempteurs de la France, son opération Turquoise, décidée tardivement, n'aurait servi qu'à masquer sa compromission "néo-colonialiste" avec le régime génocidaire. Ainsi l'histoire se fige-t-elle dans une version voulue et imposée par le vainqueur : Paul Kagame, le " libérateur ", chef des rebelles tutsis du Front patriotique rwandais (FPR).


Le 15 décembre 1998, la mission parlementaire présidée par Paul Quilès, avait pourtant conclu que la France "n'a en aucune manière incité, encouragé, aidé ou soutenu ceux qui ont orchestré le génocide et l'ont déclenché dans les jours qui ont suivi l'attentat" du 6 avril 1994 contre le président rwandais Juvénal Habyarimana, malgré cela à Kigali, le gouvernement du général Paul Kagame persistait dans ses accusait affirmant que la France avait entraîné et armé les forces génocidaires entre 1990 et 1994.


Ainsi, l’action de la France au Rwanda entre 1990 et 1994 (opération Noroît d’octobre 1990 à décembre 1993 ; Amaryllis du 8 au 14 avril 1994 et Turquoise du 22 juin au 22 août 1994), fait-elle depuis lors l’objet d’accusations récurrentes, graves et incroyables (au sens littéral du terme) dans les médias, relayées par un certain nombre de personnalités françaises, belges et anglo-saxonnes (en sus des Tutsis membres ou sympathisants du FPR)  : journalistes (Patrick de Saint-Exupéry, Colette Braeckmann,…), universitaires (Jean-Pierre Chrétien, Jean-Paul Gouteux, ), responsables d’ONG (Jean-François Dupaquier, François-Xavier Verschave, Jean Carbonare, Alison Des Forges, associations Survie, FIDH, African Watcht,…), d’avocats (William Bourdon, Auguste Comte), ...

Il faut entendre par-là deux séries d’accusations :


-      la France serait complice des extrémistes Hutus (Interhamwe) qui ont massacré massivement les Tutsis dans les années 1990 en ayant armé les génocidaires (exportations de munitions, formation aux techniques de combats, protection des génocidaires Hutus…),

-      la France serait coupable d’avoir laissé se perpétrer le génocide des Hutus contre les Tutsis en ayant laissé se perpétrer les massacres de Tutsis dans sa zone d’intervention (exemple : Bisesero,…), quand les militaires français ne sont pas tout simplement accusé d’avoir eux-mêmes tués ou violés des Tutsis, …

D’un noyau d’africanistes, subjugués par les thèses tiers-mondialistes et agrégés pour dénoncer la « Françafrique » des années 60/70, la communauté s’est renforcée, devenant un véritable groupe de pression (d’ “oppression”, pour reprendre l’expression de Philippe Murray), qui s’est “enrôlé” au profit du FPR. Ce lobby, comprenant notamment les personnalités évoquées ci-avant, a progressivement dévié de ses buts humanitaires pour devenir une véritable “task-force” à partir de Bruxelles, Paris, New-York, soutenant, relayant, amplifiant l’action du FPR, de manière à permettre à une minorité (Tutsis = 10% de la population rwandaise) de prendre le pouvoir sur la majorité (Hutus = 90%) et s’y maintenir, malgré le rapport de force défavorable que confère, en principe, le verdict des urnes.

Ce lobby écouté des médias et de certains milieux religieux protestants (d’où les nombreuses accusations contre des prêtres et l’église catholique), bénéficie de l’appui de la Belgique (l’ancien colonisateur), des pays anglo-saxons (souhaitant supplanter l’influence française en Afrique et notamment dans la région des Grands Lacs), du milieu tiers-mondiste, …

Si la France a joué un rôle non négligeable dans la crise rwandaise entre 1990 et 1994, ce n’est pas celui aujourd’hui dénoncé à tort. En réalité la France a, d’une part facilité la signature et l’application des accords d’Arusha, destinés à faire émerger le multipartisme, de seconde part a mis un coup d’arrêt aux massacres (opération Turquoise) malgré l’inertie de l’opinion publique internationale et l’incompétence du général Roméo Dallaire, commandant la MINUAR, de troisième part est devenue un frein à la marche conquérante vers le pouvoir total de Paul Kagame, pourtant responsable présumé de l’attentat contre le Président Habyarimana, fait déclencheur des massacres (cet attentat fait l’objet de l’instruction judiciaire du juge antiterroriste, Jean-Louis Bruguière, sur le point d’aboutir). Telles sont dès lors, quelques unes des raisons motivant ce flot de haine contre la France, sa politique, ses dirigeants (actuels ou passés).

L’Afrique intéresse peu les Français. C’est loin, compliqué et l’histoire passée des relations entre la France et ses anciennes colonies africaines fait toujours l’objet d’une stigmatisation. Dans ces conditions les Français préfèrent ignorer cette histoire, leur histoire, pour ne plus disposer alors comme seuls points de repère, que de la vision déformée des professionnels de l’autoflagellation.


Face à ce torrent boueux, il existe quelques ouvrages susceptibles de permettre à un lecteur de bonne foi, de se faire sa propre opinion sur le rôle et l’action de son pays entre 1988 et 1994 au Rwanda, en attendant l’issue de l’instruction du juge Bruguière.


En effet, la thèse du massacre unique des Tutsis organisé par les Hutus, assortis de la complaisance, sinon l’assistance, de la France aux génocidaires, présente une faille : le déclenchement des massacres, au lendemain de l'attentat du 6 avril 1994, au cours duquel l'avion du président rwandais fut abattu. D’où cette question impertinente : qui a tué Juvénal Habyarimana, président du Rwanda ?

La question resurgit aujourd'hui, plus de dix ans après les faits, mais cette fois-ci elle trouve une réponse, selon le juge Bruguière qui s'apprête à clore son instruction : ce sont des mercenaires à la solde du FPR de Kagame,. Ce ne sont donc pas les extrémistes hutus du régime Habyarimana qui ont prémédité ce coup d'État et ses monstrueuses conséquences, de sort que toute l'histoire du génocide est à reconsidérer, et Paul Kagame, aujourd'hui président du Rwanda, apparaît comme un vulgaire, mais habile, criminel de guerre.

