Choix d'articles du site RFI
Un autre porte-parole de l’armée française, Ange-Antoine Leccia, avait déclaré dès mardi dernier que «les cinq bases prépositionnées en Afrique» pouvaient à tout moment «assurer rapidement des renforts». Toutes ces mesures militaires devraient être saluées par le gouvernement du président Laurent Gbagbo, qui doit faire face à plusieurs fronts rebelles et ne cesse de dénoncer les ingérences extérieures. La tâche principale de l’armée française ne changera pas : elle se cantonnera à «sécuriser et stabiliser» un cessez-le-feu de moins en moins respecté, mais elle sera toujours en mesure d’évacuer ceux qui le souhaitent. Toutefois, dans la déclaration de mercredi soir, le gouvernement français ajoute, à propos des «atteintes à l’unité», des «exactions» et des «ingérences extérieures» : «en liaison avec ses partenaires, (la France) ne manquera pas d’en tirer toutes les conclusions». Un avertissement qui semble viser à la fois les rebelles et leurs protecteurs. Sur le plan diplomatique aussi la France tente de sortir de l’impasse actuelle, en proposant d’accueillir à Paris une conférence regroupant les chefs d’Etat de la région, et d’organiser parallèlement une rencontre des «représentants des forces politiques ivoiriennes». Ce que le MPCI - la branche politique de la rébellion du Nord - s’est dans un premier temps empressé de saluer, car participer à une telle rencontre se traduirait par une consécration internationale inespérée pour des militaires insurgés. Une euphorie qui a été de courte durée. Le porte-parole du MPCI Guillaume Soro a en effet changé complètement de ton quelques heures plus tard, et demandé à la France d’observer «une totale neutralité» dans la crise en cours et même de «se retirer du pays». «Si la France se hasarde à vouloir s’impliquer d’une manière ou d’une autre» dans une crise qu’il a qualifiée «d’ivoiro-ivorienne», «elle aura toute l’Afrique de l’Ouest contre elle, et personne n’a le monopole de la menace». Guillaume Soro a fustigé la «mauvaise gestion de la crise» par Dominique de Villepin, estimant qu’elle allait aboutir « à un autre Rwanda». En revanche, aucune réaction n’avait été enregistrée jeudi matin du côté du gouvernement du président Gbagbo, qui de son côté devait signer en compagnie de tous les partis ivoiriens un «document politique» qui devrait refléter les conclusions auxquelles ont abouti les négociations de Lomé, sous la direction de Gnassingbé Eyadéma. Des négociations plus que jamais moribondes et que les rebelles ont de nouveau abandonné, pour rentrer à Bouaké «consulter la base». Ce document comprend notamment une déclaration signée par les formations politiques qui demande au MPCI de «libérer les villes occupées» et de «procéder au désarmement de ses troupes» conformément aux accords signés à Accra au début de la crise. Ce que le MPCI a rejeté par avance : «Nous ne comprenons plus les démarches de la CEDEAO et de la médiation» dirigée par Eyadéma, a précisé Guillaume Soro. Ceci n’a toutefois pas empêché la CEDEAO d’annoncer qu’un sommet consacré à la Côte d’Ivoire aura lieu ce week-end à Lomé, et qu’il réunira les présidents Wade (Sénégal), Obasanjo (Nigéria) et Eyadéma (Togo). | ||
ELIO COMARIN 12/12/2002 • LE MONDE | 12.12.02
| 13h22
La France dépêche des renforts en Côte d'Ivoire pour sanctuariser la zone gouvernementale La
présence militaire française, plus de 2 000 hommes,
aura pour mission de "sécuriser le cessez-le-feu". Paris est
prêt à accueillir les chefs d'Etats africains concernés par
le conflit.
