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Questions d'Europe 1 - réponses de Bernard Kouchner - Extraits concernant le Rwanda
Q - Encore un sujet délicat, encore un, le Rwanda. Le Rwanda est un casse-tête qui
combine la diplomatie, le crime de guerre, le sang et l’injustice. Pourquoi, M. Kouchner,
souhaitez-vous réconcilier le Rwanda et la France ? A quoi cela sert-il ?
R - Ce n’est pas un casse-tête, c’est un cas de conscience ! Rien ne vous autorise à
dire ce que vous avez dit. Le Rwanda est un pays où un génocide a été commis sous nos
yeux.
Q - Un ou deux génocides ?
R - Un génocide Monsieur, il n’y a pas eu deux génocides ! Les Hutus majoritaires ont
tué les Tutsis minoritaires. J’y étais. Il s’agit de quelque chose de grave.
Qu’ai-je voulu faire ?
J’ai voulu que les malentendus cessent entre ces deux pays. Je vous rappelle qu’au
pouvoir, à Kigali, sont les survivants de l’horreur et du génocide. Nous étions
là-bas, je me trouvais là-bas, le génocide a été commis sous nos yeux, télévisé, et
personne n’est intervenu, sauf la France. Je crois qu’il y a eu des erreurs politiques,
d’analyses politiques, je l’ai toujours dit. Je n’ai jamais dit, et je ne dirai
jamais, qu’il y a eu une participation de l’armée française au moindre meurtre. Ca,
je ne l’ai jamais dit et j’y étais, je sais donc ce dont je parle.
Q - Mais qui est à l’origine des massacres Tutsis ?
R - C’est une très vieille histoire qui a commencé dans les années soixante, on a
chassé 100. 000 Tutsis puis 600.000, qui étaient l’ethnie minoritaire. Ils se sont
installés à côté, dans bien des pays d’Afrique. Il y a eu des massacres et en effet,
déjà, il y avait des charniers.
Ensuite, il y a eu, dans les années 1990, un retour de ces Tutsis qui avaient été
chassés pour revenir dans leur pays. Ils ont en effet été aidés par d’autres pays
comme c’est souvent le cas. Et en 1994, à partir du 6 avril, il y a eu le vrai
génocide, déclenché et préparé. Il faut le savoir, il faut lire les livres, il en
existe plein, il faut lire Noël Copain, Jean Hatzfeld, André Sibomana, vous comprendrez
tout.
Le génocide était préparé, il y a eu des appels de l’évêque.
Q - C’était l’attentat contre le Premier ministre de l’époque !
R - L’attentat, je ne sais pas qui l’a commis ; Il est très possible que ce soit en
effet les autorités actuelles, on n’en sait rien.
Q - Les autorités actuelles ?
R - Non, nous n’en savons rien, il est très possible que ce soit elles ou les autres.
Les preuves ne vont ni dans un sens ni dans l’autre et elles sont très discutables.
Mais, ce n’est pas cela, j’y étais, pardonnez-moi ! Je suis un peu véhément, mais
lorsque l’on a marché dans le sang et dans les têtes d’enfants, on n’admet pas que
les journaux disent n’importe quoi. J’y étais, je me souviens très bien de ce qui
s’est passé, des appels aux meurtres, de la façon dont ce sont d’abord les
démocrates qui ont été tués et qui étaient Hutus, comme le Premier ministre.
Je le sais, j’étais avec Roméo Dallaire, lisez-le, vous verrez ce que cela veut dire.
On ne pourra pas dire n’importe quoi à la fin.
Alors, qu’ai-je fait ? J’ai envoyé, - et je ne l’avais pas caché, je l’ai dit
dès le début, il faut essayer de rétablir les relations avec le Rwanda -, une mission
diplomatique au su et au vu de tout le monde. Le reste est fariboles, mensonges ou
manipulations.
Je n’ai jamais, jamais, influencé qui que ce soit. Car, permettez, c’est une
accusation grave : on dirait que la diplomatie française a accepté qu’un général
rwandais soit le numéro deux de la Force hybride qui va au Darfour.
Q – Le général Karaké ?
R - Il suffisait de téléphoner pour vérifier : parce que c’est entre l’ONU et
l’Union africaine que les choses se sont passées. Je ne savais même pas que ce
général était là.
Q - Ne vous énervez pas !
R - Vous permettez, sur un sujet comme celui-là, je ne veux pas que l’on confonde les
assassinés avec les assassins.
Q - Mais la Justice enquête et c’est Jean-Louis Bruguière qui a lancé neuf mandats
d’arrêts internationaux. Alors, se réconcilier avec les dirigeants du Rwanda, vu par
les gens qui ne connaissent pas le problème.
R - Alors, qu’ils connaissent avant de parler !
Q - N’est-ce pas s’asseoir sur la Justice ?
R - Non, Monsieur. L’un des points qui a été abordé dans cette mission ce fut de dire
que de toute façon, - et je connais bien Jean-Louis Bruguière, je lui en ai parlé et il
sait très bien ce que je pense -, la justice internationale est souveraine, elle est
indépendante et nous avons dit que nous n’y pouvions rien. Ce n’est pas cela qui
compte. Ce serait, vous savez, comme cela s’est produit en Afrique du Sud, qu’une
commission de justice et réconciliation ait lieu. Il faudrait que l’on parle de ces
choses au lieu de les dissimuler.