L’actualité récente est marquée par la parution du livre de Pierre Péan « Noires fureurs, blancs menteurs » (édition, Mille et une nuit, novembre 2005) auquel fait écho une plainte des « victimes des crimes de l’armée française » (sic), rapportée dans le Figaro le 1er décembre 2005 :


« La justice collecte des témoignages, contre l'armée française


Six Rwandais ayant entamé en février une procédure visant l’armée française ont confirmé la semaine dernière à la juge Brigitte Raynaud leurs accusations impliquant des militaires français dans le génocide au Rwanda. Selon leur avocat, M° Antoine Comte, la juge d'instruction du tribunal aux armées de Paris (TAP) a recueilli des témoignages accablants. Plusieurs des six plaignants ont assuré qu'ils avaient « perdu toute leur famille ». Pour leur avocat, « on a touché du doigt l'ampleur des crimes et la passivité des autorités françaises au moment de Turquoise », une opération militaro-humanitaire déclenchée en juin 1994, soit trois mois après le début du génocide. La plainte a été déposée le 16 février au chef de « complicité de génocide et ou complicité de crime contre l’humanité ». Avant d'éventuelles suites, le Parquet avait demandé un supplément d'information. Pour M° Antoine Comte, « il va maintenant falloir que le Parquet prenne une décision » quant à l'opportunité d'ouvrir une information judiciaire.(AFP.) »

Cette dépêche AFP était accompagnée, dans le même journal, par un article de Patrick de Saint Exupéry, destiné à bien mettre le lecteur dans l’ambiance et … en condition.

Les quelques réflexions qui suivent, fruit d’un travail collectif - colonel (er) G.A., (grand spécialiste de l’Afrique) et J.F.A, magistrat -, s’appuient sur une revue de presse à quatre mains concernant plusieurs livres récents.

 


I         REVUE DE PRESSE

1.1.

En 2003, paraît : « Négrologie » par Stephen Smith (édition Calman Levy, réédité en livre de poche chez Hachette, collection Pluriel, en septembre 2004).

 
Ce livre est un document d’une qualité exceptionnelle. Il présente la réalité de la situation politique, économique, sociale de l’Afrique noire, soulignant l’absence d’Etat de droit et ses conséquences, la corruption, l’insécurité, la dégradation de l’état sanitaire et la régression économique.

 
Ce livre ne traite pas uniquement du Rwanda, mais un chapitre porte sur cette crise (chapitre 6, pages 119 à 140) comme d’un exemple de « l’Afrique entrée au paradis de la cruauté qui est enfer pour les victimes » (p. 139). L’auteur mentionne que s’il y a eu un génocide de Tutsis, il y a eu aussi des massacres organisés et prémédités de grande ampleur de Hutus (au moins 600.000 personnes) dont une partie non négligeable par le FPR de Paul Kagame, ce qui en en bon français, s’appelle une guerre civile.

 
Ce livre a surpris (ceux qui ne connaissaient pas la réalité de la situation), voire choqué (les gens de mauvaise foi ou conditionnés intellectuellement), mais ce qu’il présente n’est que la vérité. L’auteur argumente et prouve ce qu’il écrit. Ancien journaliste des journaux Libération et du Monde, il ne peut être qualifié de raciste comme d’aucuns l’ont commodément écrit, cette technique de satanisation du contradicteur, véritable stérilisateur de la pensée, faisant alors office de réplique en dispensant l’imprécateur d’argumenter rationnellement en étayant ses arguments par des pièces à conviction.

 
Les critiques de l’époque ont été dans l’ensemble de qualité, ce qui est pleinement justifié :

 
« Stephen Smith aime trop l’Afrique pour souffrir ses mensonges. Elle se meurt, dans la plus sanglante et douloureuse des agonies. Mais la faute n’en est pas d’abord à la colonisation ou à la mondialisation. […] Il faut lire Négrologie pour mieux aimer les Africains. »

 
Francis Brochet, Le Progrès, 2 novembre 2003. 


« Dans un essai implacable, Stephen Smith dissèque les maux du continent. “Un bilan, pas un pamphlet.” Voilà comment, quarante ans après le cri d’alarme de René Dumont, Stephen Smith, journaliste au Monde, définit son essai décapant, Négrologie. »

 

Vincent Hugeux, L’Express, 27 novembre 2003. 

« Puisqu’il a une affection toute particulière pour l’Afrique d’entre les tropiques, dont il est l’un des meilleurs observateurs, le journaliste Stephen Smith n’y va pas avec le dos de la calebasse dans son dernier livre Négrologie. Son constat est impitoyable. […] Terrible réquisitoire et utile rappel que ce livre dont les propos les plus durs s’adressent non pas aux Africains, mais à “leurs amis occidentaux, ‘gardes-faune’ complices du meurtre de masse qui défigure la face du continent”. Noir c’est noir. »

 

Jérôme Stern, La Tribune, 5 décembre 2003. 


«Pour celui qui s’intéresse à l’Afrique, la lecture de ce livre est à la fois nécessaire et douloureuse. L’auteur, fin connaisseur d’un continent qu’il arpente depuis vingt ans, dresse un bilan sombre d’une Afrique dévastée par tous les maux, du sida à la corruption, des guerres fratricides à l’assistanat érigé en institution. Rien de neuf, sauf que Stephen Smith, longtemps journaliste à Libération et passé au Monde en 2000, met les Africains devant leurs responsabilités, même s’il dénonce au passage la gratuité de l’aide apportée à l’Afrique en soulignant que “le plus destructeur pour un pays, c’est d’être comblé de fonds d’assistance, sans qu’il n’y ait la moindre contrepartie”. »

 
Pierre Cochez, La Croix, 9 décembre 2003. 


« On peut être accablé par le pessimisme absolu du constat ; mais Stephen Smith croit aux vertus de l’électrochoc. Se défendant d’avoir écrit un livre “gentil”, il n’aspire qu’à creuser la blessure, “qu’à plonger la plume dans les plaies ouvertes” comme s’il gardait une confiance paradoxale dans la cruauté du diagnostic, seule à même de dissiper fantômes et fantasmes et d’éveiller les consciences. En refermant ce document tout vibrant d’une sorte de fureur contenue et d’amour déçu, on songe à l’adage célèbre de Hölderlin : “Là où croît le danger croît aussi la force de ce qui sauve.” »


Pascal Bruckner, Le Monde, 12 décembre 2003. 


« Depuis de longues années, je n’avais été sous le choc d’un livre aussi terrifiant, parce que compétent, informé et honnête, que celui de Stephen Smith, Négrologie. »

Alfred Grosser, La Croix, 5 janvier 2004.


«L’une des grandes qualités du livre impressionnant de Stephen Smith, Négrologie, pourquoi l’Afrique meurt, est sa profonde honnêteté dans l’analyse des causes. Il en est une qu’il a le courage de relever, dût-il se faire haïr par une bonne part des élites africaines : la prétendue “conscience noire”, “l’intériorisation du racisme érigée en vertu africaine”. »

 
Ouest-France, 25 mars 2004.