S'engageant dans la plus grande opération militaire en Afrique depuis ses interventions à répétition au Tchad, dans les années 1980, la France dépêche de nouveaux renforts en Côte d'Ivoire, où ses effectifs comptent déjà environ 1 500 soldats. Cette décision a été prise, mercredi 11 décembre, lors d'un "conseil restreint" à l'Elysée qui a réuni Jacques Chirac, le chef du gouvernement, Jean-Pierre Raffarin, ainsi que les ministres des affaires étrangères et de la défense. Jeudi, une source militaire précisait que l'envoi de 500 à 600 hommes supplémentaires, ainsi que du matériel de guerre, était "déjà en cours". Le caractère d'urgence de l'engagement militaire se double d'une relance de l'action diplomatique : nommé, mercredi, en conseil des ministres, le nouvel ambassadeur de France à Abidjan, Gildas de Lidec, devait rejoindre son poste dès jeudi, en remplacement de Renaud Vignal, rappelé la semaine dernière "en consultations". Par ailleurs, reconnaissant implicitement le blocage de la médiation ouest-africaine et des négociations, à Lomé, entre le gouvernement et les rebelles ivoiriens, la France s'est déclarée "disposée à accueillir à Paris les chefs d'Etat africains concernés et, parallèlement, à organiser une réunion des représentants des forces politiques ivoiriennes". Selon le communiqué publié, mercredi soir, par le Quai d'Orsay, la France vise "un règlement politique général rassemblant l'ensemble des forces politiques ivoiriennes". Après la rupture, de facto, de la trêve instaurée le 17 octobre, la découverte de charniers et l'apparition d'escadrons de la mort dans la zone gouvernementale, Paris adresse une mise en garde, à la fois, au régime du président Laurent Gbagbo et aux pays voisins – le Burkina Faso et le Liberia – qui soutiendraient les rebelles, en dénonçant "le recours à la force, les violences et les exactions, ainsi que toute ingérence ou interférence extérieure". La France justifie son intervention, outre par la protection de ses quelque 20 000 ressortissants en Côte d'Ivoire, par "l'exigence de stabilité et de sécurisation du cessez-le-feu". L'ENJEU DU CACAO Sous le couvert de l'anonymat, un haut responsable français souligne qu'il ne s'agit pas de "sauver le pouvoir de -Laurent- Gbagbo mais la Côte d'Ivoire", dont la crise risquerait "d'embraser toute l'Afrique de l'Ouest". Il rappelle que la France a "condamné sans ambiguïté" les diverses exactions commises contre des civils et, notamment, réclamé une enquête internationale sur le charnier de Monoko-Zohi (120 corps découverts par l'armée française, il y a une semaine). "Tous ceux qui se disent favorables à la démocratisation de l'Afrique doivent reconnaître que des changements politiques n'y peuvent intervenir qu'en partant de la légalité existante. Sinon, ce sera le chaos sur le continent", a-t-il ajouté. En sanctuarisant, dans les faits, la zone gouvernementale, le sud de la Côte d'Ivoire "utile" et, en particulier, la "boucle du cacao" dans l'Ouest, qui est aussi le fief du président Gbagbo, l'armée française sort définitivement de son rôle de force d'interposition, déjà ambigu auparavant. Depuis deux semaines, alors que le cessez-le-feu n'était plus respecté, les forces françaises se sont opposées aux violations de la trêve faites par les rebelles, tandis qu'ils "ouvraient la barrière", selon l'expression d'un officier, dès lors que l'armée gouvernementale lançait des attaques, encadrées par une soixantaine de mercenaires, dont des Français... Après avoir déjà, plusieurs fois en septembre, ouvert le feu sur les insurgés, pour les empêcher de descendre sur Abidjan, le contingent français a de nouveau stoppé la progression rebelle vers le sud, samedi 7 décembre, lorsque quelque 200 "éléments fortement armés" ont voulu franchir la ligne du cessez-le-feu à l'est, jusqu'alors épargné par les combats. Dès lors, même au-delà de la "ligne de non-franchissement" convenue entre les belligérants, l'armée française a "verrouillé" tout le sud et, notamment, en pleine récolte des fèves, l'accès au port de San Pedro, stratégique pour l'embarquement du cacao, dont la Côte d'Ivoire est le premier producteur mondial. Destinée à figer les lignes, pour gagner le temps nécessaire à une solution négociée du conflit, la nouvelle pax franca comporte le risque d'inciter à la reconquête du nord ou, pire encore, à la traque de "l'ennemi intérieur", les forces du président Gbagbo, dégagées de toute obligation de sécuriser leur zone. Prévu pour ce jeudi, l'enrôlement de 3 000 volontaires – en fait, la distribution d'armes aux "jeunes patriotes" qui sont les miliciens du régime en place – met en évidence ce danger qui, plus encore que les exactions commises par l'armée ivoirienne dans les zones de guerre, a provoqué l'ordre d'évacuation donné à leurs expatriés en Côte d'Ivoire par tous les pays occidentaux, des Etats-Unis à l'Australie, en passant par le Royaume-Uni, l'Allemagne, la Belgique et l'Italie. Stephen Smith Changement expéditif d'ambassadeur