Il y a eu des erreurs politiques, des analyses politiques, j’en avais parlé avec
François Mitterrand mille fois, je l’appelais du Rwanda. Pardonnez-moi d’être
véhément mais c’est une histoire que je connais. Je n’aime pas qu’on vienne
piétiner les morts, je n’aime pas comprenez-vous, que les malentendus existent. Pourquoi
n’essayerions-nous pas de les aplanir. C’est, selon moi, le rôle d’un ministre des
Affaires étrangères.
Q - A l’époque, c’était François Mitterrand avec M. Balladur, François Léotard,
Dominique de Villepin, le directeur de cabinet d’Alain Juppé, il y a avait
l’Opération Turquoise.
R - Oui, et qui a vendu l’Opération turquoise ? Moi !
J’avais tellement confiance en mon pays.
Q - Que devait faire cette Opération ?
R - L’Opération turquoise s’est trompée, au moins, de sites. Au lieu d’aller à
Kigali comme je le croyais quand j’ai rencontré Alain Juppé et que je suis allé
là-bas, vendre, - pardon pour le mot -, convaincre Paul Kagamé, car j’étais allé à
l’appel de Paul Kagamé pour faire sortir les enfants des orphelinats. Et ils ne sont pas
morts parce que nous l’avons fait. L’Hôtel les "Mille Collines", cela a fait un fameux
film, cela ne s’est pas passé ainsi, c’est nous qui les avons fait sortir. Tout cela,
je l’ai fait à l’appel de Paul Kagamé, il avait confiance en moi.
Q - Paul Kagamé est le président et aujourd’hui, il souhaite que la France reconnaisse
son rôle dans la guerre du Rwanda.
R - Il n’a jamais dit cela. Ah ! J’oubliais, c’est marqué dans le journal "Le
Monde".
Q - A moins que vous ne contestiez le journal ?
R - Eh bien oui Monsieur, je le conteste. Ce n’est pas cela.
Q - Il ne demande pas la repentance de la France pour que la France demande pardon.
R - Mais, il n’en a jamais été question, ce n’est pas cela qui compte ! Ce qui
compte, c’est que l’on commence à en parler et que dans un pays qui a subi ce massacre
effrayant, l’on considère que ceux qui ont été massacrés ne sont pas responsables de
leur massacre. C’est assez simplet n’est-ce pas, mais c’est ainsi que ça se passe !
On nous dit : "Mais dites donc ! Il y a eu un complot, un avion est tombé". Mais, sait-on
ce qu’était la radio "Mille collines", la honte du journalisme !
Moi j’y suis allé pour parler et, croyez-moi, je risquais ma vie : je suis allé les
insulter. Lorsque l’on sait qu’ils donnaient des listes et que tout cela était
préparé ! Savez-vous ce qu’a fait l’évêque de Kigali ? Lisez le livre du prêtre
rwandais Sibomana.
Q - Je l’ai lu.
R - Quand, lorsque l’on a vu une fois dans sa vie, des enfants de 12 ans Hutus, couper en
rondelles, à la machette, leur voisin de table parce qu’il est Tutsis, l’envie vous
passe de plaisanter avec les choses sérieuses et avec le journalisme en particulier,
d’accord ?
Q - De quoi la France est-elle coupable ?
R - La France est coupable d’erreurs politiques, elle n’est pas coupable de génocide
et sûrement pas l’armée française. Je l’ai dit mille fois, je le répète mille et
une fois. Simplement, il faut voir ce qui s’est passé, sous nos yeux. Lisez le livre de
Clinton qui vient de paraître où il dit : "Mon grand regret, c’est que je n’ai pas
voulu envoyer un contingent aux côtés des Français, en 1994, pour essayer d’arrêter
le génocide parce que je n’y ai pas cru, parce que je n’ai pas cru qu’existait ce
complot contre les Tutsis".
Et après, il n’y a pas eu une seule réunion pour voir ce que l’on pouvait faire.
L’ONU voulait envoyer quelque chose, il y avait de formidables généraux, Roméo
Dallaire, en particulier, et un contingent de l’ONU mais il s’est réduit après.
Nous sommes allés sauver nos "Blancs", nos "Blancs", les Belges et les Français sont
allés sauver les Blancs. Et puis après ils se sont retirés. C’était pas terrible
!
Q - Tiendrez-vous votre promesse M. Kouchner d’aller bientôt à Kigali ?
R - Quand il sera temps, quand cela servira à quelque chose. Je ne suis pas un fou, ni du
voyage ni de la poussée diplomatique. Si on ne se réconcilie pas avec un pays massacré,
alors que l’on a compté dans cette histoire et que nous n’avons pas été les
responsables du massacre, alors, que fait-on en politique ?
Q - En aviez-vous parlé avec le président de la République ? Est-il d’accord ?
R - Bien sûr ! J’en ai parlé avec le président François Mitterrand, c’était
important à l’époque car c’est lui qui avait fait cette erreur. Il disait que
c’était la guerre des serfs contre les seigneurs. Je ne crois pas que ce soit une bonne
analyse. C’était la guerre de la France, contre la Belgique, la guerre contre
l’Angleterre, la guerre contre l’influence en RDC, la guerre contre les Américains,
tout cela était mélangé, extraordinairement confondu.
En réalité, un génocide s’est déroulé sous nos yeux, télévisé, et nous n’avons
rien fait. La blessure demeure ! Lisez les livres des survivants !
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