« Les malheurs de l’Afrique relèvent avant tout de la responsabilité des Africains eux-mêmes, acteurs principaux et fossoyeurs de leur pays. C’est le sens du titre provocateur de l’ouvrage : la “négrologie” tue le continent, les Africains se comportant comme leurs caricatures les plus grotesques (rois nègres, nègres noceurs, sauvages...). Un livre résolument à contre-courant du “politiquement correct” […]. Trempée dans les plaies de l’Afrique, sa plume vive et précise rend horriblement crédible son diagnostic, à savoir que le berceau de l’humanité risque de devenir une nécropole, au sens propre, hélas, mais aussi au sens figuré, comme tombeau d’une certaine idée de l’homme. » 

 
Le Télégramme de Brest, 28 mars 2004. »


Puis, le groupe de pression pro-FPR, le premier instant de surprise passé, a conduit de véritables attaques ad hominem contre Stephen Smith (cf. § 1.4.) :

 

 1.2.

En mars 2005, paraît : « François Mitterand, l’armée française et le Rwanda » par Bernard Lugan (édition du Rocher).

 

Professeur d'histoire de l'Afrique, Bernard Lugan a exercé à l'université du Rwanda de 1972 à 1983 et a consacré deux thèses à l'histoire de ce pays. Il est expert auprès du Tribunal pénal international pour le Rwanda. Conférencier à l'IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale), au CID (Collège interarmées de défense, ex-Ecole de guerre), au CHEM (Centre des hautes études militaires), il est par ailleurs l'auteur d'une vingtaine d'ouvrages consacrés à l'Afrique, dont une histoire du génocide intitulé : « Rwanda : le génocide, l'Eglise et la démocratie » (édition du Rocher 2004). S’opposant aux thèses des universitaires précités, il est efficacement satanisé et accusé de racisme.

 L’ouvrage présenté, aussi exceptionnel que le précédant, est le récit sur le terrain de l’engagement militaire de la France au Rwanda, en particulier l’opération Turquoise. C’est un véritable ouvrage d’histoire militaire accessible au plus grand nombre.

Bernard Lugan, dont les convictions politiques inclinent plutôt à droite, ne craint pas de laver François Mitterrand des accusations injustes portées contre lui au regard du soutien apporté au Président Habyarimana et à la gestion de la crise, en coopération avec le Premier ministre de l’époque, Edouard Balladur.

 
François Mitterrand n'a pas soutenu "inconditionnellement" le régime hutu rwandais, et l'armée française n'a pas à rougir de son action au Rwanda. Contrairement aux idées reçues : la France exerça des pressions constantes sur le président Habyarimana afin de le contraindre à partager le pouvoir avec les opposants hutus et négocier la paix avec les émigrés Tutsis ; les troupes françaises n'ont pas participé aux combats contre les Tutsis et l'aide militaire fut uniquement destinée à éviter un effondrement de l'armée gouvernementale hutu, jamais à lui donner la victoire. Voir dans cette politique une complicité avec les auteurs du génocide relève du fantasme ou de l'intention de nuire.


Ce livre qui fait litière des accusations portées contre la France est le résultat d'une profonde connaissance des réalités rwandaises, d'une longue enquête dans les archives et de nombreux entretiens avec les principaux acteurs militaires français (dont le général Lafourcade et plusieurs Chefs de corps), lesquels ont, pour la première fois, accepté de parler. Si de tels témoignages ont pu être recueillis, c’est que les militaires interrogés ont eu confiance en l’auteur et au sérieux de son entreprise.


Bernard Lugan dénonce également les mensonges et les accusations fallacieuses d’un certain nombre de journaliste, d’intellectuels engagés et d’associations. Dans une ambiance générale de repentance, il fait œuvre utile.

Enfin, faisant preuve de beaucoup d’objectivité, l’auteur n’hésite pas, à la lumière des témoignages et nouveaux documents collectés, à revenir sur certaines de ses opinions exprimées précédemment (on pense à son précédent livre « Rwanda : le génocide, l’église et la démocratie »), ce qui est la marque d’une rare honnêteté.

 

1.3.

 
En mai 2005, paraît : « Comment la France a perdu l’Afrique » par Stephen Smith et Antoine Glaser (édition Calman Levy).

 
Ce livre n’a pas les qualités de « Négrologie »

 
Il semble que l’auteur ait voulu se faire pardonner la virulence du précédant (virulence toute apparente, car il ne s’agissait que d’exprimer des réalités peu connues) et réagir aux accusations (celles d’après 2004) de racisme et de néocolonianisme proférées par quelques bons esprits.

 
Ce texte apparaît davantage comme l’exploitation d’un fond documentaire sur l’Afrique que comme une véritable réflexion (est-ce l’influence de son coauteur ?)


La démonstration de la thèse de l’échec de la politique française et de son retrait d’Afrique noire, est peu probante. L’exposé apparaît comme une idée abstraite, a priori, à laquelle il faut plier la réalité et l’actualité. En outre, les auteurs sont forcés eux-mêmes d’admettre que le système qu’ils dénoncent, est insoluble : « Paris intervient et on dénonce son ingérence, voire son néocolonialisme ; Paris s’abstient et on lui reproche son indifférence et on lui rappelle sa responsabilité historique ».

Les conclusions, aux termes desquels il serait nécessaire de remplacer une politique française en Afrique en lieu et place d’une politique africaine de la France, constituent un jeu de mots et non pas une proposition utile à la réflexion.

 
1.4.

 
En juin 2005, paraît : « Négrophobie » par Boubakar Boris Diop, Odile Tobner et François Xavier Verschave (édition les Arènes).


Il n’est pas inintéressant de relever que la maison d’édition (Les Arènes), est celle qui a publié l’escroquerie littéraire de Thierry Meysan, membre du réseau Voltaire (le réseau Voltaire fait partie du lobby FPR), « L’effroyable imposture » (300.00 exemplaires vendus). La thèse centrale du livre prétendait qu’aucun avion ne s’était crashé sur le Pentagone lors des attentats du 11 septembre ... Le conseiller technique de Meysan était un certain Henri Bunel, ex-commandant artilleur (condamné par le Tribunal aux armées de Paris pour intelligence avec l’ennemi, le terme « intelligence » ne constituant assurément pas le cœur de l’infraction…)

Le caractère « nuancé » de « Négrophobie » apparaît à la lecture des quelques extraits suivants :

-     

-      « minimiser les crimes inouïs (toujours ce sens inné de la nuance) du colonialisme ouvre la voie aux turpitudes du colonialisme » (p. 189),

 
-      « la France complice du génocide » (p. 105),

-      « Notre République a commis au Rwanda le pire de ses crimes du siècle dernier » (p. 115).