C'est, sans doute, le changement d'ambassadeur le plus expéditif sous la Ve République : rappelé à Paris au milieu de la semaine dernière, le socialiste Renaud Vignal, violemment pris à partie par les autorités et la presse ivoiriennes, qui faisaient de lui le bouc émissaire de leurs suspicions à l'égard de Paris, a appris, vendredi 6 décembre, qu'il ne regagnerait plus son poste mais obtiendrait, prochainement, une nouvelle affectation "prestigieuse". Cinq jours plus tard, l'ancien ambassadeur de France à Kinshasa, puis chef de la délégation humanitaire du Quai d'Orsay, Gildas Le Lidec, a été nommé en conseil des ministres et devait partir pour Abidjan, dès le lendemain... Réputé "diplomate tout terrain", apprécié par Jacques Chirac pour le rôle qu'il avait joué après l'assassinat du président congolais Laurent Désiré Kabila, et l'avènement au pouvoir à Kinshasa de son fils, Joseph, le nouveau représentant de la France a pour mission de rétablir la confiance avec le président Laurent Gbagbo, très influencé par son entourage extrémiste et des prédicateurs évangélistes, qui le convainquent d'être investi d'une "mission". |
Touba, Gouessesso correspondance
Il n'y a pas de frontière entre les territoires du Mouvement pour la justice et la paix (MJP) et ceux de son grand frère, le Mouvement patriotique de Côte d'Ivoire (MPCI), pas davantage qu'entre les localités revendiquées par le Mouvement populaire ivoirien du grand Ouest (Mpigo) et les zones tenues effectivement par le MJP. Un seul laissez-passer émis par le responsable de la circulation et de la fluidité du MPCI, le sergent Konaté, suffit pour voyager d'une zone à l'autre.
Si les trois mouvements rebelles, opposés au régime du président ivoirien, Laurent Gbagbo, revendiquent une complète autonomie les uns par rapport aux autres, la réalité sur le terrain démontre le contraire du moins pour le MJP et le MPCI. Officiellement, les territoires du MPCI s'arrêtent à la rivière Sassandra à l'ouest, mais bien au-delà, à Koro par exemple censée être une position du MJP, les rebelles présents sur les check-points affirment appartenir à ce mouvement. De même à Touba, ville passée sous le contrôle du MJP le 30 novembre, les hommes en armes disent être venus de Bouaké, quartier général du MPCI, à moins qu'ils se trompent dans les sigles...
"Nous prenons nos ordres de Bouaké. Nous attendons d'ailleurs des lance-roquettes et des moyens de communication qu'ils doivent nous envoyer", affirme un sous-officier au quartier général du MJP à Touba. Les véhicules des rebelles reflètent cette confusion : certains portent l'inscription MLCI, d'autres MPCI ou MJP-CI, un certain nombre enfin MJP. "Notre ordre de mission a été fait à Bouaké par le MPCI, c'est à Odienné que l'on a changé pour MJP", poursuit le sous-officier rebelle sans bien savoir non plus ce que signifient ces trois lettres.
La version officielle est donnée par le lieutenant Abou Soumahoro qui se présente comme président fondateur et chef militaire du MJP : "Le MPCI a accepté des négociations avec le régime de Gbagbo, ils ont accepté un cessez-le-feu, nous, nous refusons. C'est pourquoi nous avons quitté ce mouvement pour créer le MJP. Gbagbo doit partir !" "C'est en arrivant à Touba, où la population était harcelée par les loyalistes qu'on a décidé de s'appeler MJP, affirme l'ancien proche de l'adjudant Tuo Fozié l'un des chefs militaires du MPCI. J'ai déserté le MPCI parce que nous devions continuer la lutte pour protéger nos parents. Nous n'avons aucun lien et ne recevons aucune aide du MPCI", souligne-t-il avant d'ajouter dans un sourire : "On ne s'est pas entendu avec Fozié, mais ça ne gâte pas l'amitié."
"VENGER LE GÉNÉRAL GUEÏ"
Les trois mouvements partagent un même but : chasser Laurent Gbagbo du pouvoir, et un même objectif sans cesse répété : "Aller à Abidjan",capitale économique ivoirienne et siège du gouvernement. Au MJP, les équipements et les méthodes sont les mêmes qu'au MPCI, le discours plus va-t-en-guerre mais tout aussi articulé sur le rétablissement de la démocratie et de la justice en Côte d'Ivoire.