« l’explication passe-partout par le tribalisme est le trompe l’œil de la réalité africaine » (p. 47), les auteurs récusent en effet toute notion de races, de tribus, d’ethnies, considérant qu’il s’agit d’une invention des blancs, des colonisateurs (l’observation des photos de Paul Kagame et de Juvénal Hayarimana le montre assurément), à peine s’ils savent qu’en Afrique, il y a … des africains

En principe, selon Talleyrand, ce qui est excessif est insignifiant, mais là non, car cette propagande anti-française ressassée jusqu’à la nausée, est hélas efficace auprès des médias et parvient à faire douter nos compatriotes


François-Xavier Verschave a été président de 1995 à 2005 de l’association « Survie », spécialisée dans la dénonciation des crimes de la « Françafrique ». Décédé en juillet 2005, il a succédé à la tête de cette association à Jean Carbonare, membre d’un réseau de soutien au FLN algérien dans les années 60. L’objectif déclaré de « Négrophobie » est de dénoncer « Négrologie », mais il s’agit surtout d’une attaque personnelle du plus bas niveau contre Stephen Smith « défenseur de la françafrique » (ce qui est faux). Au prétexte de traiter de l’Afrique en général, le livre aborde surtout le Rwanda et constitue une synthèse de l’argumentaire anti-français de l’association Survie.

 
Même lorsqu’on est habitué aux attaques contre la France, on est sidéré de tant de haine et de tant de mauvaise foi. Sans nécessairement adopter la devise des britanniques « right or wrong, it’s my country! », il faut être un français bien triste ou un triste français, pour haïr à ce point son pays.

Les deux autres auteurs ne sont que des faire valoir. 

Voici le texte de présentation du livre sur le site internet (www.arenes.fr/livres/fiche-livre.php?numéro_livre116) des éditions des Arènes :

« Réponse aux "Négrologues", journalistes françafricains et autres falsificateurs de l'information.


Dès lors qu’il s’agit d’un pays d’Afrique « noire », la République a pris l’habitude de s’octroyer tous les droits. Et d’abord celui de mentir. L’information est devenue une arme. De RFI au Monde, son traitement est surveillé, filtré, parfois même organisé.


L’un de ces « ingénieurs de l’âme » s’appelle Stephen Smith, maître des faux scoops qui arrangent Paris. Responsable de la rubrique Afrique au Monde après avoir tenu celle de Libération, il est aussi l’auteur d’un best-seller inquiétant, Négrologie, qui ressuscite les pires clichés coloniaux.


Trois auteurs de référence ont mêlé leurs plumes pour décortiquer le discours pervers de Négrologie, qui joue avec le feu du racisme pour mieux masquer la face honteuse de la République. Ils mettent à nu, preuves à l’appui, dix ans de désinformation, à Libération et au Monde. «


Tout est dans la nuance et l’objectivité …

1.5.

 
Enfin paraît en novembre 2005 : « Noires fureurs, blancs menteurs Rwanda 1990-1994 » par Pierre Péan aux éditions Mille et une nuit.

 
a)      La problématique du livre

 
« Noires fureurs » : ce sont les massacres de Tutsis par les « Interhamwe », de hutus par le FPR de Paul Kagame, l’extension des atrocités au Zaïre, le double jeu permanent de Kagame, sa volonté de parvenir à la victoire totale par tous les moyens, aidé par l’Ouganda de Musevene, les Belges, les Américains et un lobby franco-belge efficace et redoutable.

 
« Blancs menteurs » : ce sont les acteurs de ce lobby des dénonciateurs de la France complice du génocide « génération d’idiots utiles ou de gens de mauvaise foi, dont le comportement finit par ressembler à celui d’agents d’une force extérieure » (p. 22).

Ce livre n’affirme pas, il démontre que le génocide de 1994 ne fut qu'un épisode dans une guerre civile et régionale ignorée, plus meurtrière encore, voulue depuis octobre 1990. Le FPR était prêt à tout pour conquérir le pouvoir à Kigali, y compris à sacrifier Hutus et Tutsis.

 
La dénonciation des uns et des autres est d’une intensité étonnante mais aussi réconfortante car argumentée. La vérité éclate et cela fait du bien.

 
Parmi les « idiots utiles » on trouve François Xavier Verschave, Patrick de Saint Exupéry, Jean Lacouture (ce dernier s’était déjà fourvoyé en épousant la cause des libérateurs Khmers rouge, qui ont libéré 6 millions de cambodgiens … de la vie.), Jean-Pierre Chrétien (le cachet universitaire du FPR, p. 389).

Ce livre a été écrit pour l’essentiel entre juillet et novembre 2005, l’auteur a eu accès à des informations sensibles : témoignages de personnalités, archives de l’Elysée, messages renseignements…. Il apporte une qualité impressionnante d’informations. Il est également riche d’enseignements sur les opérations en Afrique, le cadre de l’action, la médiatisation, le renseignement.

 
On notera le renvoi à Bernard Lugan, confirmant ainsi la qualité de l’ouvrage précité, « sur tous les sujets militaires impliquant l’armée française, lire l’excellent livre de Bernard Lugan « François Mitterrand, l’armée française et le Rwanda » (p. 162) », le livre de Péan complète parfaitement celui de Lugan.

 
L’auteur souligne que Kagame :

-      avait le plus profond mépris pour les Tutsis de l’intérieur, qualifiés de traîtres,

-      est à l’évidence celui a donné l’ordre d’abattre l’avion du Président Hbyarimana, ce qui a déclenché la panique chez les Hutus et le massacre des Tutsis, prétexte d’une prise de pouvoir par les armes, la voie des urnes étant impossible compte tenu du rapport ethnique


Quelques extraits , page 288 :


« Le général Quesnot (note : le Chef de l’état-major particulier du Président de la République de l’époque) continuera lui aussi à désigner  le FPR. Le 29 avril, dans un récit destiné aux archives de l’Elysée , Quesnot traumatisé par les massacres, livre sans retenue sa colère et ses états d’âme : " Nous sommes aussi coupable, car les accords d’Arusha auxquels nous avons contribué sont trop déséquilibrés. On a poussé les Hutus à signer, surtout Arusha-4 donnant un avantage exorbitant au FPR dans l’encadrement d’une future armée rwandaise. On a fait pression sur les Hutus pour qu’ils signent des conditions intenables. Le FPR est le parti le plus fasciste que j’ai rencontré en Afrique. Il peut être assimilé à des « Khmers noirs ». Il a une complicité belge. On a dit : les Hutus ont abattu l’avion d’Habyarimana. Mais c’est faux. Ce sont les mercenaires, recrutés par le FPR ou issus de lui, qui ont abattu l’avion. Et alors la Garde présidentielle, dont le chef avait été tué avec le Président et qui n’est pas composée d’enfants de chœur, s’est mise à massacrer : on avait tué leur Président. C’était exactement ce que voulait le FPR, car le Président Habyarimana constituait le seul véritable obstacle  à sa prise de pouvoir. Derrière tout cela il y a aussi Museveni qui veut créer un Tutsiland avec la complicité objective des Anglo-saxons, lesquels estiment que Museveni doit devenir le leader régional et assurer la stabilité dans la zone des grands lacs… "… »

 
Page 496, dernière page du livre :

 
« Paul Kagame et tous les blancs menteurs qui l’ont soutenu ont du souci à se faire. Vient le temps où toutes les manipulations déployées autour de la souffrance humaine seront mises au jour. Kagame et son entourage apparaîtront alors pour ce qu’ils sont, des criminels de guerre doublés de chefs mafieux responsables de millions de morts, qui ont pour longtemps déstabilisé l’Afrique centrale et asservi leur propre peuple. »


Un chapitre entier traite de l’affaire de Bisesero, point central de l’accusation de Mes Bourdon et Comte sous-tendant la plainte au Tribunal des armées (note : Le procédé consistant à créer une association de « victimes » des pseudos massacres de l’armée française, de s’en dire l’avocat puis de porter plainte, contre X, avec constitution de partie civile, imparable au niveau de l’ouverture de l’information, est commode quoique limite sur le plan déontologique. Il présente parallèlement, pour les plaignants, l’avantage d’éviter des poursuites pour diffamation ou dénonciation calomnieuse, en cas de rejet de la plainte ou de poursuites non fondées …). Il s’agit du chapitre 24 intitulé « Bisesero, ou l’inavouable manipulation ».

Page 457 :

« 1.220 Tutsis qui erraient dans les collines de Bisesero, condamnés à une mort certaine, ont été sauvés, le 30 juin 1994 par les hommes du COS (note : commandement des opérations spéciales). Et pourtant, trois Tutsis de Bisesero, assistés par Mes Antoine Comte et William Bourdon (ex-secrétaire général de la FIDH, fédération internationale des droits de l’homme, toujours en pointe dans le combat pro-FPR), ont déposé plainte, le 17 février 2005 auprès du Tribunal des armées. Plainte contre X visant des militaires français accusés de génocide et de complicité de crimes contre l'humanité au Rwanda, appuyée explicitement sur le livre de Patrick de Saint-Exupéry, “L’inavouable.

Patrick de Saint-Exupéry a accompagné le 27 juin un petit détachement militaire à Bisesero il y est revenu le 1er juillet, au lendemain de l'arrivée en masse des forces spéciales. L'intervalle de trois jours - du 27 au 30 juin - entre la première reconnaissance et le sauvetage, constitue le nœud du livre. Trois jours pendant lesquels l'état-major a, selon le journaliste du Figaro, délibérément laissé les miliciens tuer des milliers de Tutsis qu'il savait en danger de mort. “L’inavouable” est utilisé par Kigali et ses supporters français comme une pièce à charge contre l'armée française. Or, ce livre est une terrible manipulation. »


Pierre Péan décrit sans complaisance comment des journalistes, dont Patrick de Saint Exupéry, ont été trompés pour au final docilement épouser, sans ni recul ni doute, la thèse du FPR (page 272-274) :


« Le cas de Saint-Exupéry est loin d'être unique. Nombreux ont été les journalistes, les membres d'associations, les hommes politiques qui ont été, comme lui, emportés par l'émotion. Une émotion détournée, canalisée directement ou indirectement par le FPR. Manipulation non seulement abjecte, mais aussi redoutable, car difficilement parable. À. partir de ce qu'ils croyaient être la réalité, la plupart sont devenus des militants de la cause FPR, consciemment ou non. »

 
On comprend la raison des commentaires déplaisants de l’intéressé (Saint-Exupéry) à l’égard du livre de Péan (cf. ci-après) dans le Figaro du 7 décembre 2005, dans tous les cas, le livre de Péan apporte d’intéressantes informations sur les « plaignants », affaire à suivre …

b)      les réactions au livre

 

Les réactions sont immédiates, proportionnelles aux consciences qui ont été dérangés. L’auteur est assimilé à un néocolonialiste de la « Françafrique » (cf. 1.4. le texte de présentation du livre « Négrophobie » par son éditeur), comparé aux antisémites des années 1930 (toujours la machine à vitrifier la pensée) par Jean-Philippe Rémy du Monde (article du 3 décembre 2005), au prétexte (absurde) que Pierre Péan donnerait une version biaisée du conflit, en faveur des seuls Hutus  en niant de surcroît les massacres de Tutsis (c’est radicalement inexact).

 

 Pour le Monde, cette posture vis à vis du rôle de la France au Rwanda est relativement nouvelle et inquiétante. En effet, ce quotidien avait jusqu'à présent sur ce sujet une toute autre approche, nettement plus conforme aux principes élémentaires de déontologie. Faut-il en déduire que le départ du journal de l'excellent africaniste, Stephen Smith, est à l'origine de ce changement drastique ?

Quant au Figaro, la rédaction a laissé le soin à Patrick de Saint Exupéry - que l’engagement en faveur de Kagame aurait dû disqualifier pour cet exercice - le soin d’exécuter le livre et son auteur. Cet article constitue une accumulation d’âneries, de citations tronquées et hors contexte à l’encontre d’un livre argumenté, documenté représentant plus de 500 pages et annexes.

Il est vraisemblable qu’en fait le journaliste n’a pas lu le livre, se contentant de la préface et du chapitre 22 ou il est mis en cause. L’article dont il s’agit est reproduit in extenso :


« Péan, un libelle sur le Rwanda.

 
En quelque 500 pages, Pierre Péan entend démonter dans Noires fureurs, blancs menteurs, un ouvrage consacré à la tragédie traversée par le Rwanda en 1994, les deux points nodaux de ce qui serait, selon lui, une immense « manipulation ».L’histoire, affirme-t-il, aurait été « truquée». Le voici donc lancé à l'assaut de la question du génocide des Tutsis du Rwanda. A le lire, l'auteur cherche visiblement à établir que rien n'est simple, ce que nul ne conteste. Partant de ce postulat, Pierre Péan parcourt un chemin bien périlleux puisqu'il l'amène à formuler des propos outranciers. L'ancien chef de la rébellion, Paul Kagamé, aujourd'hui président du Rwanda, serait ainsi « un Führer (...) devenu directeur de Yad Vachem, le musée de la Shoah ». Quant aux Tutsis, victimes de ce génocide, les voici campés au rang d'une « race » dont un trait de caractère serait l'immémoriale « culture du mensonge » et dont l'objectif «final » serait de réduire au rang « d'Untermenschen »
(sous-hommes) une communauté hutue, touchée elle aussi par la tragédie de 1994.