Le Mpigo, en revanche, tranche sur ses deux frères d'armes. Sur la route qui sépare le dernier barrage du MJP de Biankouma, localité contrôlée par le Mpigo, sept hommes sautent d'un pick-up et se déploient dans les hautes herbes à l'arrivée d'un véhicule. Il y a des jeunes en civil, un bandeau sur la tête, armés de fusils de chasse calibre 12, un Dozo (chasseur traditionnel) avec sa tunique de coton écrue et son bonnet et deux hommes en treillis armés d'AK-47. Ils conduisent les journalistes directement à la résidence de feu le général Gueï à Gouéssesso. Succession de cases circulaires en briques rouges, encadrée par des écuries, la propriété est aujourd'hui le quartier général du Mpigo. "Le gouvernement de Gbagbo a attrapé le général et l'a tué sans une preuve qu'il faisait partie de ce qui s'est passé le 19 septembre", affirme le lieutenant Simplice Dieu Tieu, engoncé dans un gilet de sauvetage militaire. "C'est pour cette raison que les hommes se sont levés. Nous voulons venger le général Gueï et demander le droit des Yacoubas -ethnie de l'Ouest- sur la terre de Côte d'Ivoire", ajoute l'ancien garde du corps du général.
Le Mpigo revendique aujourd'hui 6 000 combattants et affirme contrôler les localités de Gouéssesso, Biankouma, Danané, Toulépleu et Sipilou, toutes situées dans l'Ouest. Un autre ancien garde du général, Jean-Jacques Louah, dit que ce sont ses "hommes qui ont pris Man. On a croisé les gens du MJP lors de l'attaque" de cette ville, reprise depuis par les loyalistes. Il précise n'avoir "aucun rapport" avec le MPCI. Méfiants envers les journalistes étrangers, les représentants du Mpigo ont autorisé une visite sous escorte de Biankouma, sans qu'il soit possible de parler avec les habitants. Dans la ville, l'atmosphère semblait tendue. Sur les grands axes, la majorité des magasins étaient fermés. Le passage des rebelles du Mpigo n'a suscité aucune marque de sympathie de la part de la population. La visite du village de Gouéssesso n'a pas été autorisée.
Plus ancien que les deux autres groupes rebelles, le MPCI combat le gouvernement d'Abidjan depuis le 19 septembre et contrôle aujourd'hui 40 % de la Côte d'Ivoire, essentiellement les régions du Nord. Interrogé à Bouaké sur ces subites apparitions concomitantes de rébellions, l'adjudant Fozié déclare "ne rien connaître des deux mouvements de l'Ouest. Je crois que ce sont des gueïstes". S'offusquant de n'avoir pas été contacté avant que ceux-ci ne prennent les armes, le porte-parole du MPCI n'écarte pas la possibilité d'avoir un jour à les combattre.
Alexandre Jacquens
Côte d'Ivoire | Dépêche précédente Sommaire Dépêche suivante |
Déclaration de la France sur la Côte d'IvoirePARIS, 11 déc (AFP) - 22h05 - Voici le texte intégral de la déclaration mercredi soir du porte-parole du ministère français des Affaires étrangères, François Rivasseau, à propos du renforcement immédiat du dispositif militaire français en Côte d'Ivoire.
Les atteintes à l'unité et à la souveraineté de la Côte d'Ivoire sont inacceptables. La France dénonce le recours à la force, les violences et les exactions ainsi que toute ingérence ou interférence extérieure. En liaison avec ses partenaires, elle ne manquera pas d'en tirer toutes les conclusions. A l'appui de la médiation africaine, des efforts de la CEDEAO et dans le souci d'encourager une solution politique, la France est disposée à accueillir à Paris les chefs d'Etat africains concernés et, parallèlement, à organiser une réunion des représentants des forces politiques ivoiriennes. Dans ce contexte, pour répondre à l'exigence de protection des ressortissants français et étrangers, de stabilité et de sécurisation du cessez-le-feu, la France décide de renforcer immédiatement son dispositif militaire sur le terrain."
|
© 2002 AFP. Tous droits de
reproduction et de représentation réservés.
Toutes les informations reproduites dans cette rubrique (dépêches, photos, logos) sont protégées par des droits de propriété intellectuelle détenus par l'AFP. Par conséquent, aucune de ces informations ne peut être reproduite, modifiée, transmise, rediffusée, traduite, vendue, exploitée commercialement ou réutilisée de quelque manière que ce soit sans l'accord préalable écrit de l'AFP. |
|