Ces principes posés, Pierre Péan poursuit son chemin pour en arriver à la question du rôle de la France, un rôle contesté et discuté puisqu'il fut objet de nombreuses enquêtes et d'une mission d'information (qui dura plusieurs mois) de l'Assemblée nationale. Au terme d'innombrables philippiques, Péan assure démonter tout cela de manière définitive. Il n'y aurait là que faux procès et malsaines insinuations alimentés par une cinquième colonne entrée sous influence d'un « lobby tutsi » qui aurait su diriger ses « très belles femmes » vers « les lits appropriés ». Voilà le complot.

Arrivé à ce point, le lecteur est saisi. Mais Péan enchaîne. Dans ce qui ressemble à un dérapage incontrôlé, il fait feu de tout bois : Juifs, francs-maçons belges, protestants français seraient ligués dans ce complot et bénéficieraient de l'appui de journalistes (dont l'auteur de ces lignes, accusé de s'être « prêté à une grave manipulation »), organisations humanitaires et défenseurs des droits de l'homme, tous ralliés, tous aveugles. Que dire alors ? Se taire, juste se taire. Le laisser, seul, assumer ses propos. Le Figaro 07/12/2005, Patrick de Saint-Exupéry.

 
Au final, il existe heureusement sur cet ouvrage quelques articles rédigés par des journalistes qui n’ont pas vocation à être les thuriféraires du FPR. Il est ainsi reproduit une partie du long article de François Schlosser du Nouvel observateur, qui rend compte du livre, avec objectivité et sa liberté de journaliste (on peut ne pas partager pas toutes ses appréciations, elles ont toutefois le mérite de l’honnêteté) et du livre d’Abdul Ruzibiza (ancien lieutenant de Kagame).

 
« La France a-t-elle été accusée à tort ? Rwanda : retour sur le génocide

 
Deux auteurs relancent la polémique sur les massacres qui ont fait des centaines de milliers de morts au Rwanda il y a dix ans. Abdul Ruzibiza accuse le Tutsi Paul Kagame, l'actuel maître de Kigali, d'être lui aussi responsable d'un génocide. Et Pierre Péan dénonce ceux qui ont soutenu Kagame en fermant les yeux sur ses crimes

 Faut-il récrire l'histoire du génocide rwandais ? A-t-on eu tort de porter un jugement négatif sur le rôle de la France et de lui attribuer une part de responsabilité dans cet événement ? N'est-ce pas Paul Kagame, le chef de l'armée des rebelles tutsis, aujourd'hui au pouvoir à Kigali - et soupçonné d'avoir commandité l'assassinat de l'ancien président hutu Juvénal Habyarimana le 6 avril 1994 -, qui est le véritable instigateur du génocide ? Y a-t-il eu, à l'ombre du génocide des Tutsis accompli par les partisans de Habyarimana, un autre génocide perpétré contre les Hutus par l'armée rebelle des Tutsis ?

Devant le Tribunal pénal international d'Arusha, les responsables de l'ancien régime, accusés d'avoir exterminé les Tutsis, nient presque tous l'existence même de ce génocide. Et le Tribunal n'a pas accepté, jusqu'à présent, d'inculper des criminels présumés de l'autre bord, en particulier Paul Kagame et certains membres du gouvernement actuel de Kigali.

 
Dix ans après les faits, la guerre de la mémoire bat son plein. Faute de documents vraiment nouveaux, la controverse se base essentiellement sur des témoignages individuels. En France, deux livres, très engagés, viennent de relancer le débat : celui d'Abdul Ruzibiza, ancien lieutenant de l'armée tutsie de Paul Kagame (« Rwanda. L'histoire secrète », Editions du Panama, 500 p), qui dénonce les crimes ordonnés par son chef, et celui de Pierre Péan, qui reprend ces accusations contre le maître du Rwanda et fait le procès de tous ceux qui ont critiqué l'action de la France et soutenu les rebelles de Kagame en fermant les yeux sur leurs exactions.

 
Le lieutenant Abdul Ruzibiza est le témoin principal de l'enquête mené par le juge Jean-Louis Bruguière sur l'attentat contre l'avion du président Habyarimana. Il décrit avec une précision impressionnante le montage de cette opération, décidée au quartier général de l'armée rebelle et exécutée par un commando dont il était lui-même membre. Il relate aussi, en citant par leur nom un certain nombre d'autres témoins, les crimes commis par son armée, l'APR 

(Armée patriotique rwandaise) sous le commandement de Kagame. Les récits, détaillés et datés, sont souvent insoutenables. Il accuse le commandement de l'armée rebelle d'avoir, à partir de 1990, utilisé contre le régime hutu de Habyarimana une stratégie de la tension visant à provoquer des massacres de Tutsis en procédant à des assassinats ciblés et en entretenant en permanence le cycle attentats-représailles, dont les Tutsis étaient les principales victimes. Il accuse le chef tutsi Paul Kagame d'avoir procédé à un génocide contre les Hutus dans les régions conquises par l'armée rebelle et d'avoir eu comme seul objectif la conquête du pouvoir, sans tenir compte des risques de génocide contre les Tutsis. Selon Abdul Ruzibiza, l'attentat qui a coûté la vie au président Habyarimana avait pour objectif essentiel de déclencher la grande tuerie des Tutsis par les Hutus, qui justifierait ensuite la prise du pouvoir par les forces rebelles de Paul Kagame.


 

Pierre Péan reprend l'essentiel de ce témoignage et le complète sur certains points par des documents inédits. Il confirme, par exemple, que des attentats mis sur le compte d'extrémistes du régime de Habyarimana ont été en fait perpétrés par des agents de l'armée rebelle dans le but de provoquer des massacres de Tutsis. L'auteur apporte également des informations précieuses sur un certain nombre d'opérations de désinformation mises en oeuvre par Paul Kagame et ses partisans pour nuire au régime de Habyarimana et à la France qui le soutenait. Il démontre, grâce à des documents inédits, que le témoignage du manipulateur Janvier Afrika, qui a servi de fondement, à partir de 1993, à nombre d'accusations portées contre la « maisonnée » de Habyarimana, était faux. Il révèle comment ont été fabriqués de toutes pièces des témoignages contre le père Wenceslas, prêtre rwandais, accusé de participation au génocide. Enfin, il met le doigt sur certaines faiblesses du rapport sur les exactions du régime de Habyarimana publié en 1993 par la Ligue internationale des Droits de l'Homme.

La véritable histoire de ce drame n'a pas encore été écrite, pas plus que celle de l'ensemble des années les plus terribles que vient de vivre le Rwanda. Les crimes impunis du régime actuel de Kigali continuent de brouiller les perspectives. Car face aux révélations nouvelles et accablantes sur les exactions attribuées à Paul Kagame et à son armée, qui occupent aujourd'hui le devant de la scène, la réalité du génocide de 1994 contre les Tutsis tend à s'estomper. Déjà la vieille théorie du « double génocide » - ou plus simplement des « massacres ethniques » à l'africaine - refait surface. Au risque d'ouvrir la voie à un nouveau révisionnisme. »

 

II                  POUR ALLER PLUS LOIN

 
De manière à compléter et recouper l’information, on pourra tirer profit de la lecture d’ouvrages complémentaires :

 

2.1.

 
En novembre 2005 paraît sous la plume du colonel Jacques Hogard, « Les larmes de l’honneur. 60 jours dans la tourmente du Rwanda », (édition Hugo Doc).

 

Il s’agit d’un court essai, remarquable, émanant de l’un des militaires, de haut rang, ayant participé à l’opération Turquoise. Ce dernier, las d’entendre les insultes et diatribes, sans fondement, contre le rôle de l’armée française au Rwanda a décidé de parler au cœur et surtout à la raison pour raconter ce qui a été réellement fait, ce qu’il a fait à son niveau pendant ces 60 jours, avec qui, contre qui et pourquoi.

Ce livre est tout simplement indispensable pour apprendre comment, avec des trésors d’intelligences, de savoir-faire, circonscrit dans un court mandat limité par l’ONU, quelques centaines de militaires et médecins français ont réussi ce tour de force de stopper les massacres, redonner espoir à la population, sauver des centaines de milliers de Tutsis et de Hutus et permettre un retour à la paix dans des conditions extrêmes.

 
Il faut redire avec force que les soldats français, bras armés de la France au Rwanda, n’ont pas été les complices de génocidaires, ni des tortionnaires, ni des assassins, mais au contraire les artisans inlassables et dévoués de la paix n’hésitant pas à intervenir au péril de leur vie contre l’innommable, la brutalité et la barbarie, sachant remettre un peu d’humanité dans ce bouillon de haine et de mort.


L’article de Patrick Girard de l’hebdomadaire Marianne du 07/10/2005, résume bien le sentiment qui se dégage chez le lecteur à la lecture du livre :

« Afrique. Quelques vérités bonnes à dire sur le Rwanda

Le terrible génocide provoqué par la disparition, le 6 avril 1994, du président Juvénal Habyarimana, a fait couler des flots de sang et d’encre. Plus de 800 000 personnes, en majorité des Tutsi et des Hutu libéraux, ont été massacrés par les milices extrémistes proches du Hutu Power, dans l’indifférence complète de la communauté internationale.

 

Celle-ci se contenta de faire évacuer les ressortissants étrangers présents au Rwanda cependant que le maigre contingent de l’ONU voyait ses effectifs être réduits et mis en demeure de ne pas intervenir.

La mauvaise conscience occidentale a trouvé un bouc émissaire commode en la personne de la France, soupçonnée et accusée, par de multiples pamphlets, d’avoir soutenu, des années durant, le régime de Juvénal Habyarimana, voire d’avoir financé et armé les tueurs. Une vision pour le moins simpliste puisque les troupes françaises stationnées depuis octobre 1990,à Kigali avaient été retirées, après la signature, en 1993, des accords d’Arusha.

Peu importe. Mieux vaut fustiger Paris que s’interroger sur le rôle du FPR (Front patriotique rwandais), ces fameux « Khmers noirs » dont le chef, Paul Kagame, n’est pas précisément connu pour être un champion de la démocratie et des droits de l’homme. Les spécialistes sont aujourd’hui d’accord pour reconnaître qu’il donna sans doute l’ordre d’abattre l’avion qui transportait le président rwandais et son homologue burundais. Il savait que les désordres qui en résulteraient lui permettraient de parvenir au pouvoir plus sûrement et plus rapidement que par la voie des urnes.

Voilà qui donne toute sa valeur au témoignage de Jacques Hogard, un ancien officier supérieur français qui relate le déploiement des troupes françaises dans le cadre de l’Opération Turquoise et qui apporte de précieux renseignements sur les agissements du FPR. Sans nier pour autant les massacres commis par les miliciens hutus et une partie des Forces armées rwandaises.

On peut tout juste regretter que l’auteur fasse appel à « l’autorité » de Bernard Lugan, « africaniste » dont les théories, largement entachées de racisme, sont sujettes à caution (note : ce dernier point est erroné, mais n’enlève rien au reste de l’article), pour ne pas dire plus. Mais ce livre se lit d’une traite et constitue un contrepoids précieux aux entreprises de désinformation sur le rôle de la France au Rwanda. »

 Pour un complément d’information, on pourra se référer au « blog » de l’auteur, civil depuis quelques années déjà et ne pouvant de ce fait être soupçonné d’avoir écrit un livre sur commande du Ministère de la défense : « http://rwanda.viabloga.com/ ».

On lira également avec intérêt, deux réactions à cet article lisibles sur le site Internet de Marianne, émanant selon toute vraisemblance de deux Rwandais :

 
« Le 30 novembre 2005 par Kalinda

Je suis rwandais mais je ne dirai pas si je suis hutu ou tutsi. Cela m'importe peu voire trop peu. Seulement je voudrais réagir sur les ouvrages qui sortent en ce moments et qui mettent en cause le FPR et Monsieur Kagame (à tort ou à raison). J'ai remarqué une chose. C'est que à chaque fois qu'une thèse met en cause la véracité de la sacro-sainte vérité connue depuis les années 1990, le FPR crie au révisionnisme. Je pense que le FPR devait plutôt démentir en apportant les éléments qui prouvent le contraire. Nous avons tous ( Hutu et Tutsi) envie de connaître ce qui s'est réellement passé au Rwanda. Et que les coupables de tout bord soient punis de façon exemplaire pour que le mot "Plus jamais ça" soit gravé dans la mémoire collective des générations qui viendront.

 
Merci 

Le 24 novembre 2005 par pkcharrier. 

La vérité sur le Rwanda reste inaudible en France. La vérité, c'est que seul le maintien de l'armée française après 1993 aurait pu éviter le génocide, provoqué par la guerre d'invasion du FPR et des Ougandais. »

 

2.2.

Paru en mars 2005, le livre de Jacques-Roger Booh Booh « Le patron de Dallaire parle : Révélations sur les dérives d'un général de l'ONU au Rwanda », édition Duboiris, ne laisse pas indifférent.

Jacques-Roger Booh Booh fut le représentant spécial du secrétaire général de l'ONU et le chef de la Mission des Nations Unies pour l'assistance au Rwanda (MINUAR) de 1993 à 1994, partant le chef du général canadien Roméo Dallaire, dont l’incompétence, l’impéritie, le partie pris pro-FPR, constituent une des causes de l’ampleur des massacres de 1994. Diplomate de carrière, il a été ambassadeur à Paris et ministre des Affaires Etrangères du Cameroun,

 Onze ans après le génocide du Rwanda, il livre son témoignage sur sa mission et sur le général Dallaire.

Chef de la MINUAR pendant le génocide, Booh Booh révèle que le général Dallaire avait organisé le sabotage de l'action diplomatique en plaçant clandestinement des micros dans son bureau pour écouter toutes les conversations officielles et confidentielles de son patron.

Dallaire a fermé les yeux sur les convois d'armes à destination du FPR alors qu'il contrôlait étroitement ceux du régime Habyarimana. Il a pris parti pour les rebelles Tutsis en vivant avec une compagne de rwandaise sous son toit. Ce comportement frivole a sali la réputation de la MINUAR et discrédité le travail des casques bleus.

Le représentant spécial de l'ONU affirme que Dallaire ne lui a remis ni rapport sur l'attentat du 6 avril 1994 ayant déclenché le génocide, ni sur l'assassinat des casques bleus belges.

Jacques Booh Booh va plus loin en révélant que Dallaire a carrément invité les rebelles du FPR dans les bureaux de l'état-major de la MINUAR à Kigali pour leur donner des informations sur les positions de l'armée Hutu.

Après avoir gardé le silence pendant dix ans, par discrétion et humilité, l'ancien ministre et ambassadeur camerounais parle pour dénoncer la mégalomanie et les dérives d'un général qui a fini sa carrière en larmoyant dans un livre paru en 2004 : « J’ai serré la main droite du diable ».
 

2.3.

« Ça ne s'est pas passé comme ça à Kigali » de Robin Philpot, Paris, Editions Duboiris, 2004, 238p., 19 euros


Dix ans après le génocide du Rwanda, un seul point de vue, un seul discours, une seule lecture, domine cette tragédie : "La catastrophe rwandaise de 1994 serait l'œuvre de ténébreux barbares hutus soutenus par la France inique et colonisatrice".

 
Cette vision réductrice et mensongère des choses ne repose sur aucune preuve tangible, mais sur ce que Gustave Flaubert appelait un récit "aimable et convenable". Voilà l'analyse, à contre-courant, que développe magistralement l'essayiste québécois Robin Philpot dans ce document coup-de-poing.

"Le génocide rwandais est à 100 % de la responsabilité américaine" révèle, en novembre 2002, l'ancien secrétaire général de l'ONU, Boutros Boutros-Ghali, à l'auteur. Se demandant comment deux interprétations si contradictoires peuvent exister sur une même tragédie, Robin Philpot a mené des recherches méticuleuses, conduisant une analyse serrée et des entrevues exclusives au Canada, en Europe et en Afrique. Ses conclusions sont édifiantes : la première version "aimable et convenable" est déloyale. Elle a été édifiée, imposée et martelée pour occulter les vraies causes du drame et protéger les criminels de l'Armée Patriotique Rwandaise (bras armé du parti politique FPR). Ceux que pointe l'instruction du juge, Jean-Louis Bruguière, dans l'attentat du 6 avril 1994 ayant déclenché le génocide.

 

En passant au crible les textes des journalistes Colette Braeckman (Belgique), Philip Gourevitch (Etats-Unis) Jean Hatzfeld (France), et le livre du général Roméo Dallaire, l'essayiste prend ces auteurs en flagrant délit de mensonge. Il montre comment leurs discours puisent dans les clichés du colonialisme et de l'esclavage pour expliquer une crise complexe aux ramifications internationales évidentes.

 
Après un succès remarqué en Amérique du Nord, cet essai vient en Europe bousculer les défenseurs de la "pensée unique" dans le dossier du génocide du Rwanda.

 
2.4.

 
On ne trouvera qu’avantage à approfondir le sujet avec quelques autres livres simples et clairs. Citons, celui de :

Bernard Debré, « Le retour du Mwami » édition Ramsay 1998. Cet ancien Ministre de la coopération à l’époque des faits, professeur de médecine est copieusement insulté, qualifié de révisionniste, de nazi, de raciste, etc. Pour un florilège du traitement que réserve les associations faisant leur miel de la mise en accusation de la France à leurs contradicteurs, la visite du site « www.lanuit.rwandaise.free.fr » offre un florilège de ce délire verbal (décidément le Rwanda continue à rendre les hommes fous…),

Jacques Vergès « De la mauvaise conscience en général et de l’Afrique en particulier » écrit avec Bernard Debré, Editions Jean-Claude Lattès, 2003,

III   POUR CLOTURER, PROVISOIREMENT, LE DEBAT …

En guise de conclusion, toute provisoire, quelques mots pour ne pas oublier l’essentiel : le bilan humanitaire de l’opération Turquoise, menée par la France.

 
Rappelons que Turquoise avait pour objectif la fin des massacres et le rétablissement de la sécurité sur une portion de sol rwandais, la Zone Humanitaire Sûre. Ce fut aussi une "opération humanitaire" au sens des secours portés aux populations, notamment dans le domaine médical.

 Les médecins militaires français de la 14ème Antenne Chirurgicale Parachutiste et de l'EMMIR (Elément Médical Militaire d'Intervention Rapide) ont ainsi effectué au profit des populations civiles rwandaises :

  • 17.000 consultations
  • 1.100 interventions chirurgicales
  • 11.000 journées d'hospitalisation
  • 90.000 soins ambulatoires
  • et même, procédé à 24 naissances !

Surtout, Turquoise qui a directement permis de sauver des milliers de vies menacées de mort atroce, a également évité au Rwanda de se vider à la fin du mois d'août 1994 d'une très grande partie de sa population, lui évitant ainsi une mort programmée dans les camps de réfugiés et les forêts du Zaïre oriental.

 
Et c’est probablement la meilleure réponse à apporter pour tenter de dessiller les yeux des hommes de raison ; on ne construit jamais l’avenir en gommant le passé, à plus forte raison en le dénaturant.

 
Le 1er janvier 2006,

G.A. (Colonel -er- des Troupes de Marine) et J.F.A (Magistrat et officier de réserve)